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16 / 02 / 2022 | 175 vues
Christian Oyarbide / Membre
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Pourquoi et comment piloter une mutuelle par les valeurs ?

Dans nos démocraties représentatives en crise, l’État centralisé n’est pas en situation d’anticiper ni même d’aller au-devant des difficultés individuelles (et dans bien des cas collectives) que les citoyens connaissent. Face à des demandes qui ont du mal à s’exprimer ou non solvables, il est inconcevable de laisser cette mission au marché, mission que les acteurs «marchands» ne revendiquent d'ailleurs pas.

Nous partons donc de la conviction que, face à des besoins que ni le marché ni l’État sont à même de résoudre, seuls des acteurs de proximité, solidaires et démocratiques (pour certains dénommés « corps intermédiaires ») sont en situation d’agir utilement.

Pourtant, accaparées par la pression des contraintes prudentielles, du marché et de l’État, les mutuelles se sont trouvées incapables de repenser leurs modèles face aux profondes évolutions des sociétés occidentales : mobilités de tous ordres distendant les liens de solidarité anciens, apparition de nouveaux besoins (pertes d’autonomie, pathologie chroniques, exclusions, dislocation du mythe du salariat généralisé et chômage structurel, crise climatique et environnementale, épuisement des formes de démocratie représentative etc.).

 

Sous cette pression, les mutuelles ont fait éclore des générations de dirigeants dont la priorité est la survie de l’organisation. Les valeurs et enjeux spécifiques au mutualisme sont passés au second plan et n'ont évidemment pas été reformulés pour coller aux réalités sociétales du moment. Mais, dans la longue histoire du mutualisme, ce n’est pas la première fois que cela se produit. Il est possible d’espérer que de nouvelles générations s’emparent des exigences posées par les valeurs mutualistes pour les repenser. À cet égard, les dirigeants mutualistes d’aujourd’hui ont le devoir de mettre leurs propres échecs, limites et succès en lumière pour livrer quelques clefs à leurs successeurs, autant que faire se peut. Mais ce travail d’élucidation impose de repartir de questions de fonds.

 

1) Le mutualisme est-il nécessaire ?


Le mutualisme n’a de sens que s’il propose des réponses différentes de celles proposées par le marché et/ou l’État aux besoins des gens et des modes de mise en œuvre de ces réponses « transformatrices » des difficultés générant ces besoins. Dans le cas contraire, faire perdurer une forme d’organisation qui agit finalement comme n’importe quelle autre forme (capitaliste, paritaire, coopérative, associative etc.) n’a pas de justification en soi.

 

Pourtant deux motivations « utilitaristes » peuvent mener une mutuelle à agir pour durer :

  • la survie pour la survie ou, de manière plus ambitieuse, le développement pour la taille : l’organisation agit pour elle-même, pour maintenir l’emploi, le statut de ses dirigeants, pour être plus grosse que ses concurrentes etc. ;
  • la démonstration d’une plus grande efficacité de la gouvernance mutualiste comparée à d’autres formes. Cette dimension est plus exigeante à activer que la première car elle suppose de mettre à jour les critères « de cette efficacité ». Sont-ils identiques à celles des sociétés de capitaux ou des groupes paritaires ? Là est la question. Si la réponses est « non », comment la forme mutualiste pourrait-elle prétendre être utile ?

 

2) Quelle est l’utilité spécifique de la forme mutualiste ?


Pour la majorité des citoyens, en France, il n’y a pas d’obstacle à accéder à l’assurance (santé ou autre). Centrer la proposition de couverture sur les besoins de cette majorité place la relation assureur-assuré sous deux angles de vue étrangers à la vocation mutualiste originelle : l’individualisme consumériste et le respect de règlementations. Face à ces deux contraintes, la forme mutualiste n’a pas (en première analyse) d’avantages particuliers par rapport aux autres formes assurantielles ; elle a même souvent des handicaps : temps de la gouvernance démocratique, difficultés à lever des capitaux etc.

 

Une mutuelle n’a d’utilité spécifique que si elle traite d’autres enjeux, notamment les enjeux suivants :

  • donner accès à des prises en charge à des gens qui, sans elle, en seraient exclus ;
  • accompagner ses adhérents en difficulté au-delà des prestations contractuelles ;
  • limiter et prévenir les situations individuelles qui nécessitent le recours à ces prestations ;
  • modifier les conditions sociales qui génèrent les recours à celles-ci ;
  • économiquement solidariser ses adhérents dans les prises en charge et accompagnements face aux risques ;
  • proposer des engagements militants d’entraide et de transformation des conditions sociales créant ces risques ;
  • démocratiquement débattre de ces questions.
    Ces enjeux sont sous-jacents aux « valeurs mutualistes » : solidarité, non lucrativité, proximité, démocratie, engagement etc. et à la vocation de « mouvement social » sans cesse réaffirmée par les dirigeants de la FNMF qui propose d’agir collectivement sur la société pour en « gommer » les fractures.

