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15 / 12 / 2025 | 18 vues
Eric Gautron / Abonné
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Sinistralité en mutation des AT-MP : baisse des accidents, explosion des maladies professionnelles

La publication, le 13 novembre 2025, du rapport annuel 2024 de l’Assurance Maladie – Risques Professionnels constitue, comme chaque année, un rendez-vous essentiel pour comprendre
l’évolution de la sinistralité au travail en France. Ce rapport apporte un éclairage précieux sur les tendances observées dans les déclarations d’accidents du travail et de maladies professionnelles.


Rappelons toutefois que ces données, si importantes soient-elles, restent incomplètes en raison d’une sous-déclaration et d’une sous-reconnaissance toujours très importantes des AT/MP, en particulier dans certains secteurs et/ou sur certaines pathologies d’origine professionnelle.


Pour autant, les enseignements du rapport sont sans ambiguïté : si certains indicateurs semblent s’améliorer, les risques professionnels évoluent et continuent de peser lourdement sur les travailleurs.


I. Une sinistralité en mutation : baisse des accidents, explosion des maladies professionnelles


Le rapport confirme une légère diminution des accidents du travail (–1,1 % en 2024), mais cette baisse apparente masque une réalité bien plus préoccupante : les maladies professionnelles
progressent de manière constante (+6,7 %). Les troubles musculosquelettiques représentent près de 90 % des maladies professionnelles, tandis que les affections psychiques poursuivent leur flambée (+9 % en un an, un doublement depuis 2020).


Pour nous , cette évolution témoigne d’une aggravation des conditions de travail, marquée par l’intensification des tâches, les exigences organisationnelles accrues, les effectifs insuffisants et les pressions psychiques croissantes. La santé au travail se dégrade, même si les formes de sinistralité changent.

II. Indemnités journalières : un signal d’alerte majeur


Les indemnités journalières atteignent désormais 4,9 milliards d’euros et deviennent le premier poste de dépenses de la branche. Avec une hausse de +10,8 % en 2024, leur poids ne cesse de
croître.


Nous refusons que cette augmentation soit utilisée pour stigmatiser les salariés ou remettre en cause leurs droits. Elle reflète avant tout l’épuisement professionnel, la multiplication des pathologies liées au travail et la détérioration des conditions d’exercice. Ce n’est pas l’arrêt de travail qui est « trop facile » : c’est le travail qui abîme trop.


III. Un niveau de mortalité au travail toujours inacceptable


En 2024, 1 297 décès liés au travail ont été enregistrés tous sinistres confondus (accidents du travail, accidents de trajet et maladies professionnelles). Ce chiffre est en augmentation par rapport à 2023, avec 10 décès supplémentaires.
 

 

  • 764 décès sont survenus à la suite d’un accident du travail, soit 5 de plus que l’année précédente. Plus de la moitié de ces décès sont classés comme des « malaises », un terme qui renvoie souvent à une analyse insuffisante des facteurs professionnels sous- jacents (intensification du travail, chaleur, stress, charge mentale, exposition aux substances, etc.). Les décès dont l’origine professionnelle est clairement identifiée restent stables, avec 185 cas.

 

  • 318 décès proviennent d’un accident de trajet, dont 222 accidents routiers. Les trajets domicile–travail demeurent ainsi une source majeure de risque. Par ailleurs, il convient d'attirer l’attention sur un phénomène préoccupant : certains accidents routiers survenant lors de missions professionnelles seraient assimilés à tort à des accidents de trajet, alors qu’ils devraient juridiquement être reconnus comme des accidents du travail. Cette mauvaise qualification n’a aucune incidence pour la victime en termes de droits. En revanche, elle a un impact direct sur les entreprises puisque les accidents de trajet ne sont pas imputés à l’employeur dans la tarification des AT/MP mais sont financés via le compte spécial, alimenté par l’ensemble des cotisants. A l’inverse, un accident de mission relève de la responsabilité professionnelle et devrait être rattaché au compte employeur. Cette confusion statistique biaise les indicateurs de sinistralité, sous-estime les risques professionnels réels et affecte l’équité du système de tarification.

 

  •  215 décès sont liés à une maladie professionnelle, un chiffre en progression (+19 cas), confirmant que les pathologies d’origine professionnelle – notamment les expositions chroniques et les maladies longues – continuent de tuer massivement, parfois des années après l’exposition.


Les jeunes travailleurs sont également très exposés : plus de la moitié des décès des moins de 25 ans surviennent dans l’année suivant la prise de poste. Cela révèle des failles persistantes
dans les processus d’intégration, de formation et de sécurisation des premières affectations.


