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28 / 02 / 2024 | 42 vues
Nadine Richez-Battesti / Membre
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ESS et transition inclusive: vers un nouveau récit fédérateur

La transition inclusive: une remarquable opportunité de faire de l’ESS le fondement d’un nouveau récit fédérateur et, en reprenant la formule de Jérôme Saddier, la norme de l’économie de demain.

 

La question des transitions

 

Pour offrir une planète vivable à nos enfants, pour garantir son habitabilité, pour préserver la diversité du vivant, nous devons réduire drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre, ce qui suppose des transformations radicales des comportement individuels et collectifs, des modes de fonctionnement des entreprises.

 

Cela suppose aussi d’adopter une vision systémique et Holistique : on ne peut plus penser l’économique, le social et l’environnemental de façon isolé, dans des tuyaux, on ne peut plus penser l’humain sans prendre en compte ses interactions avec son environnement et donc le vivant et la nature, sans prendre en compte l’ensemble des externalités que son activité génère.

 

En d’autres termes, à l’ère de l’anthropocène la transition écologique est forcément sociale et politique. Sociale au sens des inégalités qu’elle exacerbe, mais aussi de l’enjeu de son acceptabilité (cf. la crise agricole) et politique au sens des choix relatifs au vivre ensemble, au modèle de société dans lequel nous souhaitons vivre, à la place accordée à la démocratie dans les prises de décisions.

 

Dans cette perspective, la question du caractère inclusif de la transition, ou encore d’une transition juste un (Cf rapport récent Pour la solidarité) devient centrale. Et, avec elle, la question de comment agir. L’urgence des transitions rebat les cartes, redistribue les questionnements.


On ne peut traiter des transitions, de l’orientation vers une économie plus verte, sans intégrer la question des inégalités, dans ses différentes dimensions (pauvreté, égalité femmes hommes, travail décent….) et sans prendre en compte l’ensemble du vivant.


Plus largement, les enjeux des transitions nous amènent à réfléchir à comment dépasser un modèle industriel et financier orienté vers la recherche du « toujours plus », tel qu’il a fonctionné dans les deux derniers siècles, pour poser les bases d’une alternative qui ne peut se limiter à la seule réponse de grappes d’innovations technologiques salvatrices.

 

Dès lors comment bifurquer ? Qu’entend-ton plus précisément par transition inclusive ?

 

Nous considérons la dimension inclusive des transitions selon 3 composantes : Elle vise à répondre au risque d’exclusion sociale et s’inscrit dans une perspective de contribution à plus de justice sociale qui pourrait s’élargir à une inclusion de l’ensemble des formes du vivant, pas seulement en réparant mais en adoptant des comportements intégrateurs.


Elle exprime aussi le choix d’accueillir une diversité d’organisations productives et d’en organiser la cohabitation.
Elle exprime enfin une dimension démocratique et de participation de l’ensemble des acteurs comme processus du faire ensemble.

 

La transition inclusive comme processus a donc une dimension relationnelle - d’interaction entre égaux - organisationnelle, d’acceptation de la diversité entrepreneuriale - et institutionnelle autour des valeurs de la démocratie pour construire le vivre ensemble.

 

 Dès lors quelle place pour l’ESS dans cette transition inclusive ?

 

Nous allons montrer que l’ESS coche les 3 cases de ce que nous appelons transition inclusive (inclusion sociale, diversité des organisations, contribution à la démocratie).


Au-delà nous considérons la transition comme une remarquable opportunité pour faire de l’ESS, la norme de l’économie de demain.


Qu’est-ce que l’économie sociale (cadrage général)
 

L’Économie sociale est un mode d’entreprendre original et singulier qui s’inscrit dans une conception de l’économie plurielle, au côté du marché et de l’Etat. Elle participe d’un encastrement de l’économie dans la société, en ce sens que le projet économique est au service des hommes et des femmes qui l’impulsent et plus largement du territoire au sein duquel ils agissent. Il s’agit bien de produire des biens pour produire des liens dans le cadre d’une production conjointe volontaire, il s’agit aussi de penser le travail au delà du seul travail salarié pour le combiner avec l’engagement, pointant l’importance du sens accordé à l’activité.

