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21 / 05 / 2013 | 2 vues
Denis Garnier / Membre
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Le CHSCT, comme arène du pouvoir ?

Le 15 janvier 2013, les magistrats de la Cour de Cassation ont décidé de sanctionner les organisations du travail qui présentent un risque pour la santé des agents hospitaliers contre l’avis de la direction du CHU de Bordeaux et de la Fédération Hospitalière de France.

Du déni de la direction au juge pénal

Il est des moments ou l'on se demande si ce que l'on vit est ordinaire ou exceptionnel. Comme nous sommes des syndicalistes, c'est-à-dire des gens utiles là où ça va mal, nous avons la fâcheuse habitude de contester tout ce qui ne nous paraît pas ordinaire, au point parfois d'être contesté par l'employeur et de faire appel au juge pour qu'il nous dise le droit.
 
Pour nous, c'est toujours le signe d'un échec du dialogue social car nous savons que le seul qui est en mesure de répondre à nos demandes pour améliorer les conditions de travail des agents, c'est le le directeur, le DRH, le patron.

Nous avons donc tout intérêt à motiver nos revendications et à le convaincre qu'il ne peut laisser les choses en l'état. Lorsque la situation touche véritablement des modifications importantes des conditions de travail, nous agissons par la voie du comité d'hygiène de sécurité et des conditions de travail. (CHSCT) En effet, ce dernier doit être consulté « avant toute décision d'aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail et notamment avant toute transformation importante des postes de travail découlant de la modification de l'outillage, d'un changement de produit ou de l'organisation du travail, avant toute modification des cadences et des normes de productivité liées ou non à la rémunération du travail » (L. 4612-8 du Code du travail).

  • Trop souvent, il refuse. Il conteste la nature même du problème que nous soulevons. Alors, toujours en application du droit, nous demandons l'arbitrage d'un expert. Trop souvent, il conteste encore. Là, c'est le juge qui va trancher. Il va dire si le syndicat exagère. S'il a une vue trop biaisée de la situation ou si, au contraire, le risque soulevé par le syndicat mérite une expertise et des solutions.

C'est sur la base de cette démarche que le syndicat FO du CHU de Bordeaux a demandé une expertise le 16 avril 2010, en raison d’un projet comportant « le passage de nuit des infirmiers de jour dans l’ensemble des services de l’hôpital Saint-André ».

Le patron refuse l'expertise et la conteste devant le tribunal de grande instance. Il perd. Il conteste le jugement et va en cassation avec l'appui de la Fédération Hospitalière de France, pour se donner plus de poids. Ce n'est plus une contestation du simple CHU de Bordeaux, c'est une contestation de l'ensemble des patrons hospitaliers. L'arrêt de la Cour de Cassation n'en est que plus important.


Le syndicat FO du CHU de Bordeaux conteste-t-il à tort une situation de travail qui lui paraît présenter des risques graves pour les agents ?


La réponse des juges est tombée le 15 janvier 2013. D'abord, le CHU voulait que le CHSCT réalise un appel d'offres. Il est débouté. Ensuite, le CHU contestait l'existence d'un risque grave et réel.

Les juges ont relevé :

  • que l’alternance de travail jour et nuit présente des risques professionnels pour les salariés concernés, situation rappelée tant par l’inspecteur du travail dans un courrier du 18 mars 2010 adressé à la directrice du groupe hospitalier Saint-André que par le document unique pour l’évaluation des risques professionnels au CHU de Bordeaux et par un document établi par le médecin du travail du CHU ;
  • que l’organisation du travail de nuit, imposée selon les consignes données par la DRH, est de nature à aggraver ces risques en raison, tant du mode de désignation du personnel non volontaire, que des perturbations physiologiques et sociales et/ou familiales occasionnées par son caractère occasionnel ;
  • que la situation de ce personnel est illustrée de manière claire par les attestations de plusieurs infirmières qui indiquent avoir subi, à l’occasion de ces remplacements de personnel de nuit, outre des perturbations dans leur vie familiale et sociale, des troubles physiologiques et notamment du sommeil, induisant des épisodes de fatigue lors de leur retour à leur poste d’infirmière de jour ;
  • que ces éléments établissent que la santé de ce personnel est soumise à un risque grave en raison de leurs conditions de travail ;
  • qu’il apparaît que ces mesures organisationnelles, décrites par la direction comme limitées et transitoires, devaient, se poursuivre sans qu’aucun engagement formel n’ait été pris en ce qui concerne leur terme ;
  • qu’il résulte de tout ceci que la décision du CHSCT de recourir à l’assistance d’un expert agréé en application des dispositions des légales rappelées plus haut, est ainsi justifiée, pour mener à bien sa mission relative à la prévention des risques professionnels.


