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23 / 03 / 2021 | 424 vues
Rodolphe Helderlé / Journaliste
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Restructurations : comment élargir les alternatives et améliorer l’accompagnement de ceux qui partent ?

Retour sur le direct du 29 janvier, organisé par Miroir Social avec les cabinets Sextant Expertise et Oasys Consultants. Le premier accompagnant les représentants des salariés dans la négociation des restructurations tandis que le second s’attache au retour à l’emploi des sortants. Des éclairages très complémentaires sur les conditions des restructurations illustrées par les témoignages de l’UNSA, de la CFDT chez Schneider Electric et de la DRH de SKF.

 


 

En novembre 2020, SKF (spécialiste suédois des roulements pour l’industrie qui emploie 3 000 salariés en France sur 7 sites de production) a annoncé une fermeture prévue pour dans deux ans aux 140 salariés du site d’Avallon. Plus de 50 % de la production de cette usine qui produit des grands roulements pour les tunneliers, est destinée aux marchés asiatiques. « Cette décision du groupe s’inscrit dans une architecture mondiale composée de plus de 100 sites industriels. Avec les conséquences locales, une fermeture est très difficile à expliquer. Les équipes successives de direction de l’usine se sont battues pour obtenir des investissements pour le développement du site, sans succès. Des fermetures en Europe avaient déjà été annoncées lors du Comité Mondial mais il n’a malheureusement pas été possible d’anticiper le problème car le dialogue social n’est pas au niveau pour envisager une telle hypothèse. C’est rarement possible en cas de projet de fermeture et le choc de l’annonce du projet pour fin 2022 s’est accompagné d’une très forte tension sociale  », explique Daniel Mazzoleni, DRH France du groupe SKF.

Anticiper, c'est prendre ses responsabilités 
 

La difficulté des directions à mettre les enjeux stratégiques en débat constitue un frein manifeste à l’anticipation des réorganisations. « Résultat des courses : l’information-consultation sur les enjeux stratégiques revient à mettre des décisions déjà prises en discussion. Les directions ne diffusent pas suffisamment d’informations sur l’évolution des marchés, la concurrence et les enjeux. Nous devons essayer de combler ce manque de prise de responsabilité, quitte à apporter de mauvaises nouvelles. C’est une responsabilité que les élus doivent être capables d’endosser, à la condition d’avoir participé à la prise de décision », explique Vanessa Jereb, secrétaire générale adjointe en charge de l’emploi, l’économie et la formation professionnelle. Yvon Maury, coordinateur CFDT du groupe Schneider Electric, confirme cette frilosité : « la transparence de la direction à notre égard sur les enjeux stratégiques est très limitée. Nous avons les plus grandes difficultés à arracher des données prévisionnelles sur les volumes, les investissement et les emplois ». Anticiper, c’est pourtant limiter les licenciements contraints au maximum.


« Le nombre de PSE avec départs contraints a fortement augmenté avec le covid-19 mais moins qu’après l’explosion boursière de 2008 grâce à une panoplie plus large de mesures collectives. Nous avons eu l’occasion d’intervenir dans plusieurs situations où les directions mettent l’objectif visé par la restructuration sur la table. Nous pouvons désormais conjuguer davantage de dispositifs en fonction des situations », souligne Christian Pellet, président de Sextant expertise. Pleine illustration de ces restructurations à la carte chez SKF où le covid-19 affecte directement 2 sites liés à l’aéronautique. Celui spécialisé dans les hélicoptères a instauré un APLD et une GEPP tandis que celui dédié aux gros porteurs d’Airbus passe lui aussi par un APLD associé à un PSE cette fois. Simultanément, un autre PSE concernant une vingtaine de salariés des fonctions centrales a été annoncé dans le cadre de la création d’un centre de gestion partagée à Madrid. Une décision du groupe, totalement étrangère au covid-19. « Nous comprenons que des urgences économiques imposent des prises de décisions avec des conséquences sociales. C’est justement pour cela que les représentants des salariés devraient être informés de l’évolution de la situation économique en temps réel. Il est temps de synchroniser les temps économiques et sociaux », considère Vanessa Jereb qui plaide pour un dialogue social et économique.
 