 

De ces différents points de vue, l’ESS est à la fois un mode d’entreprendre et de faire société
 

  • largement présent dans toute l’Europe, et au cœur des territoires locaux
  • dans une diversité de formes organisationnelles, associations, coopératives, mutuelles fondations, entreprises sociales
  • concerne l’ensemble des secteurs de l’économie, - et tout particulièrement le champs des services, dans la mise en œuvre d’une économie du prendre soin, du care, qui met la solidarité au cœur : une dimension de réparation directement orientée vers l’inclusion (Wises) mais aussi de transformation sociale (accès à la santé, accompagnement à l’entrepreneuriat pour tous, émergence de l’entrepreneuriat salarié)

On identifie ici la dimension anthropogénétique de l’ESS : (Boyer, 2022) qui vient soutenir l’engagement dans les transitions
 

  • dans des manières renouvelées (décentralisée, démocratique) de produire des biens tels que l’électricité, - un engagement de longue date dans la protection de l’environnement,
  • au cœur d’innovations sociales : des premières formes de protection sociale, en passant par la finance solidaire, les circuits courts, l’aide à domicile, l’éducation populaire, les coopératives d’activité et d’emploi, les coopératives multi parties prenantes…


On y retrouve l’importance accordée au projet d’émancipation, en rupture avec une économie financiarisée, déterritorialisée et prédatrice. Ces innovations sociales concernent aussi les méthodes : participation des usagers à la production du service, conception du service orienté usages, qui font aujourd’hui l’objet d’une appropriation croissante.


Certaines de ces innovations ont été institutionnalisées et l’on a parfois oublié que l’ESS en avait été le moteur, portées par des mouvements sociaux qui ont contribué à les légitimer.

 

Caractérisons maintenant, de façon plus précise, le modèle d’affaire de l’ESS

 

  • Cette ESS s’appuie sur un ensemble de règles (dispositif institutionnel de nature politique) - Acapitalisme : Propriété collective, débat sur le partage de la valeur et son affectation qui soutient l’investissement et la rémunération du travail, lucrativité limitée - Gouvernance : démocratique, partagée, au service du progrès social, apprentissages du débat - Double qualité : usager et administrateur, salarié et détenteur de part sociale… : vison holistique de l’activité - Inter coopération : solidarité de proximité entre organisations engagées dans les mêmes valeurs
  • Ces règles s’incarnent dans des pratiques lors de l’activité productive qui viennent nourrir de façon articulée un projet économique productif et un projet social
    • du point de vue du travail plus d’égalité salariale et plus d’autonomie dans le travail ou l’activité
    • du point de vue du capital, le principe d’un capital patient, sobrement investi dans des activités débattues en commun, favorise la pérennité de l’entreprise
    • du point de vue de la territorialisation : la contribution à des chaines locales de valeurs, avec des processus d’intégration horizontale et ancrage local, en support de la relocalisation, je pense ici par exemple à des coopérations horizontales inter organisationnelles telles que celle portées en France par les Licoornes… ou encore aux développement de clusters d’innovation sociale et écologique

 

On est donc en présence d’un modèle d’affaire caractérisé par trois compromis (au sens d’échange de promesse, de résultat d’une négociation pour arriver à une solution commune) instituants qui résultent de stratégies de mise en débat, d’acceptation des controverses dans une démocratie du quotidien et qui fait de l’action collective les fondements de la coopération :

* pérennité : inscrit dans le temps long et la durabilité (stratégie de profit soutenable, sobriété dans l’usage des ressources)

* de justice sociale (égalité, autonomie et participation)

* de création de valeurs encastrées dans le territoire et la proximité et de partage de la valeur négocié (bien différent d’une économie financiarisée et prédatrice)

