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30 / 10 / 2012
Didier Cozin / Membre
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La formation, c'est maintenant

Les pouvoirs publics annoncent pour novembre prochain la mise en œuvre d’un pacte de compétitivité (qui ne sera pas un choc mais dont on n’espère qu’il ne fera pas flop).

Ce pacte de compétitivité concernera le coût du travail, la flexibilité du marché du travail, la recherche et enfin la formation professionnelle continue.

Constatant l’hémorragie d’emplois industriels, le déficit abyssal de notre commerce extérieur et la perte régulière de nos parts de marché (nous représentions 6 % du commerce mondial en 2000, aujourd’hui moins de 3 %), les pouvoirs publics assurent désormais vouloir remettre la formation en marche.

En 2009 déjà, la troisième réforme de la formation prétendait développer et simplifier la formation pour la rendre accessible et facile à mettre en œuvre.

Penchons-nous donc une nouvelle fois sur cette vertueuse formation professionnelle continue dont tout le monde dit le plus grand bien mais que personne ne parvient au final à « décoincer ».

Si l’on peut facilement comprendre que la formation, c’est l’anticipation notre pays a beaucoup de mal à s’inscrire dans un XXIème siècle qui promet des changements importants des paradigmes professionnels (l’activité ne sera plus massive et offerte à toute personne active mais perpétuellement à (re)construire dans un monde mouvant et ultra-concurrentiel).

Depuis des lustres, notre pays laisse enfler et dériver sa formation professionnelle continue. Celle-ci mérite bien les 3 C dont elle a été gratifiée en 2007 par une commission sénatoriale.
  • Elle est coûteuse (30 milliards d’euros dont une partie passe dans la paperasse, les détournements divers, les contrôles multiples),
  • complexe (monter une action de formation puis envoyer un salarié ou un demandeur d’emploi en formation relève souvent du parcours du combattant),
  • et cloisonnée (le travailleur est considéré par son seul statut ou son appartenance à une branche professionnelle).


Aujourd’hui, la formation en France sert largement de paravent et de cache-misère à un monde professionnel en crise où les cartes éducatives sont battues dès l’enfance pour occuper les centaines de milliers de jeunes qui sortent de l’Éducation nationale sans aucun bagage éducatif. Ils auront souvent passé une quinzaine d’années dans les murs des écoles tout en sachant à peine lire et compter. Plutôt que de remettre de l’ordre dans la vieille maison, on en panse les plaies éducatives pour pallier aux errements de la maison mère formation.

Du fait de la crise, des centaines de milliers d’emplois industriels pourraient disparaître dans les prochaines années, les salariés des usines sont peu ou mal formés mais il existe un quasi consensus entre les syndicats, les patrons et leurs salariés, pour ne pas réclamer de formation tout en privilégiant le court terme et le salaire direct. En cas de licenciement, chacun estime que c’est à l’État de payer et de former les cohortes de travailleurs disqualifiés par la crise.

Les travailleurs précaires (dont le nombre augmente du fait de la crise) n’ont en général droit à aucune formation. Les 2 millions de travailleurs en CDD sont presqu’interdits de DIF (droit individuel à la formation) du fait d’une mise en œuvre encore plus lourde, complexe et insécurisante que pour les salariés en CDI. Les intérimaires doivent avoir réalisé 2 700 heures de travail durant les 2 dernières années pour bénéficier d’une formation, ils réalisent eux aussi des formations au compte-goutte.

  • Un accord DIF intérimaires devait être signé durant l’été 2012 mais personne ne veut (ni ne peut) payer.   
  • Pour masquer la gravité des chiffres du chômage : il suffit d’avoir suivi une formation durant 2 jours au cours du mois précédent pour ne plus être comptabilisé comme chômeur. Un demandeur d’emploi nous contait récemment son cas : ayant signé en 2011 une CRP (remplacée par la CSP depuis), il a attendu 6 mois pour « bénéficier » de 2 jours de formation en anglais par mois. Grâce à sa CRP, il n’est plus officiellement chômeur, tout en ne risquant guère d’améliorer son anglais.


Pour les transitions professionnelles (et donc la sécurisation professionnelle), la situation pourrait rapidement devenir chaotique : du fait de la crise, des millions de travailleurs (peut-être 4 à 5 millions de personnes) ont besoin d’une reconversion professionnelle longue (de 100 à 500 heures pour certains).

  • Le congé individuel de formation (CIF) concerne bon an mal an 35 000 salariés. Comment parviendra-t-on à faire passer ce chiffre à 500 000 ou 1 million de personnes ?


Nos dispositifs de formation et de reconversions professionnelles ont été conçus pour une époque de plein emploi et de stabilité professionnelle. Ils servent aujourd’hui tout autant à financer la machinerie paritaire (les syndicats ouvriers dépendent à 50 % des fonds de la formation, les organisations patronales pour un tiers de leurs ressources) qu’à entretenir de coûteux organismes de formations internes (certaines entreprises publiques consacrent près de 3 000 euros par an et par personne pour former leurs salariés alors que dans nombre de PME, le budget formation tourne autour de 70 euros par an et par personne).

Aujourd’hui, la crise met à nu les paradoxes d’une formation qui bénéficie seulement aux plus qualifiés (50 % des budgets servent à la formation de 6 % des salariés) aux salariés jeunes et aux grandes organisations (pas toutes certes, dans la « grande » distribution, par exemple, ce serait plutôt le désert au niveau de la formation).

La compétitivité d’un pays se mesure certes au coût de son travail mais aussi par la formation et la confiance de ses travailleurs envers leur système de (re)qualification.

Tout est fait encore aujourd’hui pour conforter les positions acquises des travailleurs et des organisations les plus qualifiés dans une ambiance de déresponsabilisation généralisée (le maintien de l’employabilité, les plans seniors, le travail des handicapés sont des vœux pieux sans effets avérés sur le terrain).

Les choix prochains pour les pouvoirs publics sont désormais simples : préserver les marchés et les financements de quelques milliers de notables ou bien ouvrir grandes les portes d’une formation qui doit devenir naturelle, simple, régulière et accessible au plus grand nombre.

Nous n’aurons plus des années pour faire les bons choix et nos partenaires européens n’attendront pas que les Français se mettent à l’anglais, maîtrisent leur langue maternelle ou aient le gout d’apprendre et d’entreprendre (4 compétences clefs sur les 8 listées par la Commission européenne en mars 2000).

La formation c’est maintenant.

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