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24 / 04 / 2018 | 69 vues
Pascale Brizio / Membre
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Douanes : survivre à CAP 2022 comme corps autonome

On se souvient peut-être que la libre circulation des marchandises entre États membres de l’Union européenne (25 ans déjà, très discrètement célébrés) n’a pas entraîné la suppression des douanes françaises. Pour de bons motifs, quoique pas très évidents pour le citoyen plus ou moins bien informé (voire le journaliste très moyen) :
  • la France avait aussi des échanges commerciaux avec des pays tiers à l’Union européenne, aussi peu anecdotiques que les États-Unis, la Chine, la Russie, le Japon, Israël et la Suisse ;
  • les douanes françaises ne se limitaient pas à un corps de garde-frontières, ni même à un réseau de dédouanement de marchandises déployé sur le territoire national mais constituait une administration fiscale à part entière de longue date.
En 1993, les douanes se sont vu confier l’assiette et le recouvrement des « contributions indirectes » (impositions variées concernant essentiellement les alcools et tabacs ainsi que la viticulture), jusque-là assurés par la Direction générale des impôts (DGI). Celle-ci devenait en même temps compétente pour collecter la TVA dite « intracommunautaire », désormais découplée de toute notion de dédouanement, sur les échanges entre États membres du grand marché intérieur.

Or, la démarche CAP 2022, sorte de RGPP en plus musclée, visant à traduire en « délégations » (en clair privatisations voire abandons de missions) la réduction massive d’emplois publics programmée d’ici la fin du quinquennat, pourrait aboutir à une nouvelle répartition des missions entre Direction générale des finances publiques (DGFiP, entité ayant absorbé la DGI entre autres) et DGDDI (douanes et droits indirects), au net détriment de cette dernière.

Début mars, face aux représentants du personnel, le directeur général des finances publiques, Bruno Parent, a évoqué des pistes de « rationalisation » qui ne manquent pas d’inquiéter au sein des douanes.


1) L’attribution à la DGFiP de la totalité du recouvrement concernant la sphère publique, y compris sociale, ce qui impliquerait une unification avec le réseau URSSAF.

Or, une telle fusion signerait la disparition du réseau comptable douanier, désormais inutile, alors qu’il achève de se réorganiser et de se centraliser à grands efforts et à un coût humain élevé pour une partie des agents.

2) Le transfert à la DGFiP de missions d’ordre fiscal dévolues aux douanes
, peut-être dans le but implicite de justifier des emplois que la mise en place du prélèvement à la source pourrait faire paraître redondants (dans un contexte, comme dit plus haut, de saignée des effectifs, à laquelle Bercy est pressenti comme principal contributeur). Ont été citées, toujours à l’état de « pistes de travail » :
  • la fiscalité énergétique et environnementale, qui se décline en six types de perception (dont la principale, la TICPE, est régie par le code des douanes) et constitue une part prépondérante des recettes fiscales recouvrées par les douanes ainsi qu’une part non négligeable des ressources de l’État ;
  • les contributions indirectes, dans un anti-93 qui pourrait sembler savoureux si les conséquences potentielles n’en étaient pas aussi préoccupantes.

On reconnaît là certaines préconisations de la Cour des comptes, visant à dessaisir la douane de missions que, selon la rue Cambon, elle n’accomplit pas assez efficacement, mais aussi à faire de la DGFIP l’instrument unique de recouvrement de l’ensemble des prélèvements obligatoires de l’État.

Or, la perte de ses missions fiscales (ou d’une partie significative d’entre elles) représenterait pour la douane un repli délétère sur un cœur de métier (le dédouanement) voué à se rabougrir, du double fait du désarmement douanier international (que n’infléchira probablement pas en profondeur le récent virage américain) et de la « facilitation du commerce extérieur » (simplification des formalités réduisant drastiquement les possibilités de contrôle des opérateurs des échanges internationaux de marchandises). Certains bureaux de douanes y joueraient assurément leur existence.