 

3) Parce que l’on traite l’un ou l’autre de ces enjeux, peut-on prétendre concurrencer le mutualisme sur le terrain des valeurs ?

 

Adresser ces enjeux par morceaux est possible dans n’importe quelle forme d’entreprise : chez les assureurs santé par exemple, on voit pulluler des fondations, think-tanks, fonds d’action sociale, services d’assistance, référentiels ESG, bénévolats d’entreprise etc. Toutes ces initiatives sont louables et utiles mais, par construction, leur mise en œuvre reste périphérique aux enjeux « cœur » de l’organisation, ceux-ci restant déterminés, en dernier ressort, par l’impératif de la rentabilité des fonds propres (pour les sociétés de capitaux) et/ou par la survie de l’organisation (pour tous).

 

Il n’est pas question de prétendre que la survie d’une mutuelle est un objectif négligeable : il est ici question de dire que la survie ne peut être son seul objectif et que cette survie doit être subordonnée à l’ensemble des enjeux susmentionnés et des valeurs qui les portent.

 

Les dimensions de l’utilité mutualiste esquissées ci-dessus sont indissociables les unes des autres. Il n’est pas concevable de les traiter par morceaux : elles se nourrissent les unes des autres et n’ont de sens que « si elles font système » et que si elles s’incarnent dans le pilotage de la mutuelle.

 

4) Comment mesurer l’utilité spécifique mutualiste ?


Pour une mutuelle, son obligation économique est de garantir l’exécution de ses obligations vis-à-vis des adhérents et de la société sur la durée. Mais, comme vu plus haut, ces obligations sont en réalité extrêmement larges et n’ont que peu à voir avec des appréciations comptables, prudentielles ou strictement consuméristes.

 

Pour compliquer le parcours, il faut garder à l’esprit que, au-delà de la tension entre survie et utilité mutualiste déjà évoquée, les tensions entre les enjeux esquissés plus haut sont multiples. Pour n’en citer que deux ou trois, ultra classiques...

- Jusqu’où et comment la solidarité entre adhérents doit-elle s'exercer, notamment au profit des « imprévoyants » ou « des plus en difficulté » ?

- Jusqu’où dépenser ou mettre l’argent des adhérents actuels de côté pour en chercher de nouveaux ?

- Jusqu’où dépenser l’argent des adhérents pour aider à transformer les situations qui génèrent des difficultés auxquelles certains d’entre eux ne sont pas exposés ? Etc.


Les réponses à ces questions ne sont jamais évidentes. De plus, la formulation même de ces questions en des termes tenant compte du contexte de chaque mutuelle ne va pas de soi. Pourtant, ce travail d’élucidation fait partie intégrante de la démocratie mutualiste : il n’en est pas un préalable, il en est la substance. Il doit sans cesse être remis en débat : par exemple, quand la réglementation percute les réponses apportées jusqu’alors ou quand la concurrence remet des équilibres précédents en cause. Mais aussi et surtout quand l’évolution des besoins des adhérents et des conditions sociales qui les génèrent obligent à repenser l’utilité des offres et accompagnements. Faute d’un tel travail d’élucidation, faute d’en affronter les exigences et les tensions, alors les enjeux imposés par l’extérieur (concurrents, régulateurs, État, consommateurs etc.) occupent l’espace laissé libre. Il suffit de lire les ordres du jour des conseils d’administration de bon nombre de mutuelles et de jeter un œil aux documents supports pour constater que les enjeux proprement mutualistes en sont largement absents. Les retrouver et les reformuler est donc essentiel. La question de la mesure ne peut être résolue sans cela, même le « quoi mesurer » deviendra presqu’automatiquement évident.

 

Pour conclure, la reformulation des enjeux spécifiquement mutualistes est la condition nécessaire (est-elle suffisante ? c’est une autre question) à l’incarnation des valeurs dans le pilotage d’une mutuelle. Cela semble aller de soi mais nous espérons avoir montré que ce n’est pas si évident et que nous avons du travail à faire, chacun dans ses mutuelles mais aussi collectivement pour y parvenir.

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Dans un article précédent, j’ai traité du pilotage de l’activité mutualiste par les valeurs.

