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03 / 07 / 2009 | 8 vues
Hélène Truffaut / Membre
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E-learning: des apprenants suivis à la trace

Son développement n'aura pas été spectaculaire. Mais le e-learning est aujourd'hui bien ancré dans les dispositifs de formation des grandes entreprises et des administrations. Et s'il suscite encore beaucoup de réticences -souvent liées à la culture de l'entreprise, il commence enfin à intéresser les grosses PME. Mieux: la formation à distance aurait de plus en plus la cote auprès des salariés (cadres, pour la plupart). C'est, du moins, l'un des constats de la 3è édition d'une enquête de l'Observatoire Cegos.

 


L'enquête de l’Observatoire Cegos porte sur les modalités de formation dans les entreprises de plus de 1 000 salariés. Elle a été menée en juin 2008 auprès de 900 salariés ayant suivi une formation en groupe au cours des 3 dernières années. Elle indique un taux de satisfaction de 66%, en progression de 10 points entre 2007 et 2008 chez les bénéficiaires de formations e-learning. Et de 82% (+12 points) chez les apprenants ayant expérimenté le « blended learning » (alternant présentiel et e-learning).

Le résultat n'étonne pas le directeur des activités e-learning de l'organisme de formation. « En 2005-2006, on a conçu des modules « au kilomètre », sans approche pédagogique », reconnaît Pascal Debordes, pour qui la qualité s'est, depuis, beaucoup améliorée. « Après avoir essuyé quelques déconvenues, les entreprises ont maintenant pris conscience de la nécessité de concevoir des formations plus attractives et interactives. » Autres facteurs particulièrement propices à l'adoption du e-learning par les salariés: le développement de l'utilisation d'Internet. Et celui des cursus mixtes, davantage appréciés des principaux concernés.

« La formation ne sera plus un temps défini, mais des moments instillés dans la vie du salarié » - Philippe Gil de Demos
Pour les entreprises, l'avantage est d'abord financier. « Pour ne parler que des coûts pédagogiques, il est difficile d'aller en dessous de 50 euros de l'heure en présentiel, alors qu'une formation e-learning peut descendre à 5 euros. », explique Steve Fiehl, directeur associé de CrossKnowledge, spécialiste des formations managériales à distance. Parmi les autres atouts: la rapidité de déploiement et le taux de couverture des formations en ligne. Comptez, par exemple, trois mois pour qu'une compagnie d'assurance aligne son management sur une nouvelle stratégie... contre trois ans en présentiel, illustre Steve Fiehl. Pour le codirecteur de Demos e-learning Philippe Gil, le développement des sessions en ligne va d'ailleurs permettre d'inscrire la formation de plus en plus dans le quotidien. « Ce ne sera plus un temps défini, mais des moments instillés dans la vie du salarié », expose-t-il.

Traçage ou flicage ?

Enfin, à la différence des formations classiques où seule est mesurée la satisfaction des stagiaires, le e-learning permet aussi de suivre précisément les actions des apprenants et l'évolution de leurs connaissances. Et le directeur associé de CrossKnowledge d'enfoncer le clou: « 80% des contenus dispensés en salle sont oubliés au bout de trois semaines. Certes, nous ne garantissons pas les résultats des formations e-learning, car ils sont variables en fonction des contextes et des populations. Mais nous garantissons, au moins, une mesure des résultats, à savoir la progression de tel ou tel groupe sur un contenu donné ».
« Il n'était pas question que le dispositif e-learning puisse devenir un outil de « flicage » des commerciaux. » Christian Schirmer, CFTC Generali
Cette traçabilité des parcours de formation ne suscite guère de réactions du côté des syndicats. Sur le site de la CFDT Cadres figure tout de même une liste de propositions (actualisée en 2004), concernant l'utilisation des technologies de l'information et de la communication dans les entreprises et administrations. L'une d'elles aborde la nécessité de définir précisément les utilisations possibles et les personnes habilitées à consulter les données individuelles des fichiers de gestion de ressources humaines, dont les résultats des exercices effectués en e-learning. La CGT est, pour sa part, davantage préoccupée par les éventuelles dérives liées aux temps de formation. « Nous ne sommes pas opposés à la formation ouverte et à distance, qui offre des possibilités intéressantes en termes d'organisation du temps », explique Djamel Teskouk, conseiller confédéral. Mais nous considérons que c'est du temps de travail. En sollicitant le salarié au delà des heures normales, le e-learning peut mettre en cause ses droits au repos, empiéter sur sa vie personnelle et familiale. »

Chez Generali, un récent projet visant à mettre en ligne les formations aux produits et aux méthodologies de vente proposées au choix des salariés (un certain nombre de modules par an) a été largement débattu au sein de la commission formation qui a, elle aussi, mis sur la table la question des temps de formation. Plus exactement le « traçage » des connexions des apprenants. « Il n'était pas question que ce dispositif, qui est par ailleurs une bonne chose, puisse devenir un outil de « flicage » des commerciaux », raconte Christian Schirmer, délégué syndical CFTC et président de la commission formation professionnelle du réseau commercial de l'assureur. Du coup, les intéressés suivent les modules en mode déconnecté, à leur rythme, avant d'envoyer leur « copie » à leur hiérarchie. Laquelle peut, si nécessaire, leur apporter une aide pédagogique. Reste à savoir comment seront exploités les résultats.

