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25 / 07 / 2016 | 18 vues
Remy Poulain / Membre
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Seulement 24 % de femmes conseillers du salarié : une mission misogyne ?

La DIRECCTE de Rhône-Alpes vient de publier une étude sur les conseillers du salarié[1].

Cette étude quantitative a été menée auprès de 1 100 conseillers et réalisée dans le but d’obtenir une vision d’ensemble de leurs caractéristiques, des conditions d’exercice de cette mission, des difficultés ressenties et des demandes d’amélioration. Il en ressort que les conseillères ne sont que 24 % à exercer cette mission[2].

Pour quelles raisons les femmes sont-elles si peu nombreuses en tant que conseillères du salarié ?

  • La première hypothèse serait de ne considérer ce pourcentage que comme une situation purement locale, circonscrite aux 8 départements de la région, et qu’au niveau national, la situation serait tout autre.
  • La deuxième serait que les désignations ne respecteraient pas la parité depuis longtemps.
  • La troisième est que les femmes renouvelleraient moins leur mission après la première désignation. La dernière hypothèse suggère que certaines difficultés rencontrées par les femmes les écarteraient de leur mission.

Le grand nombre de personne ayant répondu à cette étude écarte le biais que pourrait induire une faible participation[3].

Causes externes : géographie et syndicalisme

La désignation des conseillers est géographiquement circonscrite à chaque département. Dans chaque département, chaque syndicat présente sa liste de conseillers. Le problème peut donc être lié à individuellement ou conjointement à ces deux causes.

Particularisme local

La surreprésentation des hommes parmi les conseillers attire l’attention de l’auteur de l’étude. Elle ne correspond pas à la situation rencontrée dans le monde du travail, d’où sont issus les conseillers à 72 % ou les retraités (24 %).

Cette situation est-elle propre à la région Rhône-Alpes, contrairement au niveau national ?

La DGT[4] apporte une réponse dans son bilan annuel sur les conseillers : « En 2011, le bilan d’activité fait ressortir la présence de 10 056 conseillers du salariés désignés sur le territoire, dont 76 % d’hommes et 24 % de femmes[5] ». Ce pourcentage national est strictement identique à celui de la région Rhône-Alpes. Une autre étude de la DIRECCTE de Normandie dresse les nominations par sexe depuis 1996 : la proportion de femmes oscille entre 16 et 24 %[6].

D’autres départements possèdent la même caractéristique :

  • 23 % de femmes dans le département du Nord[7],
  • 33 % dans le département des Pyrénées-Orientales[8],
  • 25 % dans le département du Val-de-Marne[9].

La première hypothèse de ne considérer le faible pourcentage féminin comme une situation purement locale ne peut prospérer. La deuxième hypothèse serait que les désignations ne respecteraient pas la parité, depuis longtemps.

De la revendication de la parité par les syndicats à la mise en œuvre

La DIRECCTE pense que la faible représentation des femmes serait issue du faible pourcentage de syndiquées[10]. Or, leur pourcentage est nettement supérieur au niveau national[11], entre 40 et 50 % en moyenne.

Lors de chaque renouvellement des conseillers du salarié, les syndicats prétendent appliquer la parité : « J’ai connu le mandat de conseiller du salarié l’année dernière par l’intermédiaire de l’union départementale, qui m’a proposé de postuler, ce que j’ai fait. Il fallait des femmes sur la liste, au nom de la parité[12] ». « C’est un collègue qui m’a fait découvrir cette fonction de conseiller du salarié et qui me l’a proposée. Il fallait une femme pour la parité[13] ». 
« Nous avons 22 conseillers du salarié dans le département. Nous en avons renouvelé la moitié, en nous focalisant sur la parité et les jeunes[14] ». Cette parité tant vantée en 2014 s’étend-elle à toutes les organisations syndicales de manière homogène et dans tous les départements ? Si oui, depuis combien de temps ?

