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06 / 06 / 2016 | 235 vues
Jacky Lesueur / Abonné
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Écotemps : une banque du temps ouverte

Nous avons évoqué en février dernier cette initiative originale.
 
Jean Bourdariat, vice-président  du collectif Écotemps et de l'association L’ÉchangeHeure, a bien voulu faire le point pour Miroir Social, avec le recul de ces premiers mois de mise en œuvre de ce dispositif.
 
Écotemps est un réseau local d’échange de services et de savoirs, démarré à l’été 2015 à Nanterre (ville de 90 000 habitants à l’ouest de Paris). Le but est de développer le lien social et de favoriser l’implication citoyenne par un système ouvert à tous les habitants de la ville et de ses quartiers (jeunes, seniors, parents au foyer, employés, chômeurs et étudiants de l’université de Paris-Ouest) sans aucune discrimination.

Écotemps s’appuie sur un réseau d’associations (1) et de structures locales (centres sociaux, services publics…). Huit mois après le démarrage, près de 200 habitants et une quinzaine d’associations sont membres de la banque du temps.
 
Pourquoi une « banque du temps ouverte » ?
 
Les associations sont très nombreuses en France (environ 1,3 million). Il en existe plus de 1 000 dans une ville comme Nanterre, avec des vocations très diverses. En participant à la banque du temps, les associations peuvent coopérer et partager leurs moyens sans nécessité de changer d’objectifs ni de manière de travailler, ni obligation de rejoindre une autre organisation. Chaque organisation membre poursuit ses propres objectifs, avec plus de moyens et moins de stress, grâce à l’outil banque du temps. De plus, les adhérents des associations participent en réalisant des échanges entre eux. C’est cela que nous appelons une « organisation ouverte ».
 
Différents groupes se sont organisés au sein d’Écotemps. Les habitants ont le choix d’être rattachés ou non à un quartier. Le LETS (local exchange trading system ou SEL en français) de Nanterre s’est constitué en groupe privé : ses membres peuvent échanger entre eux ou avec les autres membres de la banque du temps.
 
D’autres groupes se mettent librement en place : les parents d’une école maternelle, les étudiants de l’université de Paris-Ouest etc. Des projets sont lancés, par exemple pour soutenir les aidants de personnes âgées ou pour monter un atelier de réparation ouvert à tous les membres.

Chaque groupe poursuit ses propres objectifs avec une seule contrainte : respecter la charte d'Écotemps. Les organisations (associations, services municipaux et institutions) peuvent elles aussi échanger des services, entre elles ou avec leur propres bénévoles. 

Le temps, impérieuse nécessité pour coproduire les services publics

Dans toutes les grandes villes, les travailleurs sociaux constatent les limites de leurs actions. Les attentes en matière de bénéfices sociaux sont toujours plus fortes. Elles ne peuvent plus être satisfaites par la seule action sociale dont les moyens humains et financiers sont limités et même souvent en diminution. De ce constat est né le concept de « co-production » des services publics.
 
Il ne s’agit pas seulement de compenser le désengagement de l’État qui cherche à rééquilibrer ses finances. Il s’agit de reconnaître que les agents du service public n’ont pas l’exclusivité de l’entretien des biens communs et que les citoyens peuvent y contribuer. D’abord en participant à la production de ces services (propreté, cadre de vie, éducation…).
 
Ensuite, en contribuant à leur définition en fonction des biens communs locaux, qu’ils connaissent mieux que personne car ils en sont les utilisateurs chaque jour. Les agents des services publics ne doivent pas se limiter à la fourniture de services : ils doivent apprendre à animer la coproduction des services, à encadrer et soutenir les citoyens qui y contribuent.

De plus en plus d’habitants ont du temps mais pas d’argent. Parmi eux, beaucoup sont prêts à apporter ce temps pour contribuer à l’entretien des biens communs. La valeur sociale de leur contribution et la sortie de l’isolement sont leurs premières motivations.

Pour que cette motivation soit complète, il faut pouvoir valoriser leur temps, dans un souci d’équité et de reconnaissance. C’est ce que permettent les banques du temps, en se passant de la valorisation en argent qui est la règle dominante de l’économie marchande, ce qui posera tôt ou tard la question de l’équivalence entre les impôts et la valeur en temps des services citoyens

La réciprocité, un outil de reconnaissance mutuelle 

Les bénévoles des ONG assurent des missions pour partie analogues à celle des employés du service public. Leur engagement sur le terrain peut leur faire penser qu’ils connaissent les besoins mieux que les gens qu’ils aident. Les gens aidés se comportent parfois comme des consommateurs (et pas des acteurs) des services proposés par les ONG. Mais heureusement, beaucoup ont compris qu’il n’y a pas d’issue autre que de rendre les gens acteurs du service qu’il attendent pour vraiment en bénéficier.