Dans cet article, j’ai esquivé soigneusement trois sujets :

  • Que signifie « valeurs » ? Comment fait-on le départage entre une valeur, une obligation, une envie … ?
  • Sur quelles valeurs s’appuyer parmi la douzaine revendiquée, à un titre ou à un autre, par l’une ou l’autre mutuelle ? Sur toutes ? Et si non, comment faire la sélection ? Y a-t-il des valeurs incontournables ?
  • Et, enfin, une dernière question, qui m’est apparue au fil des échanges que j’ai pu avoir avec des « passionnés » du sujet : une valeur mérite-t-elle d’être mise en œuvre pour elle-même ?

Esquivant à nouveau les deux premières questions, je ne vais aujourd’hui traiter que la troisième à l’appui de quelques interrogations posées quatre valeurs que l’on retrouve peu ou prou dans toutes les proclamations des mutuelles relevant du code de la mutualité : démocratie, solidarité, engagement, proximité.

Si l’on s’extrait de notre univers mutualiste pour surplomber les tensions qui traversent nos sociétés, sans grand discernement, on peut déceler que ces quatre valeurs sont (avec d’autres) au cœur des débats sur ce que l’on pourrait appeler « faire société ».

Elles sont ainsi chargées d’une forte charge symbolique, sociologique, politique …

Les revendiquer pour nous qualifier nous impose, à ce titre, des devoirs qui dépassent les seules modalités d’exercice de nos activités.

J’enfonce le clou !

Les revendiquer impose des devoirs !

Le premier devoir, le devoir basique, sous peine d’imposture, (cf. l’article précédent) est de les incarner dans le pilotage de nos mutuelles. Leur énonciation nous oblige. Ou alors, ne les utilisons pas !

Mais il me semble que la mutualité doit beaucoup plus à ces valeurs que de les vivre comme des obligations.

A ce propose, dans l’article précédent, j’ai évoqué cette présentation de la mutualité, par tous les dirigeants successifs de la FNMF, comme étant un « mouvement social », mais j’ai également évité ce sujet.

Que signifie, aujourd’hui, « mouvement social » ?

Pour moi, et sans creuser plus avant, (ce qui serait nécessaire) se revendiquer « mouvement social », c’est affirmer que l’horizon de l’action mutualiste dépasse les seuls terrains de nos activités (santé, prévoyance, retraite …), même élargis à leurs finalités (accès aux soins, protection contre les aléas de la vie … ).

Je conçois que cette conception élargie du mutualisme puisse ne pas être partagée par tous.

Soit !

Mais esquiver le débat et ne pas le trancher, c’est s’interdire une mise au clair sur la portée des valeurs dont nous nous revendiquons.

Personnellement, je suis engagé en mutualité sur la base de cette conception élargie.

Mais qu’impose-t-elle lorsque l’on invoque les valeurs ?

L’horizon de la défense des valeurs c’est de les reconnaître « pour elles-mêmes » et pas seulement comme guides de nos actions

C’est de faire vivre la démocratie, la solidarité, l’engagement, la proximité, pas seulement pour nous différencier, mais pour prouver, à l’ensemble de la société, que cette vie est possible.

Cette exigence n’est pas celle de la seule mutualité, mais nous, au point de banalisation où nous sommes arrivés, il est urgent de réinterroger sa signification au regard des quatre valeurs retenues (pour l’exemple).

La proximité.

Marion Genaivre – philosophe – avec qui j’évoquais le sujet, me posait la question suivante : la proximité est-elle une valeur ?

En effet, la proximité -géographique, professionnelle, de destin – est tout d’abord la constatation objective de similitudes de situations (et pas une valeur). C’est précisément cette similitude qui a conduit, par une démarche volontariste (il serait utile de travailler ce qui a forgé cette volonté), des personnes à se regrouper au sein de mutuelles pour régler des problèmes « communs » (coût des obsèques, accès à la santé …).

Aujourd’hui ces proximités sont « liquides » (pour reprendre un concept de Z. Bauman), mobiles, changeantes et donc la motivation collective à se mutualiser perd son objet ou se défait au fil du temps. De surcroît, pour les contrats d’entreprises (et peut-être demain des fonctions publiques) la proximité professionnelle impose l’assureur aux bénéficiaires : la volonté individuelle n’est donc plus à l’œuvre.

Pour aller vite, on peut donc dire que, dans un très grand nombre de cas, « la proximité » n’est plus la déclencheur de l’adhésion à une mutuelle.

Est-ce donc toujours une valeur mutualiste ?