L’ESS est donc potentiellement un vecteur de transition inclusive (sociale, diversité de ces organisations et pratiques démocratiques)

 

 L’ESS comme promesse d’une transition inclusive

 

Ces 3 compromis et l’importance accordée à la mise en débat sont autant de promesse du rôle moteur de l’ESS dans un processus de transition inclusive. Mais cette promesse pour devenir réalité doit dépasser 3 écueils et mobiliser 3 leviers :
 

- Réinventer des circuits de financement, Mobiliser des ressources financières pour soutenir le financement de l’investissement nécessaires aux transitions

- Renforcer la connaissance de l’ESS au titre de sa contribution à la richesse (comptes satellites, contribution de l’ESS à la VA, contribution à des coûts évités…) et pas seulement du nombre d’entreprises ou d’emplois. Parce que compte ce qui compte. Se compter, mais aussi se raconter : un écueil de connaissance

- Remettre le travail à l’ouvrage : qualité du travail, égalité femmes hommes… : l’exigence en direction des usagers dépasse parfois l’attention accordée aux salariés ou aux bénévoles. L’ES ne peut faire l’économie de la qualité du travail

 

Et s’appuyer sur 3 leviers

 

C’est pour partie au titre de sa contribution à un entrepreneuriat plus inclusif et plus durable que cette ES fait d’ores et déjà l’objet d’une reconnaissance à l’échelle internationale tant par le BIT que l’OCDE et plus récemment les Nations Unies. C’est la même inspiration qui s’exprime à l’échelle européenne avec l’adoption en décembre 2021 du premier plan d’action pour une économie sociale et de la reconnaissance de l’ESS en tant que l’un des 14 écosystèmes industriels pour la relance durable de l’UE.
 

Ces initiatives pourraient contribuer à légitimer la mise sur agenda de l’ESS dans les politiques publiques nationales et infranationales et leur rôle dans les transitions (sociales et écologiques), dans les transitions justes.
 

  • Il y a dans ce lien avec les politiques publique un premier levier : encore aujourd’hui les politiques publiques restent peu engagées en direction de l’ESS, par méconnaissance, ou du fait de la prédominance d’un imaginaire néolibéral marqué par la croyance dans les vertus de l’entreprise capitaliste. Et quand elle intègre l’ESS, c’est pour la soumettre à des procédures de mises en concurrence… Il importe de convertir l’acteur public aux pratiques de l’ESS
  • Le second levier s’appuie sur la prise de conscience par l’ESS de sa modernité et de l’assumer : par ses valeurs et ses pratiques, par ses raisons d’agir elle est au cœur des priorités de la société, et c’est normal puisqu’elle en est l’émanation. Elle est dès son origine inspirante d’une forme particulière de RSE, ou encore d’une participation des salariés dans l’entreprise, de méthodes participatives, de processus de coopération, elle dépasse la raison d’être pour afficher sa raison d’agir. Plus que de pointer les formes de récupération ou de dénaturation de ces innovations, elle pourrait en promouvoir les spécificités et favoriser leur légitimation
  • Enfin le 3ème levier est politique : il porte sur faire mouvement.

 

La contribution de l’ESS à un modèle économique et social plus juste et son potentiel de transformation reste souvent peu connu, voire "invisibilisé" en l’absence d’un vrai portage politique par les acteurs eux-mêmes à différentes échelles territoriales européenne, nationale et locale.


L’enjeu est bien de nouer des alliances (avec le monde syndical, et les forces sociales sur les territoires) et de faire mouvement pour que les capacités transformatrices de l’ESS deviennent instituantes.


C’est bien tout l’enjeu de la nécessaire élaboration par l’ESS d’un nouveau récit fédérateur pour soutenir la conception des transitions inclusives et leur nécessaire élargissement au vivant. Je vous remercie.

 

(Intervention développée  à la Rencontre européenne de l’économie sociale organisée par l’Union Européenne sous présidence belge, à Liège - 12 février 2024)

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