Le syndicat FO avait donc raison. L'organisation du travail imposée par la direction du CHU présente des risques graves pour les agents.


Alors que penser de cette situation ?


Du fait du diktat de la direction de ce CHU, les infirmières doivent subir une organisation du travail qui présente un danger grave pour leur santé et des perturbations dans leur vie familiale et sociale. Contrairement à d'autres secteurs, elles ne peuvent pas se retirer de leur situation de travail car certains malades et les directions en abusent.

Le déni de cette direction et de ceux qui la soutiennent est irresponsable puisqu'il porte atteinte à la santé et à la sécurité des agents alors que la direction à l'obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. (L. 4121-1 du Code du travail).

C'est donc une faute. Une faute grave.  Et après ?


D'abord il faut savoir que, si les patrons du secteur privé sont sanctionnés pour de tels délits, les employeurs du public n'ont subi aucune sanction. L'État ne condamne pas ses directeurs. Au pire, ils sont mutés dans un autre établissement avec les mêmes responsabilités. On peut affirmer, sans crainte d'être contredit, qu'un directeur d'hôpital, qui est chef d'un établissement qui n'est pas en déficit, a quasiment tous les droits.

Les agences régionales de santé (ARS) informées ferment les yeux. Elles disent même, sans rire et sans peur du ridicule, que les établissements sont autonomes et qu'elles n'ont pas le droit de s'ingérer dans leur fonctionnement. Quant au Ministère de la Santé, il n'a aucune autorité sur les agences régionales de santé dont les directeurs sont nommés en Conseil des Ministres. Seuls les « petits » passent en conseil de discipline.


Peuvent-ils tuer en toute impunité ou presque  ?
Ainsi, il peut exister des délits du fait des organisations du travail, qui ne sont jamais punis. Il faut que ces délits entraînent des traumatismes (et donc des victimes) pour que des actions pénales soient engagées contre les auteurs.


C'est ce qu'a rappelé le Ministère de la Santé dans une circulaire (n° DGOS/RH3/2011/491 du 23 décembre 2011 relative au rappel des obligations en matière d’évaluation des risques professionnels dans la fonction publique hospitalière). Le manquement à cette obligation de sécurité et de résultat a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel le salarié était exposé et qui n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver. De ce fait, la victime peut demander réparation intégrale de son préjudice, y compris dans la fonction publique.

La responsabilité pénale du chef d'entreprise peut également être engagée sur le fondement du code pénal, en l'absence même d'un dommage constaté. Le nouveau code pénal a en effet introduit le délit de mise en danger d'autrui (article 223-1), dont l'objectif est de prévenir les accidents du travail en réprimant les manquements graves aux règles de sécurité.

Par exemple, si un agent n'a pas un minimum de 12 heures de repos entre deux journées de travail ou s'il dépasse les 48 heures de travail durant une semaine (heures supplémentaires comprises) et que ce dernier est victime d'un accident grave sur le trajet domicile/travail, l'employeur pourra être poursuivi pour mise en danger d'autrui.

Mais en règle générale, l'administration n'engage aucune action préventive et encore moins disciplinaire à l'encontre de ceux qui manquent à leur obligation de préserver la santé et la sécurité des agents dont ils ont la charge.

Il vaut mieux reconnaître et dialoguer


En conclusion, il apparaît nettement qu'il vaut mieux prévenir que guérir. Le dialogue social est un instrument au service du meilleur travail. Regarder les événements en face, les analyser et les traiter est infiniment préférable aux conflits et aux traumatismes du travail dont les agents peuvent être victimes.

En ménageant le personnel, en respectant leurs représentants qui doivent être acceptés comme des militants du bon travail, tout le monde est gagnant. Les agents parce qu'ils peuvent travailler en sécurité, les syndicats parce qu'ils font œuvre utile et les directions parce qu'elles peuvent gérer leur établissement dans un climat apaisé.

  • Pour revenir au dossier du CHU de Bordeaux qui nous sert d'exemple, la demande d'expertise pour régler un dysfonctionnement doit être le résultat d'un échange ayant pour objectif l'amélioration d'une situation.

Tant que des directions ne s’impliquent pas dans le dialogue social, les lieux prévus pour échanger ne seront que des arènes du pouvoir dans lesquelles se livreront d’inutiles combats.

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