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28 / 04 / 2016 | 5 vues
Jacky Lesueur / Abonné
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« L'utilité mutualiste est un capital immatériel qui doit se mesurer » - Jean-Claude Frey, mutuelle UMC

Dans un paysage mutualiste en profonde évolution, Jean Claude Frey, président de la mutuelle UMC, qui a choisi de se rapprocher de l'institution de prévoyance Klésia, nous livre ses réflexions et l'approche de sa mutuelle dans ce contexte...

Le  monde de l’économie sociale est touché par le phénomène de concentration qui se caractérise par des rapprochements, des regroupements, des fusions et des absorptions sur des bases qui peuvent parfois surprendre. Quel est votre sentiment ?
La mutualité d’aujourd’hui peut-elle toujours se réclamer du respect de ses valeurs ?Dans ces mouvements qui touchent les mutuelles, d’aucuns critiquent (voire dénoncent) les liens qui se créent avec des organismes et structures qui ne partageraient pas les mêmes valeurs que la mutualité. Ces mouvements accentueraient le phénomène de banalisation des pratiques mutualistes. Sont notamment désignées les institutions de prévoyance, les structures coopératives et les sociétés capitalistes d’assurance. Si effectivement, on peut partager cette idée concernant ces dernières, je pense que l’on ne peut pas avoir le même raisonnement vis-à-vis des IP.

Très clairement, les premières n’ont pas à rougir, au moins sur le fond, de leurs pratiques, et ne serait-ce que du fait de leur histoire. De plus, la mutualité d’aujourd’hui peut-elle toujours se réclamer du respect de ses valeurs ? La question essentielle étant : comment continuer à faire vive des principes, des règles mutualistes dans le respect de la place et de l’expression des adhérents, dans le respect de la vie démocratique dans un environnement ou les technostructures et les pratiques commerciales qui s’imposent ont une finalité aux antipodes ? Pour améliorer leur compétitivité et rester attractives, les mutuelles ont tout intérêt à démontrer ce qui fait leur valeur, c'est-à-dire leurs actions sociales et sociétales, nommées service social rendu (SSR).

Effectivement, mais comment peuvent-elles véritablement démontrer leur rôle social, notamment vis-à-vis de leurs adhérents, vers la population et aux pouvoirs publics ?
Mesurer le service social rendu par les complémentaires de santé, c’est définir des indicateurs qui permettront d'objectiver et de concrétiser leur apport : en quoi répondent-elles aux besoins sanitaires et sociaux des personnes ? Le font-elles dans des conditions optimales ?

Les contrats collectifs obligatoires qui dénaturent totalement nos principes mutualistes.Avec les contrats collectifs obligatoires qui dénaturent totalement nos principes mutualistes, avec la fiscalisation croissante qui aligne les mutuelles sur les sociétés commerciales, comment faire vivre cet idéal mutualiste fait de solidarité, de fonctionnement démocratique et responsable ?

C’est bien par la valorisation de ses actions et les résultats obtenus que la mutualité pourra démontrer sa plus-value sociétale et assurer la crédibilité économique de son modèle.

Sur un plan purement économique, mon propos n’est pas de diaboliser l’argent et la finance, même si on peut bien sûr regretter l’ensemble des aspects socialement dévastateurs

Ce qui paraît important c’est bien de savoir ce que l’on en fait, de savoir si l'on en fait un moyen ou une finalité. Si l'on en fait quelque chose de socialement et solidairement responsable et pas uniquement spéculatif.

Mais comment peut-on considérer et apprécier ce qui serait socialement et solidairement responsable ?
Les pratiques, bien sûr, transparentes, vertueuses, éthiquement responsables et respectueuses de l’environnement et puis, des normes, reconnues et acceptées par tous les acteurs engagés.

La loi sur l’économie sociale et solidaire offre des perspectives nouvelles pour l’économie générale du pays et pour l’emploi, à la condition toutefois que ses acteurs respectent un certain nombre de principes et acceptent de se plier à des règles et comportements collectivement décidés et partagés.

Pour moi, la mutualité a une place historique et légitime dans l’économie sociale et solidaire. Si les mutuelles sont aussi des entreprises avec leurs exigences financières, un certain nombre de caractéristiques les différencie des autres et il est maintenant bon et nécessaire de les identifier et surtout de faire valoir et donc de mesurer.

Au-delà d’une approche classique du capital immatériel (savoir, marque, client et utilité sociale pour le monde mutualiste) la « reference value » (mesure du capital immatériel) fait le choix de placer l’humain au cœur des informations financières, de le valoriser (1).

Pouvez-vous nous en dire plus et nous expliquer l’approche de l’UMC en la matière ?
C’est le but et le travail du programme de recherche « reference value », pour lequel notre mutuelle UMC a accepté de jouer le rôle d’entreprise témoin.

Dans les grandes lignes, il s'agit donc de construire un outil permettant de déterminer pour chaque acteur un ensemble d’indicateurs de performances correspondant à des facteurs essentiels de bonne marche de l’entreprise :

  • performances financières naturellement,
  • performances des actifs immatériels,
  • la pertinence de la stratégie de l’entreprise,
  • la qualité de sa gouvernance.
Il est bien évidemment indispensable que ces indicateurs soient de manière indiscutable valorisés, mis à jour et régulièrement contrôlés.
 
