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08 / 06 / 2012 | 4 vues
Martin Richer / Membre
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Conférence sociale du 9 juillet : exhumons le rapport enterré par Nicolas Sarkozy

La « conférence de méthode » tenue à Matignon le 5 juin a permis de préparer la « grande conférence sociale », qui aura lieu les 9 et 10 juillet au siège du CESE (Conseil économique, social et environnemental) pour jeter les bases du dialogue social et définir les grands sujets à traiter pour les années à venir. Lors de cette réunion, les participants (gouvernement et partenaires sociaux) ont sélectionné les 7 thèmes qui en constitueront l’ossature. La formation professionnelle en fait partie.

C’est essentiel car le retard français en matière de formation est un handicap majeur en matière de compétitivité (bien que moins souvent mentionné que le niveau des salaires ou des prélèvements sociaux…). La Commission européenne vient encore de rappeler dans un rapport récent que la France est mal positionnée parmi les 27, en ce qui concerne son effort de formation (« Fifth Working Conditions Survey - Overview report », Eurofund, avril 2012).

C’est pourquoi, il est utile de consulter le rapport Larcher (« La formation professionnelle : clef pour l’emploi et la compétitivité », avril 2012), qui donne sur plusieurs aspects, du grain à moudre.

Tout d’abord, ce travail est récent et offre une synthèse des rapports précédents, nombreux, souvent fournis et hermétiques. Il n’a pas connu la visibilité qu’il méritait pour une mauvaise raison : son contenu ne correspondait pas à celui espéré par son commanditaire. Nicolas Sarkozy, alors candidat à sa succession, avait commandé ce rapport à Gérard Larcher, sénateur UMP des Yvelines, en janvier 2012 pour étayer ses thèses sur la nocivité des corps intermédiaires (les 31 milliards de la formation professionnelle seraient mal utilisés), l’intérêt du référendum (si les partenaires sociaux sont « incapables de se mettre d’accord ») et les supposés abus des assistés (les chômeurs une fois formés seront tenus d’accepter un emploi correspondant à leurs nouvelles compétences).

Mais le rapport ne s’est pas aventuré dans ces eaux troubles et obscures… La conférence de presse prévue pour le rendre public a été annulée sans explication et le rapport rendu public mais en catimini, par une simple mise en ligne sur le site internet de l’Élysée.

Ce rapport contient plusieurs propositions qui me semblent dangereuses, voire néfastes. Il n’en reste pas moins que malgré une satisfaction parfois de façade, la réforme de la formation de novembre 2009 a laissé de côté bon nombre de questions qui posent aujourd’hui des problèmes réels et c’est un mérite de ce rapport que de les rappeler.

Deux propositions du rapport Larcher méritent une attention d’autant plus grande qu’elles sont en phase avec les préoccupations d’aujourd’hui.

Inclure le plan de formation dans le domaine de la négociation, au même titre que la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC).


C’est une proposition de bon sens. Aujourd’hui, le plan de formation est soumis pour information et consultation au comité d’entreprise (CE) dans les entreprises de 50 salariés et plus et à sa commission formation dans les entreprises de 200 salariés et plus. Mais il ne fait pas partie des champs ouverts à la négociation sociale. La GPEC, elle, fait partie des domaines de négociation (triennale) depuis la loi Borloo-Larcher (justement !) de janvier 2005, dite « de cohésion sociale ». Compte tenu des enjeux, on ne comprend pas pourquoi la formation, qui est l'un des principaux leviers de la GPEC, n’en fait pas partie non plus. Sans la formation, la GPEC n’est qu’un exercice de style. De nombreuses voix se sont prononcées dans ce sens, notamment le rapport de Terra Nova sur « 2012-2017 : renforcer la négociation collective et la démocratie sociale » (15 septembre 2011).

  • Encore faut-il ne pas limiter la négociation au « plan de formation » stricto-sensu, comme le propose le rapport Larcher, mais au contraire embrasser l’ensemble de la problématique de la formation professionnelle (notamment dans ses objectifs) et plus largement le développement des compétences.

Il faut aussi éviter de dé-saisir les IRP (institutions représentatives du personnel) du sujet. Le CE et son éventuelle commission formation pourraient au contraire consacrer plus d’attention à ce sujet pour préparer la négociation conduite par les délégués syndicaux. Le CE donne son avis tous les ans sur l'exécution du plan de formation du personnel de son entreprise de l'année précédente (première réunion) et sur le projet de plan pour l'année à venir (seconde réunion).

