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07 / 06 / 2011 | 5 vues
Benoît Tine / Membre
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France-Sénégal : approche comparée des compétences sociales des téléconseillers en centres d’appels

Les centres d’appels téléphoniques sont apparus au cours des années 1960 aux États-Unis puis se sont développés en Australie et en Europe à partir de la seconde moitié des années 1970. En France, leur essor commence vers la fin années 1990. Née du couplage du téléphone et de l’informatique, la relation clientèle a radicalement transformé le paysage de l’entreprise. Le développement des nouvelles technologies aidant, on a abouti à une rationalisation poussée de ce qui a fini par devenir l’industrie de la relation clientèle. Le centre d’appels téléphoniques devenu centre de contacts, vu la multiplicité des supports proposés (courriel, téléphone, courrier, tchat, visio, sms, mms, fax…) est considéré comme le centre névralgique du système de gestion de la relation entre un client, usager ou abonné et un bien, entreprise ou service. Il a généralement pour but de prospecter, de proposer, de vendre (appels sortants) ou d’informer, de répondre à des sollicitations (appels entrants).

  • Nous n’avons pas cherché à étudier dans son ensemble un métier qui n’en serait pas un, mais d’un processus d’élaboration d’un savoir-faire dans un contexte de foisonnement de zones d’incertitudes, qui se nourrit a minima de compétences sociales.


Suite à cette recherche doctorale effectuée en France et au Sénégal, le travail de téléconseiller nous apparaît fondé sur des caractéristiques dont certaines rappellent le taylorisme sans pour autant s’en réclamer.

L’étude de ces centre d’appels permet de constater un secteur à la pointe des NTIC en perpétuelle mutation et qui se distingue par une rationalisation industrielle poussée à son maximum et dont l’automatisation des tâches est la règle. Ainsi, sur les plateaux de production, d’impitoyables logiciels traquent les moindres faits et gestes des téléconseillers, le moindre temps mort, les moindres mots qu’ils prononcent et les moindres clics de la souris ; les statistiques qui détaillent tous les paramètres de la production sont analysés et envoyés en temps réel.

Mobilisation des compétences sociales

Ce tableau contraste avec l’absence de qualifications et de compétences techniques spécifiques dans les opérations effectuées.

  • Paradoxalement, ces salariés mobilisent des compétences sociales en mettant en exergue leur personnalité.

Il s’avère en effet que dans l’exercice de l’activité, les téléconseillers répartis dans des box disposés à perte de vue sur une plate-forme, les yeux rivés sur les écrans d’ordinateurs et un casque-micro vissé sur la tête, mobilisent des compétences sociales bien avant de mobiliser de quelconques qualifications à propos d’une activité qui fait déjà l’objet d’une rationalisation industrielle étendue.

  • La cinquantaine d’affiches, d’annonces, d’appels à candidature consultée dans les agences de travail temporaire et centres d’appels nous renseigne sur les capacités recherchées en matière de relation clientèle : sourire, bagout, résistance au stress et à l’échec, aptitude relationnelle, capacités commerciales, sens de l’écoute attentive, bonne qualité de l'expression orale, bonne élocution, aisance au téléphone etc.


De même, nos différentes observations participantes ainsi que les entretiens réalisés ne laissent aucun doute. Les téléconseillers confirment que d’une part, la formation initiale censée les initier aux bases du télémarketing et aux caractéristiques des produits dont ils seront les représentants dure à peine quelques jours, parfois même quelques heures. « La formation initiale est trop rapide. On fait vite de nous envoyer sur le plateau ». À ce stade, ils doivent maîtriser les dialogues qui sont prescrits (les « scripts » préparés par le donneur d’ordre), avoir une attitude et un discours positif et valorisant ; proscrire les mots et phrases « noirs » et négatifs également définis par l’employeur : allô, problème, malheureusement, impossible, voilà, ok, dommage, je ne comprends rien, vous avez tort, pas de chance, oui… mais, hélas, attendez.

D’autre part, ils considèrent que les diplômes sont inutiles pour effectuer des tâches  prescrites et les téléconseillers dépourvus de diplôme exécutent aussi bien les tâches que les collègues parfois « très diplômés » : « Quand j’ai fait ce centre d’appels, je n’avais pas encore le bac » dit un téléconseiler interviewé, tandis qu’une formatrice considère que « (moi), en tant que formatrice, je reconnais qu’il y a une base qu’il faut avoir pour exercer ce travail mais grosso modo, on n’a pas besoin de diplôme pour exercer ce travail. Même sans le bac, on peut le faire ».

Cependant, si ces employés, en majorité des jeunes et des femmes, sont recrutés sur la base de leurs compétences sociales, il n’en demeure pas moins que pour ceux qui doivent rester (le turn-over à Paris varie entre 30 et 60 % et par conséquent ne leur laissent pas beaucoup de temps pour maîtriser leur objet), il est impératif d’apprendre vite sur le tas, de convoquer des compétences incorporées, de construire pour eux et pour chaque appel un savoir fonctionnel, qui ne correspond à aucune catégorie socioprofessionnelle par conséquent peu ou pas opérationnel ailleurs, en tâtonnant souvent et parfois au détriment du service censé être délivré.

Le rôle de l'école

  • Mais on pourrait se demander si effectivement l’école ne participe pas à cette acquisition de compétences sociales : savoir parler correctement, avoir du bagout, une bonne intonation, une maîtrise de soi, une résistance à l’échec etc.  Les compétences sociales ne sont-elles pas un ensemble forgé par l’éducation primaire, scolaire et familiale ? L’école ne participe-t-elle pas à la diffusion de ces compétences sociales ?

Ces compétences sociales ne sont-elles pas acquises par un processus plus complexe ? C’est d’abord leur personnalité qui est mise en scène avant toute mobilisation de savoirs techniques. L’école est un cadre dans le processus de socialisation et en tant que tel, elle n’inculque pas seulement des qualifications techniques spécifiques mais aussi des compétences sociales. L’école, lieu de socialisation, participe à façonner le futur téléconseiller dont les références culturelles sont parfois à l’opposé de celles exigées par le centre d’appels, donc du client final. Cela est d’autant plus vrai qu’en France, les téléconseillers sont issus de zones géographiquement et culturellement différents de la « norme ». Au Sénégal, le processus de maîtrise de la langue française, de neutralisation de l’accent et d’assimilation passe par la scolarisation.

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