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13 / 06 / 2025 | 17 vues
Jean-Philippe Milesy / Membre
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Marché :1 – Démocratie sociale :0

La victoire d’Alan dans le marché PSC ouvert au Ministère de l’économie, des finances, de la souveraineté industrielle et numérique — dont le périmètre comprend le ministère délégué en charge, accessoirement, de l’économie sociale et solidaire— participe de la dégradation de la démocratie sociale que j’aborde si souvent dans ces chroniques.


J’essayerai ici de reprendre les divers éléments de cette dégradation.

 

L’accord PSC tout d’abord.

 

Tout comme l’Accord National Interprofessionnel (ANI) de juin 2013 généralisant la complémentaire-santé pour les salariés, en février 2021, l’accord PSC, pour « protection sociale complémentaire » des fonctionnaires, a été loué par les syndicats signataires : l’État, à l’instar des employeurs privés pour l’ANI, ne prenait-il pas en charge une partie de la complémentaire-santé de ses agents ?

 

Au-delà de leurs acquis positifs, PSC, comme l’ANI, étaient en fait des moments nouveaux de la marchandisation de la protection sociale qui avait pourtant connu bien des actes fondateurs, notamment avec la loi Evin de 1989 et avec la transposition des directives « assurances » européennes dans le droit français.

 

Comme pour l’ANI, les syndicats de fonctionnaires entraient dans un processus où les appels d’offre pour des contrats collectifs se substituaient à l’engagement volontaire des femmes et des hommes au sein de leurs mutuelles.

 

On entrait dans un système de mise en concurrence par marchés ouverts.

 

S’agissant des mutuelles, la concurrence —comme l’a montré pour les associations le rapport du Haut Conseil à la Vie Associative (HCVA) d’octobre 2021— produit des effets délétères à l’égard des structures et nocifs pour leurs adhérents et publics.

 

Pour répondre aux appels d’offre, dans les conditions de PSC, les mutuelles historiquement présentes dans leurs champs respectifs ont, le plus souvent, modifié leurs offres, recherché et passé des alliances, renoncé à des dispositions sociales — à l’instar des mesures de solidarité intergénérationnelle — autant de bouleversements de leurs fondamentaux : il fallait gagner la conviction des instances d’attribution et non gagner la confiance des adhérents.

 

Pour l’ANI de 2013, les conséquences se sont vite fait sentir. La part des assurances privées a cru, tandis que certaines mutuelles s’étant lancées dans un dumping concurrentiel — en offrant un panier minimal— voyaient leurs comptes se dégrader Plus en profondeur, le lien à l’adhérent par un contrat de collectif avec sa mutuelle est dégradé par rapport à une adhésion individuelle

 

La démocratie mutualiste n’y trouve pas son compte et l’assurantialisation des structures s’accentue.

 

Pour la PSC dont le processus d’attribution se poursuit, il est trop tôt pour établir de tels constats ; cependant l’irruption d’Alan et la défaite de la MGEFI au MINEFI appellent quelques commentaires.

 

Qu’est-ce qu’ALAN ?

 

Une structure purement financière, tout à fait en phase avec la « start-up nation » chère au président de la République, mais dont les effets sur l’économie française tardent à apparaître. Elle s’inscrit délibérément dans la marchandisation, évoquée ci-dessus.

 

Une équipe, se revendiquant techniquement avancée, s’est trouvée abondée par des flux financiers internationaux, fonds de pensions et capital-riskers (ou –queurs pour essayer de donner un petit air français à la démarche) et des partenaires nationaux non revendiqués.

 

En face de ces abondements, depuis sa création en 2016, la start-up accumule les pertes (54M€ en 2024 soit 11% de son CA) ; dans ces conditions on peut s’étonner qu’un marché aussi considérable que la PSC de Bercy (134.000 actifs et 84.000 ayants-droits, sans compter les 120.000 retraités et leurs ayants-droits) soit attribuée à une société qui apparaît assez fragile et relativement incertaine au regard des grandes mutuelles de fonctionnaires.

 

On peine à suivre les arguments sans réserve du Ministère !

 

Et la démocratie sociale dans tout ça ?

 

La marchandisation des mutuelles — comme celle des associations et d’autres structures de l’ESS— assure leur « prestarisation » au détriment de leurs dimensions solidaires et démocratiques. Les engagements citoyens qui les portent cèdent le pas à une mise en concurrence dont on a pu voir les effets dans des secteurs aussi sensibles que l’accueil des seniors ou de la petite enfance, où des sociétés financières ont privilégié le profit à toute autre « raison d’être ».

 

Aujourd’hui les syndicats de fonctionnaires des Finances sont vent debout face à l’attribution du marché à Alan, dont ils font une juste analyse et une juste dénonciation. Mais n’étaient-ils pas signataires de l’accord PSC ? N’ont-ils pas été obsédés par un avantage financier au détriment de pertes essentielles ?

 

Les mutuelles de fonctionnaires ont été, pour l’essentiel, fondées sinon par des syndicats, du moins par des syndiqués. C’est dans un rapport de force syndical qu’elles ont obtenu avec la loi Morice le RO, le régime obligatoire de sécurité sociale.

 

Près de quatre-vingts ans plus tard, les syndicats ont voulu ignorer les conséquences de l’accord PSC pour les mutuelles, au plus grand profit des compagnies privées.

 

La démocratie sociale, cet acquis des acteurs sociaux, veut la cohérence des démarches et la défiance à l’égard de la domination de l’économique et du marché.

 

Comme avec l’ANI, les syndicats ouvriers ont résolument négligé cette cohérence pour suivre l’esprit du temps, c’est à dire la doxa libérale du marché et de la concurrence.

 

Voilà en quoi la victoire d’Alan, au-delà des incertitudes qu’elle porte, est une défaite pour la démocratie sociale.

 

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