Mieux accompagner les départs : entre offres valables d’emploi et cessations anticipées d’activité


Quand les départs s’imposent, autant créer les conditions pour que les partants soient les mieux accompagnés. « Il a fallu batailler pour que le congé de mobilité s’intègre aux RCC. Au départ, cela n’était pas prévu par l’exécutif qui reste en revanche inflexible pour n’intégrer aucun dispositif d’accompagnement pour les salariés licenciés dans le cadre des accords de performance collective », rappelle Éric Beaudouin, président d’Oasys Consultants. Le montant du chèque ne doit pas être le seul indicateur du caractère socialement acceptable d’une restructuration. C’est un défi pour les représentants des syndicats que de valoriser le financement des formations, les aides à la création d’entreprise et la durée des congés de reclassement ou de mobilité. « Les négociations visent à obtenir des engagements de la direction sur le retour à l’emploi des salariés. C’est essentiel d’avoir un moyen de pression sur ce registre-là », soutient Christian Pellet. L’obligation de résultat pèse sur les cabinets comme Oasys Consultants, sélectionnés pour animer les cellules de retour à l’emploi, et se cristallise le plus souvent sur le nombre d’offres valables d’emploi (OVE) proposés aux sortants. Si l’objectif d’OVE n’est pas atteint, des accords prévoient que les salariés concernés bénéficient d’une indemnité supplémentaire. 


Gare à la démagogie sur les offres valables d’emploi  


« Il est parfaitement logique que des objectifs nous soient imposés mais encore faut-il rester en phase avec la réalité de l’emploi. Quel est le sens d’exiger que l’on propose plus d’offres valables d’emploi aux salariés les plus âgés ou localisés dans des bassins d’emplois déjà en difficulté ? Il y a là une forme de démagogie. Il faudrait davantage valoriser la dimension qualitative de l’accompagnement. Le soutien est essentiel et cela peut se mesurer », explique Éric Beaudouin qui considère qu’il vaut mieux prolonger la durée du congé de reclassement ou de mobilité de trois mois plutôt que d’augmenter l’indemnisation financière directe. « Pour les partants, des accords convertissent financièrement une partie de la durée du congé qu’il leur reste au moment où ils trouvent un emploi », précise celui qui verrait d’un bon œil que les cabinets d’experts auprès des CSE puissent continuer d’accompagner les élus dans le cadre des commissions de suivi du reclassement. Selon Christian Pellet, « la négociation d’un PSE est très éprouvante pour les représentants des salariés. Les sources de pression sont multiples. Il faut encaisser et il n’est pas évident de rester pleinement mobilisé pour suivre les reclassements et la responsabilité de l’employeur en la matière ».

Des mesures d'âge assumées
 

Mais les PSE du moment se caractérisent avant tout par le poids des dispositifs de cessations anticipées d’activités. « Les mesures d’âge proposées à partir de 58 ans permettent de beaucoup réduire la pression sur les départs contraints. La DIRECCTE regarde cela de près », souligne Daniel Mazolleni qui refuse par ailleurs de verser des indemnités supra-légales pour mettre la priorité sur les mesures de retour à l’emploi. Les 3 PSE négociés par Schneider Electrics sur ces usines spécialisées dans la moyenne tension intègre ainsi une « pré-retraite » maison de minimum 24 mois mais qui peut aller jusqu’à 51 mois pour les salariés avec le plus d’ancienneté au compteur. « Les salariés ont la possibilité de rallonger la durée de la cessation anticipée convertissant en mois, tout ou une partie de leur indemnité conventionnelle de départ à la retraite qui se trouve doublée dans ce cadre », explique Yvon Maury. Ainsi, 35 ans d’ancienneté, c’est 12 mois de cessation d’activité en plus dans la balance. À noter que ce régime de cessation anticipée d’activité concerne aussi les salariés qui ne sont pas en poste dans les trois usines concernées par les PSE. Une condition : un salarié dont le poste est supprimé doit pouvoir prendre celui libéré par un départ en pré-retraite. Sur un autre site, à Grenoble, un dispositif de cessation anticipée d’activité s’intègre cette dans la GEPP, certes moins favorable car sans doublement de l’indemnité de départ à la retraite et qui table sur 200 départs volontaires en contrepartie de 115 recrutements. Un retour en force des mesures d'âge dans les entreprises, bien à contre-courant de l’évolution du régime de retraite.