Ce niveau de mortalité n’est pas seulement inacceptable, il est indigne d’un pays développé. Les 1 297 décès en 2024, cela représente 25 morts par semaine. 25 familles brisées, chaque semaine
par le travail. Ce chiffre doit frapper les esprits : on ne peut pas parler de « risques résiduels » ou de « fatalité statistique » lorsque le travail continue de tuer à un tel rythme.


Notre organisation syndicale  réaffirme que la lutte contre la mortalité au travail doit être une priorité absolue et nécessite des politiques d’accueil et de formation renforcées, un encadrement de proximité stable et présent, une analyse systématique des « malaises » pour ne plus invisibiliser leur origine professionnelle, une sécurisation des postes, en particulier dans les secteurs à forte rotation ou recourant massivement à l’intérim, un renforcement des moyens des CSE et des inspecteurs du travail.


La mortalité au travail n’est pas une fatalité : c’est l’indicateur le plus grave de l’insuffisante prévention dans les entreprises. Nous continuerons  de porter cette exigence au plus haut niveau.


IV. Des risques physiques persistants : manutention, chutes, outillage


La manutention manuelle demeure la première cause d’accidents (50 %), suivie des chutes de plain-pied et des chutes de hauteur (27 % au total). Ces chiffres rappellent que la prévention deb la pénibilité, la mécanisation, la formation et l’aménagement des postes doivent être placés au  cœur des politiques d’entreprise.


Il importe aussi d' insister sur le rôle essentiel des CSE et sur la nécessité d’une véritable prise en compte des risques professionnels dans les organisations de travail.


V. L’intérim, toujours un secteur à très haut risque


L’indice de fréquence des accidents reste presque deux fois plus élevé dans l’intérim que dans l’ensemble des secteurs. Bien que la réforme de 2024 rééquilibre désormais la prise en charge
financière des sinistres entre entreprises de travail temporaire et entreprises utilisatrices, elle ne règle pas le problème de fond : les travailleurs précaires restent les plus exposés à la dangerosité
du travail.


Nous  réaffirmons  que la lutte contre la sous-traitance en cascade et la protection des intérimaires doivent être des priorités.


VI. Les risques psychosociaux, grande urgence du monde du travail


L’augmentation de 14 % des accidents du travail comportant une dimension psychique, et la progression rapide des maladies professionnelles psychiques, doivent être considérées comme
un signal d’alarme majeur. Les femmes (67 % des cas) et les salariés de plus de 50 ans sont particulièrement touchés, illustrant l’impact différencié des organisations du travail et des charges mentales selon les catégories professionnelles.


La confédération alerte sur l’insuffisance des politiques de prévention des risques psychosociaux et réaffirme son attachement au rôle du CRRMP, garant d’une reconnaissance indépendante et collégiale indispensable face à l’explosion des pathologies psychiques.


Elle  réitère également une revendication de longue date : la création d’un tableau de maladie professionnelle dédié aux RPS. L’absence de tableau rend en effet la reconnaissance des
affections psychiques plus difficile, allonge les délais, génère des inégalités de traitement et contribue à la sous-reconnaissance de ces pathologies pourtant massives. L’ouverture d’un
tableau permettrait de mieux encadrer les critères médicaux, de sécuriser les démarches des victimes et d’assurer une reconnaissance véritablement protectrice.


VII. Un excédent de la branche qui doit servir la prévention


Malgré cette sinistralité, la branche AT/MP enregistre un excédent de 686 millions d’euros pour 2024. Dans le même temps, l’enveloppe dédiée aux aides financières à la prévention a été réduite
et plafonnée dans le cadre de la nouvelle COG.


Force Ouvrière demande que les excédents de la branche servent prioritairement à renforcer la prévention, à soutenir les entreprises dans l’aménagement des postes et à augmenter les moyens des CSE. La prévention ne doit plus être la variable d’ajustement budgétaire.


VIII. Conclusion


Le Rapport AT/MP 2024 met en évidence une transformation profonde des risques professionnels et une dégradation préoccupante de la santé au travail.

FO appelle à une mobilisation accrue des pouvoirs publics, des employeurs et des institutions pour inverser cette tendance.


La priorité doit être :
 

  • La transposition de l’ANI du 15 mai 2023 ;
  • Une prévention primaire ambitieuse ;
  • Le retour des CHSCT ;
  • La lutte contre les risques psychosociaux et la création d’un tableau dédié ;
  • La mise en place de sanction pour les employeurs défaillants et le renforcement de la faute inexcusable de l’employeur ;
  • Le maintien des CRRMP comme garde-fou essentiel ;
  • La protection des droits des victimes ;
  • Et la défense des travailleurs précaires particulièrement exposés.


Notre organisation syndicale entend  rester pleinement engagée pour défendre l’intégrité physique et psychique des salariés et exiger que la santé au travail demeure un droit fondamental, et non une variable d’ajustement économique.
 

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