Il semble que « reference value » est et doit rester une « matière vivante » qui doit progresser au fil du temps, des expériences et des besoins qui peuvent s’exprimer, toujours dans le cadre de la recherche d’une meilleure utilité sociale. Car c’est bien le but que nous ne devons jamais perdre de vue.

Pour les mutuelles, que signifie et que contient la réalité des discours sur le service social rendu et sur la solidarité ?
Comment les  adhérents, au-delà d’un simple rapport prestation/cotisation, peuvent–ils apprécier et choisir leur mutuelle et faire une différence avec des organismes assureurs ?

À partir de premiers indicateurs construits avec les acteurs du projet, nous nous sommes prêtés, en jouant honnêtement le jeu (c’est essentiel) à l’exercice. Nous découvrons déjà des points forts, mais qui n’étaient pas toujours valorisés et des points de fragilité que nous ne mesurions pas nécessairement (ou parfois objectivement) suffisamment.

C’est aussi cela « reference value » pour l’entreprise : un soutien à l’auto- évaluation.

Enfin, nous pensons que cet outil devrait permettre d’une part, face à des sociétés purement capitalistes qui n’auront aucun mal à répondre aux critères exigés pour relever de l’économie sociale et solidaire, d’au moins les obliger à respecter un certain nombre de valeurs et de principes fondamentaux ; d’autre part, à nos entreprises sociales et solidaires de pouvoir enfin montrer et démontrer que si leurs résultats financiers ne sont pas à la hauteur des autres, ce n’est pas qu’elles ne savent pas gérer leurs affaires, c’est qu’elles choisissent de consacrer leurs résultats à des missions de réelle utilité sociale.

S’agissant des mutuelles, on peut unanimement faire le constat qu’elles sont encore trop souvent  très mal connues. Cette méconnaissance peut même constituer un handicap et un frein pour leur action et leur promotion face à d’autres acteurs mercantiles.

Beaucoup d’idées fausses, de véritables mensonges circulent, y compris sur la compréhension même des mécanismes de la complémentaire de santé.

Autant de raisons de profiter de cet outil pour y remédier et redonner du sens et l’envie d’adhérer à une mutuelle plutôt que d’être seulement un bénéficiaire/consommateur.

Pour revenir à la notion d’utilité sociale, son identification, ses critères et ses objectifs : pouvez-vous préciser votre sentiment ?
L’utilité sociale, au sens large de l’ESS, entre dans la catégorie de ce que l’on nomme le capital immatériel. Cela représente l’ensemble des actifs qui ne sont pas financiers.

Pour nos mutuelles (il serait plus légitime et judicieux de parler d'utilité mutualiste), il s’agit de démontrer pourquoi et comment nos actions sociales et sociétales peuvent avoir un rôle social et lequel, vis-à-vis de nos adhérents et vers la population et pourquoi pas les pouvoirs publics. À charge ensuite de définir, de concrétiser et d’objectiver les indicateurs qui vont valoriser ces apports….

Pour les mutuelles, quels sont les axes majeurs de mesure d’un service social, d’un service rendu à la société ?
Construire un système de notation commun, reconnu et non contestable.Pour moi, c’est :

  • permettre l’accès de tous à la complémentaire de santé ;
  • pas d’exclusion, pas de sélection des risques ;
  • aider les populations économiquement fragiles ;
  • permettre l’accès financier à des soins de qualité ;
  • assurer des mécanismes de mutualisation ;
  • avoir une gestion efficiente et transparente ;
  • mettre en œuvre des actions de prévention et de promotion de la santé.

On peut aussi ajouter :

  • responsabiliser tous les acteurs ;
  • développer toutes les formes de solidarité, de lien social et d’éthique sociale ;
  • accompagner, former et informer ;
  • développer et renforcer la démocratie participative.

Pour chacun de ces axes (la liste n’est pas limitative), il est nécessaire de construire des indicateurs pour en mesurer la « plus-value sociale ».

Le premier est sans doute celui des « performances » de chaque axe, qui peut se déterminer en fonction de plusieurs critères :

  • efficacité,
  • efficience,
  • cohérence,
  • pertinence,
  • novation,
  • RT, ajoutons le capital humain de la mutuelle.

Le tout bien sûr prenant en compte le positionnement de la mutuelle, ses ressources, la place dans la stratégie globale et enfin les équilibres financiers. Avec aussi l’existence et la qualité des liens avec la population protégée de la mutuelle.

Le second touche à la pertinence, à la fiabilité, à la stabilité dans le temps des différents indicateurs et naturellement à leur portabilité.

Un troisième enfin porte sur le fait que toute entreprise souhaitant investir doit d’abord faire une série d’évaluations. Alors, l’intérêt que tous les mutualistes ont à accepter, si nous voulons rester ce que nous sommes, avec nos spécificités, est bien de construire un système de notation commun, reconnu et non contestable.

(1) La mutuelle UMC a participé à l'expérimentation « reference value » menée par le cabinet Goodwill avec le soutien de Bpifrance.

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