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18 / 07 / 2019 | 156 vues
Fabien Brisard / Abonné
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La protection sociale en 2030 : « C'est chaud »

La série estivale réalisée par le CRAPS vous plonge en 2030, chaque auteur imagine l’évolution de notre protection sociale. À travers cette fiction, ils laissent libre court à leur imagination. À lire où que vous soyez. Cette semaine, première épisode de la série... « C'est chaud » par Hervé Chapron, 1er Vice-Président du CRAPS et ex DGA de Pôle Emploi. Bonnes vacances à tous.

 

« La France est constituée de plus de morts que de vivants » - Maurice Barrès.

 

Était-ce encore un État ? Bien sûr, les frontières étaient toujours reconnues. Bien sûr, l’impôt était encore levé et la justice toujours rendue au nom de son peuple. Certes, à petite vitesse. La question était pour autant pertinente. Jamais depuis que l’Homme était apparu sur la Terre, l’Humanité n’avait connu un tel choc. Aucun expert, aucun spécialiste, aucun conjoncturiste n’avait prévu cette accélération du phénomène. L’élite du pays qui avait apporté la liberté au monde, celle qui avait tant palabré sur les chaînes d’information en continu sur les bienfaits de la robotisation et plus encore sur l’intelligence artificielle, restait pour la première fois muette…

 

C’était désormais un pays dont la population active était inactive ou plus exactement tellement amorphe, en état permanent de léthargie dont la rare énergie était consacrée à ce qui pouvait paraître comme une opération de survie, celle de respirer, dont la population âgée n’était plus qu’une accumulation d’individus décharnés à la peau plissée et qui, d’une voix rauque, réclamaient obsessionnellement mais en vain une simple gorgée d’eau. Quant à la jeunesse, ayant délaissé depuis longtemps le système éducatif, elle s’épanouissait dans de petits trafics pour négocier à prix d’or gadgets et autres produits inefficaces (climatiseurs solaires portatifs, androïd arroseurs etc.) à des gogos transpirant à grosses gouttes, immobiles, affalés sur des canapés et ne pouvant plus absorber leur sueur dégoulinante…
 

La révolution climatique
 

Depuis plusieurs quinquennats, le thermomètre montait sans jamais redescendre. On en regrettait les canicules de 2003, de 2019. Ce n’était pas devenu un état permanent de canicule mais bien un phénomène inédit qui avait gommé le jour et la nuit, les saisons, transformant les vignobles en palmeraies… Certaines villes historiquement pluvieuses, au ciel nuageux et à la grisaille permanente renaissaient en stations balnéaires désormais recherchées par des bobos nomades vêtus de la tête aux pieds de coton d’Égypte, remplaçant l’irrespirable Marrakech et la suffocante Ibiza.

 

Les pouvoirs publics ne pouvaient rester sans réaction. On aurait pu dire que la révolte grondait quand bien même il manquait à chacun l’énergie nécessaire à pareille action. Depuis des années, les discours se succédaient toujours aussi insipides, toujours aussi anesthésiants, faisant état de rapports commandés en urgence auprès d’organismes gouvernementaux à la botte et quelquefois de « think-tanks » bienveillants. La révolution climatique (car il s’agissait bien d’une révolution) était passagère pour ce gouvernement parce qu'inédite. À chaque degré Celsius supplémentaire enregistré, ledit gouvernement voyait sa côte d’amour dégringoler d’autant et souvent de bien plus. Vécu par la population comme une provocation, le E de CESE avait été supprimé en catimini. D’aucuns avaient suggéré le CESC, C pour climatique mais le Premier Ministre, sortant de sa torpeur habituelle, avait fait part de ses craintes de voir naître une polémique sur un sujet inflammable.

 

Tous des incapables. Tous gavés de leurs petits privilèges. Ils s’épanouissaient dans leur médiocrité consternante. Le Président de la République aurait aimé que les membres de son gouvernement fussent simplement des créatifs, c’est-à-dire intellectuellement éloignés de l’école administrative de la pensée unique. À ses yeux, ils n’étaient que le reflet de l'énième « ancien monde », appellation pratique et couramment utilisée en campagne électorale pour montrer aux électeurs que la modernité, en elle-même, était gage de progrès, incarnée exclusivement par chaque candidat.

Révolution comportementale

Issu de ce qui restait de la classe moyenne, le Président était un homme énergique, le seul à croire que la situation était irréversible. Pestant quotidiennement contre ses prédécesseurs, les traitant régulièrement et quelquefois publiquement de rois fainéants tant pour leur inaction que pour leur incapacité à prévoir, il avait été formé aux plus grandes écoles de la République, parlant sans difficulté cinq langues. Les médias se gaussaient en relatant que son passe-temps favori était de lire en sanscrit dans le texte les rares documents datant de la période. Être d’exception, marginal comme le sont souvent les surdoués, parfois fantasque, il avait fait de son quinquennat pas celui du vivre mieux, de la fraternité enchantée ou autres fadaises mais du vivre radicalement autrement. Vivre drastiquement différemment. À la révolution climatique, il souhaitait impulser une révolution comportementale, sociologique et plus encore civilisationnelle. Pire, par une rupture brutale des cultures et des habitudes, par un abandon de l’art de vivre à la française et par une négation de notre histoire sociale, il entendait créer une nouvelle civilisation, transformer cette révolution climatique en fait générateur pas d’un nouveau monde, concept dont il ricanait régulièrement dans ses rares moments de détente, mais bien d’une nouvelle civilisation… Dans ses rêves les plus fous, il se prenait pour le nouveau Nabuchodonosor. Ses jardins suspendus seraient ni plus ni moins que la mise en œuvre de nouvelles tables, d’une législation du travail devant le faire entrer dans l’Histoire au niveau des plus illustres.
 

En ce 1er décembre 2030, à l’issue du soporiphique conseil des ministres, le thermomètre affichait les 49°. Il n’était que 7 heures du matin. Le Président de la République, chemise en lin, bermuda sobre et tongs assortis, avait réuni corps constitués et médias pour sa troisième conférence de presse, dans la salle des fêtes de l'Élysée aux lourdes tentures. Après les quelques mots d’usage pour accueillir le gratin de la République, il s’élança dans un monologue de plus de sept heures. À l’issue de l’exercice, les rangs étaient particulièrement clairsemés, alors que les jours précédents, c’était la course effrénée pour obtenir la précieuse habilitation. Il n’y eut aucune question, ce qui conforta le Président sur à la fois sa clairvoyance et la pertinence des mesures décidées et communiquées via cet exercice dont on aurait dit qu’il avait été inventé pour lui tant il en maîtrisait les codes.
 

En fin d’après-midi, température obligeant, les ressortissants de Pôle Emploi refroidis par l’état du marché du travail sur la base du volontariat, se voyaient confier la distribution d’un communiqué papier de la présidence (moyen très régulièrement choisi pour économiser internet trop destructeur de la couche d’ozone) à la population synthétisant les mesures à effets immédiats que le Président prenait sous forme d’ordonnances. Pour cette mission, sans amputer leur indemnisation, ils bénéficiaient à titre gratuit d’une journée de salle d’attente dans l’établissement public d’État dont les locaux, après leur très longue grève de 2021 concrétisée par le refus de s’actualiser, avaient rapidement été climatisés.
 

Il convient d'intégralement reproduire ce communiqué qui, on le constatera très facilement, ridiculise les velléités d’un autre âge, style COP 21 dont l’efficacité avait été celle du mousqueton face à un char nord coréen.


« Mes chers compatriotes… [la suite la semaine prochaine]

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