Une prise en compte tardive de la désignation paritaire pourrait expliquer la différence, liée à l’inertie de la durée des mandats et des conseillers renouvelant leur mandat[15]. Cette hypothèse ne peut donc être écartée, seule une étude poussée pourrait apporter une réponse à cette question.  

Causes internes : renouvellement fatal et épreuves inhérentes à la mission

Une fois plongées dans leur mission, les femmes affrontent deux caractéristiques de la mission du conseiller du salarié : une forte élimination à la fin de la première désignation[16] et la confrontation à des difficultés récurrentes.

Attrition issue du non-renouvellement ?

Selon l’étude, « la répartition des conseillers « actifs » selon leur ancienneté dans la mission est assez équilibrée. 30 % ont moins de trois ans d’ancienneté, ce qui dénote un renouvellement notable de ces derniers et l’intérêt porté par les syndicats à cette mission, 49 % ont entre trois et dix ans d’ancienneté et 21 % plus de dix ans d’ancienneté[17] ».  

Au vu des autres chiffres, le fort pourcentage de renouvellement suppose de considérer que bien des premières désignations ne sont pas suivies de renouvellement. La stabilité n’intervient que pour ceux, peu nombreux, qui souhaitent poursuivre leur mission. Les femmes sont-elles plus touchées par cette singularité ?

Cette forte élimination pose une première question : retrouve-t-on ce même phénomène dans les mandats de représentation du personnel (délégués du personnel, comité d’entreprise…) et une seconde : les difficultés de la mission ont-elles plus d’effets sur les femmes ?

Écueils naturels de la mission de conseiller du salarié

Plusieurs difficultés rencontrées par les conseillers au cours de leur mission reviennent fréquemment dans leur témoignage[18].

En premier lieu, la formation insuffisante, organisée par les syndicats. Ces dernières sont jugées tout à fait suffisantes et adaptées par 60 % d’entre eux, partiellement pour 36 % et pas du tout par 4 %. L’écart d’appréciation entre hommes et femmes est ici notable puisque 63 % des hommes (contre 51 % des femmes) sont tout à fait satisfaits de ces formations, sans que des facteurs explicatifs aient pu être établis. Une hypothèse est que les femmes étant proportionnellement plus nombreuses à avoir une faible ancienneté dans la mission (40 % ont moins de 3 ans d’ancienneté, contre 26 % des hommes), celles-ci ont peut-être davantage d’attentes vis-à-vis des formations[19]».

Pour les conseillers qui ne sont pas pleinement satisfaits par les formations suivies (c'est-à-dire 40 % des conseillers au total), c’est avant tout le caractère partiel des formations qui est pointé (41 % d’entre eux). Le deuxième problème pointé est celui de la fréquence des formations (30 % des répondants), notamment au regard d’une législation qui évolue régulièrement. Enfin, aux autres écueils moins souvent formulés ressortent de l’enquête : la durée des formations, jugée trop courte par 16 % des répondants et l’aspect trop théorique des formations[20].

De plus, 41 % des conseillers n’ont pas l’assurance d’avoir toutes les compétences nécessaires pour remplir leur mission correctement. Le point de vue partiellement ou totalement négatif sur les formations suivies et l’absence d’un mandat de représentant du personnel ou de défenseur syndical sont parmi les facteurs explicatifs de cette difficulté. En d’autres termes, le manque de formation ou le manque d’expérience syndicale expliquent que cette difficulté soit pointée. À noter que, moins satisfaites des formations suivies, les femmes sont plus nombreuses à faire part de ce type de difficulté (56 %, contre 36 % des hommes)[21]

Le manque de formation initiale avait déjà été relevé avant cette étude, tant par des avocats travaillistes[22] que par des conseillers eux-mêmes[23]

De plus, le problème du manque d’échanges avec les autres conseillers concerne 30 % d’entre eux. Un facteur d’explication est l’appréciation sur les formations suivies. Plus cette appréciation est mauvaise, plus le manque de partage d’expériences entre conseillers du salarié est pointé[24].