Des recrutements qui ne doivent pas masquer les risques

On pourrait se rassurer à bon compte en rappelant qu’au rebours du plan stratégique « douanes 2018 », qui avait fortement mobilisé fin 2013 et qui planifiait des réductions d’effectifs encore accrues (moins 1 700 emplois sur 4 ans) par rapport aux quelque 300 suppressions nettes annuelles jusque-là enregistrées, les douanes recrutent de façon plus affirmée depuis deux ans : en 2016 et 2017, 500 postes toutes catégories confondues étaient  à pourvoir chaque année par concours, ce qui représente environ 300 recrutements supplémentaires par rapport à la programmation initiale, ajoutés dans le cadre du plan de renforcement de la lutte contre le terrorisme.

Est-il permis d’y voir une tendance de fond durable ? Il faut garder à l’idée que si des recrutements accrus ont eu lieu en 2016 et 2017 et sont encore programmés pour les 3 années suivantes (700 postes en tout), cela tient à des circonstances exceptionnelles, constituées d’abord par une menace terroriste amplifiée, puis par le déploiement du Brexit, qui va entraîner un regain d’activité liée au dédouanement nécessitant un abondement des effectifs dans les régions les plus fortement concernées.

Par ailleurs, un recrutement d’une nature bien différente, préfigurant la contractualisation chère au secrétaire d’État à la fonction publique, nous offre une entrée en scène fracassante : près de 100 postes de catégorie C dans 5 régions, accessibles sans concours, sont offerts à tout postulant, le choix de ces agents publics nouvelle génération reposant sur une procédure aux contours pas très nettement définis.

En outre, le mouvement de « resserrement du réseau », comprendre « concentration des sites et définition de ressorts territoriaux démesurés, au détriment de la proximité », se poursuit implacablement.

En 1993, les agents des douanes étaient 22 500. On en recensait 19 500 en 2005, 17 000 en 2014 et un peu moins (16 672 exactement) fin 2017. Plus d’une fois depuis 1993, les douanes ont redouté de voir leur effectif total passer sous un seuil critique justifiant leur existence comme corps autonome et d’être en conséquence démantelées et redistribuées en pièces détachées à d’autres directions.

Pourtant, la nécessité de douanes uniques et unies repose sur des considérations qui ne sont pas uniquement numériques, bien que la composante financière n’en soit pas absente : pour ne citer qu’une seule série de chiffres parlante, le total des recettes fiscales perçues par la DGDDI en 2017 s’élevait à près de 80 milliards d’euros (en hausse d’un peu moins de 5 %), dont 51 milliards d’euros pour la fiscalité énergétique et environnementale, 17 pour les contributions indirectes, et 9,5 pour les droits de douanes et la TVA extracommunautaire (2 seulement pour les droits de douanes hors TVA).

Dédouanement, collecte des droits et taxes, lutte contre la fraude, protection des citoyens au sens large, facilitation des échanges et collecte des données du commerce extérieur, pour disparates qu’elles puissent sembler pour un observateur peu averti, sont en réalité des missions indissociables les unes des autres, par le trait d’union que constituent les échanges internationaux, et ne sauraient être menées qu’en cohérence les unes avec les autres.

Le 13 avril dernier, lors d’un déplacement sur des sites de contrôle des conteneurs au port du Havre, le ministre de l’action et des comptes publics Gérald Darmanin, après avoir annoncé des recrutements significatifs d’agents des douanes sur concours (700 sur 3 ans donc), notamment liés à la prise en compte des répercussions du Brexit (en hypothèse « Brexit dur » considérée comme la plus probable), a commenté les propos du DGFiP en termes très vagues, sans confirmer ni infirmer qu’un transfert significatif de missions fiscales dévolues aux douanes et/ou un affaiblissement du réseau comptable douanier soient envisagés.

Ce même ministre vient d’écrire aux agents des douanes, en leur annonçant la participation de certains d’entre eux au défilé du 14 juillet prochain pour la troisième année consécutive, quelques mots que nous ne pouvons qu’espérer prémonitoires : « Je souhaite que ce moment constitue un moment fort de regroupement des douaniers exerçant dans tous les métiers autour de valeurs communes ».

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