Cette interrogation n’est pas de pure forme.

Dans une société dont les observateurs et les analystes déplorent la perte du lien social, la passer par pertes et profits sans autre discussion ne va pas de soi.

Surtout lorsque l’on se revendique « mouvement social ».

Si la proximité est reconnue comme une valeur en soi, à promouvoir par l’action mutualiste, il est donc « mutualiste » de la « faire naître » en lui réinventant un (ou des) contenus à partir de ce que nous sommes, c’est à dire des métiers que nous exerçons, des relations que nous avons avec nos adhérents, des moments où cette proximité trouve à se concrétiser …

Inutile de préciser – mais je vais le faire quand même – qu’il ne suffit pas, pour cela, de régionaliser tel ou tel pan d’activité. Pour « faire naître » la proximité, il s’agit, me semble-t-il, de répondre à deux questions centrales :

  • Comment puis-je être en proximité mes adhérents pour les aider au mieux (il y a du care là-dedans) dans le cadre de mon champ d’action, au-delà de mes seules obligations contractuelles ?
  • Comment puis-je, en dehors de ces moments où je les aide, faire éclore entre eux et-au-delà des relations de proximité, retisser du lien social ?

Beau programme ! Pas facile !

Mais il conditionne pour une large part la densité du contenu qui sera donné à deux autres valeurs : engagement et solidarité.

L’engagement.

J’ai participé, à divers titres, à de multiples travaux et réflexions dans l’univers mutualiste sur la question de l’engagement.

Un des biais criants qui pollue les échanges, dans nombre de cas, est la confusion entre engagement mutualiste et engagement au profit de la mutuelle.

Sans qu’il soit nécessaire de développer, je crois qu’il est clair que dans une conception « mouvement social » de la mutualité, l’horizon est tout d’abord celui d’un engagement au profit des gens avec qui je suis en proximité et qui « souffrent » des difficultés auxquelles ma mutuelle a pour vocation de répondre.

En second lieu, toujours par référence à la dimension mouvement social, cet engagement comporte une dimension « militante » au profit de la transformation des conditions qui génèrent ces difficultés.

Si une mutuelle juge – et là encore le débat démocratique est essentiel – que ces deux formes (ou l’une des deux) d’engagement sont l’horizon de cette valeur, alors il lui appartient là aussi de créer les conditions pour qu’elles trouvent à s’exprimer.

On est loin de l’engagement au profit de la mutuelle et singulièrement de l’engagement dans ses instances de gouvernance.

Bien évidemment, l’un n’exclut pas l’autre et c’est parmi les plus engagés au profit des autres que l’on trouvera ceux qui accepteront – et je dirai même mériteront – de s’engager au profit de la mutuelle.

J’ai conscience de décrire des évidences, mais est-ce aussi certain que cela ?

A tout le moins, il me semble que nous, dirigeants mutualistes, devons faire un effort pour remettre en discussion ces idées d’engagement.

Ce ne sera pas facile car qui, aujourd’hui, parmi nos adhérents se définit comme « mutualiste » du simple fait qu’il est couvert en santé, prévoyance ou retraite par une mutuelle ?

La bataille est-elle perdue ?

Personnellement, je ne partage pas l’opinion qui veut que les jeunes générations ne s’engagent plus. Mais il est clair que les formes d’engagement que nous leur proposons ne leur parlent plus.

Je suis convaincu que si nous gagnons la bataille de la réinvention de la (ou des) proximité (s), alors celle de l’engagement suivra assez naturellement.

Mais cela suppose d’ouvrir des espaces d’interventions « sociétales » bien au-delà du business, des contraintes actuarielles, règlementaires, concurrentielles …

Nous sommes donc, comme pour la proximité, face à un défi majeur : si ces valeurs sont toujours (et peut être de plus en plus) actives dans la société et si nous ne faisons rien, elles existeront sans nous et nous n’existerons plus avec elles et pour elles.

La solidarité.

Cette notion est extrêmement riche, complexe, polysémique et mériterait l’intervention de philosophes, sociologues, économistes … pour être précisée.

Elle a pu être synthétisée dans le mouvement mutualiste par la phrase suivante : « Chacun cotise selon ses moyens et bénéficie selon ses besoins. »

Pour de multiples raisons, abondamment discutées au sein du mouvement mutualiste, cette affirmation a été largement battue en brèche (tarifs par âge … ). A tel point qu’aujourd’hui la frontière conceptuelle entre mutualisation actuarielle et solidarité mutualiste est de plus en plus confuse, notamment pour les générations qui n’ont pas vécu la période où la phrase citée en début de paragraphe était incarnée dans nos tarifications et notre absence de sélection médicale.