Aux désagréments déjà proposées lors du questionnaire, les conseillers en ont ajouté :

Le premier d’entre eux est le manque de temps pour remplir la mission (14 % des conseillers)[25]. L’activité liée au mandat syndical excède le cadre de la mission légale des conseillers n’est pas indemnisée mais pèse fortement sur l’activité de conseiller dans l’articulation avec sa vie professionnelle et personnelle[26] [27]. Au temps passé à la mission légale (entretien et déplacement) s'ajoutent l’étude, la préparation, le débriefing et la rédaction d’un compte-rendu. Ces dernières activités sont chronophages mais indispensables à l’efficacité de la mission.

Une autre difficulté est la dimension humaine pour 8 % des conseillers. Dans son aspect négatif, elle se retrouve tant dans l’attitude de l’employeur (agressivité) que dans celle des salariés (le fait de mentir, d’avoir caché des informations au conseiller) ou dans la relation à gérer entre les deux parties dans un contexte tendu ou conflictuel[28].

On peut se demander si l’aspect de confrontation fait fuir les conseillères du salarié.

Il a été demandé aux conseillers de définir leur mission. Les termes qui reviennent le plus pour la définir sont « utile », « indispensable », « nécessaire » et « importante »[29].

La mission sécurise le salarié en amont même de l’entretien dans le sens où elle permet de le « rassurer » et de lui apporter un « soutien ». Elle sécurise également la relation humaine avec l’employeur durant l’entretien, dans le sens où elle permet une « médiation », où elle « apaise » les tensions. On retrouve ici les termes qui constituent la motivation des conseillers pour s’engager dans cette mission : « aider », « défendre », « accompagner » etc. les salariés. Cependant, il n’y a aucune précision sur le fait qu’il pourrait exister une différence de motivations et d’attentes en fonction du genre des conseillers.

La difficulté de la mission et ses limites en matière de résultats sont mises en avant au regard d’un investissement personnel lourd car non indemnisé. Le conseiller se voit comme ayant peu de pouvoir sur l’issue de l’entretien, tout au plus comme un accompagnateur de la rupture de contrat, garant d’une procédure respectée dans un climat apaisé. Le manque de connaissance de cette mission par les salariés et les employeurs est également déploré par les répondants, ainsi que le manque de reconnaissance de la part des salariés et de la DIRECCTE. La mission de conseiller s’effectue le plus souvent en solitaire, en dehors de tout collectif apportant de la reconnaissance, du lien social, ou même de l’information en retour. Ce résultat social peut être jugé décevant par les conseillères[30].

Le fait de préparer individuellement les entretiens préalables multiplie par 2,3 la volonté de se faire appuyer par la DIRECCTE et par 1,7 celui de ne pas avoir l’assurance d’avoir toutes les compétences nécessaires pour remplir correctement cette mission[31]. Les femmes étant plus nombreuses que les hommes dans ce second cas, elles sont 36 % à souhaiter plus d’appui, contre 19 % des hommes.

Les femmes douteraient-elles de leur capacité à effectuer cette mission, en mesurant les carences de leurs connaissances en droit du travail ?

Si quelques pistes ont pu être rapidement écartées, quelques questions restent en suspens. Ainsi, il reste à valider si la parité parfois revendiquée lors des désignations est généralisée et connaître la part des femmes dans le non-renouvellement à la fin de leur première désignation.

Jugée trop courte et partielle, la formation initiale doit être renforcée pour permettre aux conseillers de se sentir plus à l’aise dans leur mission.

Enfin, l’objectif d’obtenir une meilleure compatibilité entre la mission de conseiller et une vie professionnelle et familiale, ne peut passer que par un questionnement sur la reconnaissance du mandat syndical, chronophage, mais non compris dans le temps nécessaire à l’exercice de la mission[32].



[2] Didier Graff, étude, p. 10 : « La répartition des conseillers par sexe donne une large surreprésentation des hommes (76 %, contre 24 % de femmes). Si celle-ci ne reflète pas la réalité de l’emploi salarié, on peut émettre l’hypothèse qu’elle se rapproche de la représentation syndicale en entreprise ».