La réciprocité est plus forte que le don. Un service n’est plus bénévole mais rendu au bénéficiaire dans l’attente que celui-ci offre un service à son tour à un membre du groupe ou à l’association.

En pratiquant la réciprocité, on reconnaît que la personne aidée a des compétences, qu’elle prend sa place dans le groupe à l’égal des autres. Il n’y a plus ceux qui donnent d’un côté et ceux qui reçoivent de l’autre mais une communauté d’égaux où chacun est appelé à contribuer à l’intérêt commun de manière égalitaire. La réciprocité est le paradigme que lequel Écotemps est fondé.

La banque du temps, outil de la réciprocité 

La banque du temps permet de susciter et de rapprocher les offres et les demandes de service. Les contributions des uns et des autres sont mises en équivalence en suivant la règle « une heure = une heure ». La monnaie-temps apporte la liquidité nécessaire à l’échange de services non marchands diversifiés entre tous les participants de la communauté.
 
Non échangeable en monnaie officielle, la monnaie temps ouvre l’espace qu’Edgar Kahn appelle la « core economy ». Celle-ci produit les services que l’on ne peut obtenir contre de l’argent : l’amour, la solidarité, l’éducation des enfants, la transmission des valeurs, l’entraide familiale, l’attention aux personnes âgées, un cadre de vie agréable et bien sûr la démocratie.

Un collectif ouvert à tous les habitants et aux associations

Une minorité des habitants d’une ville ou d’un quartier est engagée dans des actions d’intérêt collectif. Les gens adoptent un comportement solidaire d’abord au sein de la famille et dans le voisinage immédiat. Les communautés de travail (l’entreprise) et de loisirs (sport, culture…) offrent d’autres espaces de solidarité possibles. Les bénévoles et activistes des associations militantes n’ont pas attendu que l’on invente la réciprocité et les banques du temps pour s’engager dans des actions collectives.

C’est pourquoi nous recommandons la constitution de banques du temps en « collectifs ouverts ». Car il ne s’agit pas de demander à un militant d’abandonner son association pour s’engager dans une autre organisation. Au contraire, les militants seront plus efficaces, mieux reconnus, ils mobiliseront plus facilement les bénévoles en utilisant la banque du temps comme un outil pour accomplir leurs missions, sans rien abandonner de celles-ci. De même les personnes qui destinent leurs actions de solidarité à leur famille et à leur voisinage immédiat n’ont pas nécessairement envie de s’engager dans une association. Une banque du temps ouverte est un outil non contraignant qui leur permet d’améliorer leur quotidien, d’être solidaire et de se sentir membre de leur quartier et de leur ville.

Nécessité d’agir localement

En ce XXIème siècle, de nouveaux conflits apparaissent partout. Les organisations internationales créées après la seconde guerre mondiale s’essoufflent. L’égoïsme des nations et les rapports de force gouvernent les rapports entre les pays. Malgré les menaces écologiques, les efforts à engager pour protéger les biens communs sont remis à plus tard car le système financier les ignore.
 
La globalisation économique accroît l’appétit de consommation des citoyens en même temps qu’elle creuse les inégalités entre ceux qui en bénéficient et les plus nombreux qui la subissent. La situation de nombreux pays, pousse sur les routes des millions de gens se cherchant un avenir dans un autre pays. Les pays industrialisés, longtemps épargnés, sont désormais touchés à leur tour.
 
Les systèmes démocratiques peinent à trouver les bonnes réponses car ils fonctionnent mal lorsque la notion d’intérêt commun s’affaiblit ou se confond avec celle d’intérêt nationaliste.
 
L’urbanisation a attiré des millions de gens dans des villes où les communautés sont fragmentées. Le système économique partage le temps des gens entre le travail, pour gagner de l’argent, la consommation et les loisirs pour le dépenser. Il favorise l’égoïsme et le repli sur soi. Une ségrégation s’installe, en fonction des inégalités économiques et culturelles entre groupes sociaux et des générations. La diversité des origines ethniques ajoute une autre dimension à cette ségrégation.
 
La banque du temps est un outil peu coûteux et facile à mettre en œuvre pour ressouder les communautés fragmentées, renforcer le lien social et la solidarité comme Écotemps le fait à Nanterre.
 
1 ) Associations fondatrices d’Écotemps : Nouvelles Voies, Consommer et Échanger A Nanterre (CEAN), La Soupe aux Cailloux, AuthentiCité, L’ÉchangeHeure.
 
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