Je ne vais pas ici discuter cette notion mais je voudrais simplement observer que faire vivre la proximité, susciter l’engagement, tels qu’esquissés ci-dessus, c’est poser les briques d’actions solidaires.

La difficulté qui se présente alors est la suivante : comment faire le lien entre ces solidarités « militantes » et l’activité « assurantielle » de nos mutuelles ?

Comment éviter comme – comme c’est le cas notamment depuis la séparation des activités de Livre II (assurance) et de livre III (services de soins) dans nos mutuelles – que ces terrains d’intervention s’éloignent « naturellement » sous la pression de contraintes relevant de référentiels économiques, règlementaires différents ?

Comment éviter que les systèmes de solidarité « institutionnels » existants dans nos mutuelles (fonds d’action sociale, fonds d’entr’aide, fondations …) ne soient relégués dans les marges du « business » et sans impact sur celui-ci ?

Comment retisser des liens visibles, incontournables, naturels entre les activités de Livre III (ou de logement, ou autre) et les mutuelles de Livre II au sein d’un même groupe ?

Comment incarner dans nos offres et relations à nos adhérents la solidarité quand la pression de la concurrence nous pousse à démutualiser les tarifs, à optimiser nos processus de gestion et de commercialisation ?

Ces interrogations sont aujourd’hui largement sans réponse « systémique », singulièrement dans les mutuelles où les liens de proximité « naturels » sont distendus, voire inexistants du fait même de leurs champs d’activité.

Dans nos mutuelles, ces interrogations ne sont plus aujourd’hui débattues pour diverses raisons tenant à l’histoire de chacune mais dont au moins une nous est commune et parfaitement compréhensible : quand on dirige une entreprise, on ne peut pas passer son temps sur des questions existentielles sans réponses. C’est à la fois contreproductif et mortifère.

Alors que faire ?

J’avoue ne pas avoir de réponse, si ce n’est, comme je l’ai dit plus haut, et même si cela ne résout pas tout, de réinventer des formes de proximités, reproposer des formes d’engagement mutualistes et de mettre en lumière, sans les occulter, les tensions entre solidarité et business.

Tout ceci peut être fécond sous une condition spécifiquement mutualiste : celle de l’exigence démocratique.

La démocratie.

S’il est bien une valeur de nos sociétés occidentales qui est en difficulté et qui mérite d’être âprement défendue, c’est celle-là.

S’il est bien un concept que nous n’avons pas le droit d’utiliser, de revendiquer sans tout mettre en œuvre pour le faire vivre, pour donner l’exemple, c’est bien celui-là.

Autant nous pouvons nous interroger sur le fait de savoir quel sens prend la proximité mutualiste aujourd’hui, si l’engagement peut être réactivé, où doivent être placés les curseurs entre rentabilité et solidarité, autant nous ne pouvons pas laisser la question de la démocratie en jachère.

Pas tant pour le fonctionnement de nos mutuelles, pas tant pour la qualité de nos prestations vis-à-vis des adhérents, mais tout simplement parce que, en cette période – comme d’ailleurs à beaucoup d’autres depuis le XIXème siècle – vider ce mot de son sens c’est faire le lit d’aventures politiques dramatiques.

A notre niveau mutualiste, nous avons donc l’ardente obligation de démontrer que la démocratie est possible, indispensable et que nous faisons tout, là où nous sommes, pour la faire vivre.

Face à cette obligation, j’ai fréquemment entendu deux excuses pour repousser la discussion.

La première serait le poids des contraintes externes (réglementations, concurrence …) qui dépossèderait les élus mutualistes du pouvoir de décision. Mais de quel pouvoir parle-t-on ? Celui de réinventer la proximité, de repenser la solidarité, de créer des territoires d’engagements ? Evidemment non.

La seconde tiendrait à la difficulté de trouver des gens prêts à s’engager dans la gouvernance de nos mutuelles. C’est le serpent qui se mord la queue : déplorer d’un côté que les élus n’aient plus de pouvoir et de l’autre déplorer de ne trouver personne pour exercer un pouvoir qui n’existe plus me semble singulièrement masochiste.

Si nous affirmons que la mission, la raison d’être d’une mutuelle, est plus large que l’assurance, que les enjeux associés ne sont pas de satisfaire aux règlementations et que nos conseils d’administration ont pour vocation première de décider comment faire vivre des valeurs malgré (ou avec) les tensions créées par les contraintes externes, alors nous pouvons entrevoir toute la richesse, toute la portée sociétale, des débats à naître.