[3] Méthodologie, étude précitée, p. 6.

[4] DGT : Direction générale du travail.

[5] Cité dans Les conseillers du salarié, état des lieux 2014, par Poulain Rémy, annexe, p. 120.

[7] Les conseillers du salarié, état des lieux 2014, annexe, op.cit., p. 120. « Pour 2013, nous avons 57 femmes et 188 hommes sur 245 conseillers ».

[8] Idem, p. 111. « Nombre de CS en 2013 : 78, 52 hommes, 26 femmes ».

[9] Idem, p. 118 « Hommes : 82 – femmes : 27 ».

[10] Étude, p. 10, « La répartition des conseillers par sexe donne une large surreprésentation des hommes (76 %, contre 24 % de femmes). Si celle-ci ne reflète pas la réalité de l’emploi salarié, on peut émettre l’hypothèse qu’elle se rapproche de la représentation syndicale en entreprise ».

[11] « Les femmes, qui constituent près de la moitié de la population active salariée, représentaient, en 2014, 36,8 % des adhérents de la CGT, 47 % de ceux de la CFDT, 45 % de ceux de la CGT-FO, 42 % de ceux de la CFTC, 29,1 % de ceux de la CFE-CGC et 52 % de ceux de l’UNSA. L’évolution est lente, mais elle est en marche. Ainsi,  en 2011, parmi les nouveaux adhérents de la CGT, 43 % étaient des femmes ». Claire Guichet, « Les forces vives au féminin », Conseil économique et social, octobre 2015.

[12] Les conseillers du salarié, état des lieux 2014, op. cit., annexe, p. 69.

[13] Les conseillers du salarié, état des lieux 2014, op. cit., annexe, p. 82.

[14] Les conseillers du salarié, état des lieux 2014, op. cit., annexe, p. 132.

[15] Étude, p. 10 : « Une hypothèse est que les femmes étant proportionnellement plus nombreuses à avoir une faible ancienneté dans la mission (40 % ont moins de 3 ans d’ancienneté, contre 26 % des hommes)».

[16] On ignore le pourcentage exact de primo-désignés qui ne renouvellent pas leur mission, tous sexes confondus. Il devrait approximativement avoisiner les 50 %.

[17] Étude, p. 15.

[18] Étude, p. 25 : « Trois types de difficultés ont été soumis, via l’enquête, aux conseillers du salarié pour en mesurer la fréquence : le manque de disponibilité pour répondre aux demandes, l’incertitude sur la possession des compétences nécessaires à cette mission et le manque de partage avec d’autres conseillers ».

[19] Étude, p. 23.

[20] Étude, p. 24.

[21] Étude, p. 25.

[22] Les conseillers du salarié, état des lieux 2014, op. cit., annexe, pp. 16, 23, 26, 28, 33, 40 et 45 : « Le niveau des conseillers est médiocre, je me demande s’ils ont reçu une formation ».

[23] Les conseillers du salarié, état des lieux 2014, op. cit., annexe, p. 47 : « Comme notre syndicat national ne nous forme plus, je demande à la DIRECCTE de réaliser des formations, gratuites ou avec des avocats. Notre syndicat nous offre juste une brochure ».

[24] Étude, p. 25.

[25] Étude, p. 26.

[26] Étude, p. 26.

[27] Les conseillers du salarié, état des lieux 2014, op. cit., pp. 26-39.

[28] Étude, p. 26.

[29] Étude, p. 27.

[30] Les conseillers du salarié, état des lieux 2014, op. cit., annexe, p. 93 : « Ce qui lui déplaît, c’est que les salariés ne se rendent pas compte de l’investissement en temps et en énergie, d’avoir un compte-rendu à rédiger. Elle attend au moins un remerciement, ce qui n’arrive pas à chaque fois ». P. 100 : « Quelque temps à la suite de l’entretien, certains salariés les remercient chaleureusement, alors que d’autres feignent de ne pas les reconnaître ».

[31] Étude, p. 28.

[32] 15 heures par mois, en application de l’article L1232-8 du Code du travail.

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