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Une cassette de 30 milliards d’euros en formation mais moins de 100 euros par travailleur et par an
De toute part, les critiques fusent à l’encontre d’une formation professionnelle supposée dispendieuse et qui gâcherait annuellement 30 milliards d’euros sans résultats avérés sur le terrain. Le chef de l’État a récemment mandaté un parlementaire pour établir un énième rapport sur la formation (plus de 50 rapports ou livres blancs sur le sujet depuis 10 ans).
Posons-nous pourtant quelques questions financières et pratiques : où va l’argent ? Qui gagne des millions et si la formation est censée concerner tous les salariés tout au long de la vie, pourquoi 50 % des budgets sont-ils dévolus à seulement 6 % de ces mêmes salariés ?
La réponse est simple : les chiffres sont trompeurs, ce n’est pas de 30 milliards d’euros que disposent les responsables de formations des entreprises pour former ou reconvertir les 15 millions de salariés du privé mais sans doute de moins de 5 % de cette somme.
Les sommes en jeu dans le secteur privé
Même si la somme globale de 30 milliards n’est pas discutable, il faut comprendre que les entreprises du secteur privé (qui apportent 42 % des fonds) ne disposent pour leurs salariés que d’un gros tiers de ces même 30 milliards. Le second tiers est dévolu à l’enseignement professionnel et à l’apprentissage et le troisième à la formation dans les trois fonctions publiques ainsi qu’à celle des demandeurs d’emplois.
- Si l’on prend donc comme base ces 12 milliards d’euros annuels dont disposeraient les entreprises (via leur OPCA ou en direct sur leur budget formation) et si l’on ramène ce montant aux 15 millions de salariés du privé, on parvient à un montant moyen de 800 euros par personne.
Cette somme peut sembler confortable (pas tant que cela si on la compare aux 10 000 euros annuels pour la formation d'un lycéen) mais très peu d’entreprises disposent d’une telle somme pour former tous leurs salariés.
En fait, sur le terrain réel des actions de formation, les pertes en ligne et ponctions diverses sont considérables :
- il faut tout d’abord retirer environ 600 millions d’euros ponctionnés par les OPCA (les OPCA gèrent 6 milliards et prélèvent pour leur fonctionnement environ 10 %) ;
- l’État prélève quant à lui (et ce depuis 2010) pour son fond de sécurisation des parcours de 10 à 13 % des budgets formation (soit de 800 millions à 1 milliard).
Les ponctions des budgets de formation ne s’arrêtent pas là car il faut aussi prendre en compte l’imputabilité des dépenses de formation (la prise en charge sur les obligations légales de certains frais annexes à la formation) :
- le maintien du salaire des formés, charges comprises (coût du temps passé en formation ou en bilan de compétences). Pour un salarié non qualifié, cela représente 15 euros par heure (soit 300 euros pour 20 heures de formation) mais pour un cadre ayant un salaire chargé de 40 euros, cela représente 800 euros pour 20 heures de formation ;
- le coût de la structure formation (rémunération chargée des formateurs, y compris des formateurs à temps partiel, celle du personnel administratif) ;
- les frais de fonctionnement (location, entretien de locaux et mobilier & ouvrages, documentation pédagogique, abonnement à des publications utiles à la formation) ;
- l’amortissement du matériel pédagogique ;
- les dépenses administratives (on admet un forfait de 5 % des frais de personnel formateur et non formateur) ;
- les dépenses de transport et d’hébergement des formateurs en lien avec les réalisations de formation ;
- les dépenses de transport, d’hébergement et de restauration des stagiaires ;
- et enfin le coût des interventions d’organismes de formation (y compris le coût de l’analyse des besoins si celle-ci est suivie d’une action de formation.
Reprenons donc ces fameux 800 euros par personne :
50 euros pour l’OPCA, 100 euros pour le FPSPP, 300 euros pour le salaire du formé, 200 euros pour les frais de déplacement et de restauration, 100 euros pour le service de formation de l’entreprise… Il reste au final de 50 à 100 euros pour la formation de chaque salarié dans une entreprise de main d’œuvre.
Dès lors, le choix économique des employeurs est très simple : plutôt que de répartir la pénurie, on va porter l’essentiel des efforts sur les plus qualifiés : on forme les cadres et les ingénieurs avec des budgets conséquents (le MBA à 30 000 euros pièce n’est pas exceptionnel), on fait tourner son service de formation (parfois surdimensionné) et on consacre le solde de son budget aux ouvriers et employés (qui représentent 95 % du personnel dans les entreprises de main d’œuvre).
- C’est ainsi qu’en 2007, dans une grande entreprise industrielle de Picardie, le responsable de la formation a avoué qu’il disposait en tout et pour tout de 80 euros par an et par salarié ouvrier pour la formation. Depuis, cette entreprise (qui a fait les gros titres de la presse en 2009) a fermé ses portes en laissant sur le carreau près de 1 200 ouvriers.
Du chiffre considérable de 30 milliards d’euros par an, on a souvent sur le terrain moins de 100 euros par an et par personne dans les entreprises de main d’œuvre (dans les collectivités territoriales ou les hôpitaux publics les données sont équivalentes).
Si M. Larcher veut mettre de l’ordre dans la formation professionnelle il faut donc lui suggérer de revoir certaines règles comptables et fiscales en France (tout en permettant au passage aux entreprises de provisionner le DIF).
Il faudrait aussi suggérer à l’État de cesser de changer les règles du jeu tous les 3 ans tout en s’exonérant d’aborder la vraie question de fond : peut-on donner des leçons de vertu quand on promène le mammouth Éducation nationale avec soi, mammouth dont la plupart des indicateurs de qualité et d’efficacité virent au rouge depuis près de 20 ans ?