Débats qui dépasseront, comme les valeurs, nos seules activités mutualistes pour « parler à » et « de » l’ensemble de la société. N’est-ce pas plus motivant pour des futurs administrateurs que de voter à la queue leu leu des rapports règlementaires ?

Evidemment, pour faire démocratie il n’est pas concevable de confiner ces débats dans nos Conseils d’Administration. Nous devons les ouvrir largement à nos adhérents (et au-delà).

Pour cela, nous avons une opportunité historique : la progression, dans la société, de l’idée que la démocratie est à réinventer et que sa forme représentative doit se « nourrir » d’autres formes.

J’ai la conviction que, si nous le voulons vraiment (j’insiste sur le vraiment), nous pouvons, nous mutualistes, être, avec d’autres dans l’ESS notamment, des laboratoires de ces nouvelles formes de démocratie.

En conclusion

Sur la question démocratique, comme sur celles posées par les autres valeurs évoquées (et par toutes celles que je n’ai pas traitées) le mouvement mutualiste a un grand atout : la diversité des mutuelles (certes en voie de réduction) qui fera la richesse des réponses, pour son propre bénéfice mais également pour le plus grand bénéfice de la société.

Le mouvement mutualiste, riche de son histoire et, encore, de ses militants, peut se donner pour ambition de faire vivre, pour elles-mêmes, les valeurs dont il se réclame.

Et c’est peut-être vers cet horizon là qu’il faut regarder pour donner, si nous le souhaitons, du sens à l’affirmation que nous sommes un mouvement social.

C’est, selon moi, vers cet horizon qu’il faut regarder pour reconquérir une utilité sociale spécifique.

Je mets une proposition en débat : faire de la vie de ses valeurs une activité à part entière !

Bien entendu pas « hors sol », mais sur les champs d’activités que nous couvrons. Pour Mutlog c’est l’accès et le maintien dans le logement synthétisés par notre « signature » : l’homme au cœur du logement.

 

 

 

Dans les deux premiers articles sur les valeurs mutualistes, j’ai soigneusement évité deux questions, pourtant essentielles :

  • Qu’est-ce qu’une valeur ? Et singulièrement une valeur mutualiste ?
  • Parmi la douzaine de valeurs affichées par l’une ou l’autre mutuelle, comment choisir ? Certaines sont-elles incontournables ?
  •  

Jusqu’ici, je n’ai traité qu’une seule question sous deux aspects ?

 

En quoi faire référence à une valeur nous oblige-t-elle ?

  • Dans le pilotage de nos activités ?
  • Dans la défense de cette valeur pour elle-même ?
  •  

Il faut s’attaquer maintenant au cœur du sujet :

  • Qu’est-ce qu’une valeur ?
  • De quelles valeurs parle-t-on ?
  •  

Pour tout dire, je ne suis pas certain qu’une réponse a priori et « hors tout contexte » à la première question soit nécessaire au pilotage par les valeurs.

 

Et ce pour au moins quatre raisons :

  • Les mots utilisés (démocratie, solidarité, engagement, etc.) pour énoncer les valeurs mutualistes (ou pas) sont généralement lourds de sens et polysémiques. En proposer une définition relève de la philosophie, sociologie, anthropologie, politique … Et nous, dirigeants mutualistes, ne sommes, sauf exception, « qualifiés » (dans tous les sens du terme) sur aucun de ces domaines.
  • Mais ces mots présentent une autre caractéristique : ils sont connus de tous et tous nous avons notre idée de ce qu’ils peuvent recouvrir. N’est-ce pas précisément dans la confrontation de ces idées que la démocratie mutualiste trouvera un terrain de vitalité ?
  • Cette confrontation n’est pas spéculative puisqu’il s’agit d’en déduire des principes d’actions pour nos mutuelles. Or, les champs (activités, territoires, publics) d’incarnation ou de défense de ces valeurs sont différents d’une mutuelle à l’autre et, s’agissant de leur mise en œuvre pratique, les réponses peuvent varier sans qu’il soit possible de hiérarchiser a priori la qualité des dites réponses.
  • Comme j’ai tenté de le démontrer dans le 1er article, le mutualisme ne peut pas « travailler » les valeurs les unes indépendamment des autres. C’est bien l’ensemble qui fait système et en l’occurrence « mutualité ». Tenter une définition une à une, selon moi, ne fera que vider de son sens toute tentative d’éclaircissement.

