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28 / 02 / 2018 | 9 vues
Jacky Lesueur / Abonné
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« L'ESS est une aile avancée de l’intérêt général » - Hugues Sibille

Hugues Sibille (président du Labo de l’ESS) revient sur la mission « entreprise et intérêt général » pour Chorum Cides, au moment où leurs rapporteurs, Nicole Notat et Jean-Dominique Sénard achèvent leurs entretiens. Il identifie les points positifs et de vigilance de l’initiative gouvernementale...

Les acteurs de l’ESS se sont-ils suffisamment fait entendre dans le débat « entreprise et intérêt général  » ?

On souhaite voir les principes de l’ESS infuser l’économie, tout en s’inquiétant de l’effet de dilution… J’ai été reçu et je sais que d’autres dirigeants de l’ESS l’ont été...(ou vont l'être). Les acteurs ont peut-être une approche prudente, consistant à s’exprimer d’abord auprès des gens chargés de cette mission plutôt que de s’exprimer publiquement ou dans les médias. L’ESS semble sur la défensive dans ce débat et peine à sortir de cette ambivalence où l’on souhaite voir les principes de l’ESS infuser l’économie, tout en s’inquiétant de l’effet de dilution…

J’ai toujours pensé que le fait que des structures de l’ESS montent des opérations avec des entreprises qui n’en font pas partie était tout à fait respectable si celles-ci le font clairement en assumant leurs différences et sans se banaliser. La loi de 2014 permet de jouer l’ouverture car elle définit un périmètre clair de ce qu’est l’entreprise sociale et solidaire.

Mais nous ne sommes pas assez offensifs sur un certain nombre de débats comme l’entreprise libérée, comme nous ne l’avions pas été sur la RSE… Nous devrions en être les pionniers. Je prône l’offensive intellectuelle, stratégique et managériale. Par exemple, en travaillant sur la démocratie d’entreprise. Nous passons notre temps à dire que nous avons des gouvernances démocratiques. Très bien mais je crains que nous ne soyons pas toujours à la hauteur de la promesse…

Quelles seraient les chantiers pour rester des « pionniers » ?

En premier lieu, passer d’une simple démocratie d’élection à une démocratie de délibération. Le rôle des assemblées générales et le débat sur les résolutions doit évoluer.

Deuxièmement, les parties prenantes de la gouvernance. Il faut dépasser le mono-sociétariat pour aller vers une gouvernance de multi-sociétariat. L’avenir des entreprises est à une gouvernance qui intègre l’ensemble des parties prenantes : les détenteurs de parts sociales, les salariés, les clients, les ONG et la communauté locale, en fonction des sujets…

C’est ça, l’intérêt général. Le capitalisme nous roule dans la farine quand il nous parle des « stakeholders » pour nous dire qu’ils sont importants. Car, quand il faut décider, c’est au capital (« shareholders ») qu’on s’en remet et à celui qui en détient la fraction la plus importante…

Troisième chantier, l’ESS doit être à la pointe de l’ancrage territorial de l’entreprise afin d’approfondir notre différence, avec les grands groupes mais même avec les PME familiales qui, lorsque le fondateur s’en va, sont souvent désossées après avoir été vendues à un groupe.

Que peut apporter l’ESS au débat ? N’est-ce pas justement son expérience éprouvée de deux principes à la base d’une organisation d’intérêt général, que sont la gestion désintéressée et la gouvernance démocratique ?
Bien sûr. Une gestion désintéressée et une gouvernance associant les différentes parties prenantes donnent beaucoup plus d’assurance pour être une entreprise d’intérêt général, qu’une entreprise reposant exclusivement sur la décision de l’actionnaire. C’est là que j’attends l’ESS et c’est là qu’est notre modernité. Aujourd’hui, elle n’est pas assez revendiquée par les acteurs et peu perçue et considérée par les pouvoirs publics. Que ce soit à Bruxelles ou à Paris, on en reste souvent à une vision classique de l’entreprise faite pour créer de la valeur pour l’actionnaire.

Ce débat est-il un signe positif pour autant ?
Oui. On ne peut pas être contre le fait qu’un gouvernement cherche à encourager les entreprises à être plus vertueuses. Changer le code civil peut-être positif. Sécuriser les mouvements de capitaux et éviter les OPA hostiles également. En revanche, il faut être vigilant sur plusieurs points et éviter de multiplier les statuts. Il existe déjà 7 types de statuts de fondations.

L’évolution du code civil pourrait-elle avoir un effet de dilution de l’ESS dans le grand tout de l’entreprise ?
Je ne le pense pas pour le code civil et j’y suis favorable. Mais le MEDEF le voudra-t-il ? Pour ce qui est de la société à objet social étendu (SOSE), c’est différent. Si la création d’un nouveau statut a pour effet de diluer les financements de l’épargne salariale solidaire ou les avantages fiscaux car ils seraient accessibles aux SOSE, alors là, il y a un risque de fragilisation de ce qu’est l’ESS. Le gouvernement devrait défendre le fait qu’il y a, à l’intérieur du champ des entreprises, une catégorie qui intègre d’avantage l’utilité sociale : l'ESS qui est une sorte d’aile avancée au cœur de l’intérêt général. Si, au bout du compte, on a une ESS diluée et des jeunes qui veulent y aller en pensant que Vinci ou Enercoop, une SCIC ou une SOSE, c’est pareil, je dis non. Albert Camus a dit « Mal nommer les choses, c’est contribuer au malheur du monde », Je reste favorable à ce qu’il reste un secteur de l'ESS identifié comme tel, qui obéisse à certaines règles écrites dans la loi. Cette loi, c’est celle du 31 juillet 2014.

Le rapport doit être remis début mars. Le projet de loi PACTE doit sortir en avril et le débat se déplacera alors au niveau parlementaire. Comment l’ESS peut-elle continuer de se faire entendre ?
J’ai une première proposition concrète : que le Conseil supérieur de l’ESS (CSESS) se saisisse, soit du rapport Notat-Sénard, soit du projet de loi en tant que tel. Je le demande à notre Haut-Commissaire, Christophe Itier : faites en sorte que le CSESS, présidé par Nicolas Hulot et que vous animez, soit saisi de cet important sujet. Nous sommes des entreprises et devons être considérés comme telles.

Je rappelle qu’on a promu lors du précédent quinquennat un CICE sans se rendre compte qu’une partie des employeurs ESS était hors CICE : les employeurs associatifs. Faut-il qu’à chaque fois que surgit un sujet d'entreprise dans le débat public, les 230 000 établissements et 2,3 millions de salariés de l’ESS passent sous le radar ? Ce n’est pourtant pas rien...

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