« L'objectif de l'évaluation est plutôt de motiver l'apprenant, car elle permet d'individualiser les parcours » - Pascal Debordes, Cegos

Car avec le e-learning, le test en ligne, en amont et en aval des formations, est devenu incontournable. Les salariés se prêtent-ils volontiers à l'exercice ? « L'objectif de l'évaluation est plutôt de motiver l'apprenant, car elle permet d'individualiser les parcours et de sauter les points qui ne sont pas nécessaires », répond Pascal Debordes. « Nous avons observé que les gens répondaient plutôt franchement aux questionnaires, confirme Steve Fiehl. C'est d'ailleurs dans leur intérêt, car les questions sont croisées ».

Tous les professionnels se veulent, en tous cas, rassurants quant à l'utilisation des données personnelles collectées au travers des systèmes de e-learning, arguant du fait qu'un emploi mal intentionné de ces dernières signerait, à coup sûr, la mort de ces dispositifs. « De même qu'un DRH ne va pas aller observer par le trou de la serrure ce qui se passe en présentiel, la formation e-learning doit proposer un environnement sûr aux apprenants. Dans le cas contraire, ils cacheraient leurs faiblesses et ne pourraient pas progresser », assure Steve Fiehl.

Pratiques très variables


Selon certains spécialistes de la formation, les entreprises ne disposent que de synthèses globales. Pour l'éditeur Cap RH, les pratiques sont cependant très variables d'une organisation à l'autre. « Des entreprises se contentent de mettre du contenu à disposition, sans aucune vérification derrière, détaille le directeur Karim Ghéribi. Mais les employeurs ont parfois besoin de notes individuelles pour la délivrance d'une certification. Lorsque la formation est attachée à la notion de qualité de service, à des objectifs commerciaux ou tout simplement à l'acquisition de connaissances métier, les parcours individuels peuvent être suivis de près. Mais dans certaines organisations, les données personnelles sont, effectivement, toujours noyées dans des moyennes. »

« Un manager peut suivre le déroulé des actions de formation"- Philippe Gil, DemosLes plates-formes de e-learning proposent, par ailleurs, différents niveaux d'accès à ces informations. Les tableaux de bord pouvant être à usage exclusif de la DRH et des responsables formation. Ou bien accessibles en partie aux managers, permettant ainsi de décentraliser la gestion de la formation. Depuis la prescription de modules personnalisés jusqu'à un éventuel débriefing en fin de parcours. « Un manager peut suivre le déroulé des actions de formation et faire de piqûres de rappel aux collaborateurs qui n'auraient pas encore suivi un module obligatoire, explique Philippe Gil (Demos e-learning). « Il peut également être amené à donner son avis, par le biais d'un questionnaire en ligne, sur la façon dont son équipe a progressé après une formation. »

De quoi, en tous cas, alimenter les entretiens annuels d'évaluation. A condition, prévient Karim Ghéribi, de ne pas brûler les étapes. « Ce n'est pas parce qu'on a répondu correctement à un QCM qu'on est capable de passer à la pratique. La formation n'est qu'une aide à l'acquisition des compétences, qui s'évaluent sur le terrain. » Et d'insister sur l'importance de communiquer, auprès des salariés, sur les formations qui peuvent donner lieu à l'attribution d'un niveau.

  • L'article L.2323-13 du code du travail (anciennement L.432-2) stipule que « le comité d'entreprise est informé et consulté, préalablement à tout projet important d'introduction de nouvelles technologies, lorsque celles-ci sont susceptibles d'avoir des conséquences sur l'emploi, la qualification, la rémunération, la formation ou les conditions de travail. »


Une chose est sûre: le retour sur investissement (ROI) d'une formation, qu'elle soit dispensée à distance ou en présentiel, ne peut s'apprécier qu'à une échelle collective. « Ce qui intéresse l'entreprise, c'est de savoir si l'ensemble de ses vendeurs a progressé, et si cela a permis de développer les ventes, commente Pascal Debordes. Mais la démarche suppose beaucoup de transversalité et de coopération entre les opérationnels et les RH. En France, c'est une voie sur laquelle les entreprises ne sont pas très engagées. »

 

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