 

Mais même en évacuant le sujet de la définition, reste celle-ci : quelles valeurs sont incontournables pour faire mutualité ?

 

Je vais m’essayer à y répondre, mais là encore, le débat mériterait d’être ouvert collectivement au sein du mouvement mutualiste puis de chacune des mutuelles.

 

Les énoncés ci-dessus sont sous-tendus par l’idée que pour travailler les valeurs il faut discuter collectivement de ce qu’elles imposent, des tensions qu’elles peuvent susciter : la démocratie s’impose donc comme la première valeur mutualiste incontournable.

 

Tout de suite après, dans les déclarations des mutuelles, sans exception, la non-lucrativité est mise en avant. Mais ceci semble plutôt être une exigence institutionnelle qu’une valeur ?

 

Cependant, si l’on considère les choses d’un point de vue démocratique et mutualiste, la non-lucrativité ne nous dédouane de rien dans le pilotage économique de nos mutuelles. Au contraire, elle nous oblige bien au-delà des acteurs lucratifs.

 

En effet, l’actionnaire d’une société de capitaux peut s’estimer satisfait dès lors que la valeur boursière de ses actions progresse et que le dividende correspond à ses attentes.

 

Mais nous, mutualistes, exerçons notre activité avec l’argent de nos adhérent : utiliser chaque centime au mieux et rendre compte de cette utilisation aux représentants des dits adhérents est donc une exigence majeure. Pour que l’exercice ne reste pas formel, rendre-compte suppose, là encore, une démocratie vivante.

 

Une fois ceci dit, la véritable difficulté est de définir ce que signifie « utiliser au mieux » l’argent des adhérents.

 

Limiter les dépenses inutiles du point de vue de nos missions semble donc un minimum.

 

Mais ceci, en réalité, ne dit rien sur rien.

 

Prenons la mission d’une mutuelle santé que l’on pourrait synthétiser ainsi : donner accès à la santé.

 

Mais « l’accès à la santé » de qui ? Mes adhérents d’aujourd’hui ? Ceux de demain ? Quels adhérents demain ? Comment prioriser ceux que je vais aller chercher (les plus démunis, les plus solvables … )? Sous quelles conditions (sélection médicale ou pas …) ? Avec quelles offres (les plus rentables ?) Avec quels moyens (full digitaux, humains, bénévoles …).

 

On voit que la « non-lucrativité mutualiste » impose de se poser ce type de questions « existentielles » démocratiquement : c’est par cette alchimie démocratique qu’elle se transforme en valeur. Sans cette exigence, elle n’est qu’une modalité économique d’exercice d’un métier (et d’ailleurs une modalité peu vertueuse).

 

Mais cela ne suffit pas. En effet, si la « vertu » n’est pas dans le modèle économique non-lucratif en lui-même, à l’aune de quoi évaluer les réponses aux questions et comment en rendre compte démocratiquement ?

 

La plupart du temps nous allons chercher nos indicateurs dans les standards « de marché » ou « règlementaires » qui relèvent de rationalités étrangères à notre propos. Ceci ne veut pas dire qu’ils ne constituent pas des outils utiles (parfois), mais la boussole n’a jamais fixé le cap.

 

Quelle rationalité opposer au marché ou aux régulations ? Il est possible de revenir à une distinction classique : rationalité utilitariste ou rationalité axiologique.

 

Faisons tout de suite un sort à la rationalité utilitariste.

 

Utilité, ok. Mais utilité pour qui, pour quand, comment ? C’est le serpent qui se mord la queue puisque l’on revient aux questions précédentes.

 

Tournons-nous vers la rationalité axiologique : la réponse serait-elle dans le corpus des valeurs mutualistes ?

 

Prenons une valeur revendiquée peu ou prou par toutes les mutuelles : la solidarité.

 

Solidarité entre qui et qui ? Les adhérents solvables uniquement ? Les adhérents vertueux qui répondent à nos sollicitations en matière de prévention ? Les biens portants ? Etc.

 

Pour chacune des valeurs, des questions du même type vont se poser.

 

Prenons l’engagement : au profit de qui ? La proximité, quelle proximité : géographique, professionnelle … ?

 

Les réponses ne viennent donc pas de l’énoncé des valeurs.

 

De mon point de vue – mais ceci, là encore, mériterait d’être mis en débat dans le mouvement mutualiste – elles sont à chercher dans le niveau et la nature de l’ambition que se fixe la mutuelle dans l’accomplissement de sa mission.

 

A la suite des deux articles précédents, je mets en discussion une méthode fondée une échelle d’ambition en quatre degrés.

 

L’important est, en réalité, moins le nombre de degrés que la logique qui sous-tend cette méthode.

 

La 1er point de la logique est que chaque degré « supérieur » contient les exigences de tous les degrés « inférieurs », comme un jeu de poupées russes.

 

Le 2ème point est que le minimum de valeurs à satisfaire comprend démocratie et non lucrativité.

 

Le 3ème que toutes les activités de la mutuelle peuvent ne pas incarner, à un instant t, le même degré d’ambition, notamment sous la contrainte de la compétitivité, de la complexité. Tout l’intérêt de la gradation est de mettre en lumière ces limites.

 

Revenons aux quatre degrés.

 

1) La mutuelle est exclusivement au service de ses adhérents pour mettre en œuvre le mieux et le plus efficacement possible le contrat (d’assurance) qui la lie à eux : nous sommes face à une rationalité utilitariste-consumériste. La forme mutualiste n’est alors qu’une des formes d’exercice d’un métier. La valeur démocratique et la non-lucrativité suffisent à qualifier et justifier cette forme et le sujet est de savoir si cette forme est la plus efficace au regard des attentes des consommateurs/adhérents. Les autres valeurs revendiquées restent sur des strapontins comme elles peuvent l’être dans les sociétés de capitaux.

 

2) La mutuelle se fixe pour mission de permettre au plus grand nombre – singulièrement aux populations les plus en difficultés – de résoudre des problèmes qui dépassent ses seuls engagements contractuels : accès à la santé plutôt que couverture complémentaire, au logement plutôt qu’assurance des emprunteurs, à la mobilité plutôt qu’assurance auto … La solidarité et la proximité entrent alors en jeu comme conditions nécessaires d’identification et d’expression des difficultés et des solutions pour y pallier. La difficulté (déjà évoquée dans les articles précédents) est de faire en sorte que ces deux valeurs se retrouvent au cœur du réacteur « économique » et pas sur des strapontins.

 

Les deux niveaux d’ambition suivants qualifient, selon moi, la dimension « mouvement social » du mutualisme.

 

3) La mutuelle se donne pour mission de contribuer à transformer les conditions qui génèrent les difficultés de ses adhérents sur son champ d’intervention, en contribuant, notamment, à la mobilisation de la « société civile » (et en premier lieu de ses adhérents). L’engagement s’ajoute alors « obligatoirement » aux quatre valeurs déjà mobilisées dans les degrés d’ambition précédents. Sur ce plan nous allons devoir, par exemple, réinventer des fertilisations « structurelles » entre les activités assurantielles et extra assurantielles (réalisations sanitaires et sociales, éducation …), synergies détricotées par les réformes règlementaires depuis plus de deux décennies. Nous allons aussi devoir faire de cette ambition de transformation un pilier à part entière de nos activités sans pour autant sacrifier nos modèles économiques sous peine de « faillite ».

 

4) La mutuelle ambitionne de faire vivre les cinq valeurs ci-dessus (au minimum, voire d’autres) pour elles-mêmes (voir l’article précédent) : elle se veut « exemplaire », « citoyenne », etc. Mais, bien entendu, elle doit toujours incarner dans son action les cinq valeurs précédentes (démocratie, non lucrativité, solidarité, proximité, engagement) et peut-être d’autres. Cette nécessité d’incarnation dans des activités par ailleurs soumises à des contraintes économiques distingue lors fondamentalement la forme mutualiste d’autres formes d’intervention sur la société comme les coopératives, syndicats ou partis politiques.

 

Sur ces deux derniers degrés, le champ de réinvention de l’action mutualiste est immense et l’espace pour faire vivre les valeurs infini. Peut-être trop, au risque de rester théorique.

 

Il faudra dans bon nombre de cas descendre l’exigence vers les niveaux inférieurs pour démontrer, par l’exemple, qu’il est possible, utile, solidaire … de mettre en œuvre les valeurs et ensuite remonter progressivement les degrés, forts de l’expérience acquise en proximité avec la société et avec nos adhérents notamment.

 

C’est ce jeu de navette entre les degrés qui sera la richesse et l’avenir du mutualisme dès lors qu’il ambitionne de dépasser le seul degré de l’utilitarisme consumériste.

 

Finalement, c’est bien plus le choix de ce degré qui va déterminer « l’impact » ambitionné par la mutuelle et le choix des valeurs subséquent. Le contenu, la définition, donnée à chacune d’elle viendra après. Et c’est à ce moment-là que l’on pourra faire appel aux « sachants » (philosophes, sociologues …) pour alimenter les réflexions.