D’après l’enquête nationale des comités d'entreprise d’officiel CE, une proportion significative des CE (12,5 % d’entre eux) a constitué une commission formation professionnelle (théoriquement obligatoire dans les CE d’entreprises de plus de 200 salariés). Si l’on extrapole aux 26 000 CE que compte notre pays, cela représente un actif de plus de 3 000 entités, qui discutent des enjeux concrets de la formation dans leur entreprise et surtout, échangent entre direction et élus du personnel.

Mais pour motiver les représentants des salariés, il faut que le fruit de leurs échanges ait un impact, soit utile. Alors que la politique de formation fait partie de leurs prérogatives, 58 % des CE n’ont pas le sentiment d'infléchir et de participer au contenu du plan de formation de l’entreprise, d’après l’enquête citée ci-dessus. Cette mesure pourrait ainsi changer la donne…

Trouver une meilleure articulation avec les territoires.

Le gouvernement actuel entend ouvrir un nouvel acte de la décentralisation. La formation professionnelle peut y trouver sa place. « Les régions doivent être responsables de l’innovation et prendre en main les questions d’emploi et de formation », affirmait récemment Alain Rousset, président de l’ARF (Les Échos du 7 mai 2012).

Avez-vous remarqué que l’on ne parle plus de « carrière » mais de « parcours », voire de « trajectoires » ? Ce n’est pas parce que nous sommes tous devenus férus de balistique, mais parce que nous avons intégré l’idée que nous connaîtrons plusieurs entreprises au cours de notre vie professionnelle. Or, la très vaste majorité des mobilités professionnelles externes (changement d’entreprise), que celles-ci soient choisies ou contraintes, s’opère dans le même bassin d’emploi. C’est fort justement que le rapport Larcher rappelle que « le mouvement de territorialisation des politiques publiques et notamment celles d’emploi et de formation a accompagné la demande sociale, qui exige une plus grande proximité, une meilleure prise en compte des différences entre territoires, marqué aussi par l’aspiration de beaucoup à trouver un emploi près de chez soi ».

Il faut alors trouver de nouveaux équilibres entre :
  • l’État (chargé des grandes orientations de la politique de formation, en cohérence avec la politique industrielle, d’emploi et d’éducation),
  • les régions (qui dynamisent, définissent les priorités de formation et en financent déjà une part importante) et
  • les bassins d’emploi (au plus près du lieu de réalisation de « l’appariement » entre offre et demande d’emploi).
En revanche, cela suppose de poser ouvertement des questions laissées dans l’ombre par le rapport Larcher.

  • La fusion mal préparée de l’ANPE et des Assédic, qui a donné naissance à Pôle Emploi, s’est paradoxalement traduite par une forte recentralisation. Comment renverser ce mouvement ?
  • Comment mieux organiser les échanges et coordonner les structures locales de Pôle Emploi, les missions locales, les entités décentralisées des OPCA, les observatoires régionaux de l’emploi, les agences de développement, les réseaux consulaires et les collectivités territoriales compétentes sur la formation ?
  • Que sont devenues les maisons de l’emploi, qui devaient justement aider à cette décentralisation tout en évitant la multiplication des instances ?
  • Comment les régions peuvent-elles encourager les expériences (émergentes…) en matière de GTEC (gestion territoriale des emplois et des compétences) ?
  • Que reste-t-il de l’AFPA, qui constituait pourtant un instrument précieux pour l’exécution des politiques de formation ?

Voici donc deux propositions du rapport Larcher qui pourraient alimenter avec profit le volet formation professionnelle de la « grande conférence sociale », qui aura lieu les 9 et 10 juillet. Toutes deux sont de nature à nous rapprocher de l’objectif essentiel : renforcer le lien entre la politique formation et la stratégie de l'entreprise, mieux articuler formation management et dialogue social, conforter l’exigence de qualité et le suivi terrain des formations.

Le rapport Larcher inclut d’autres propositions qui semblent moins prometteuses. Sur ce sujet, je vous invite à consulter la note que j’ai rédigée avec la fondation Terra Nova :

« Formation des salariés ou des chômeurs : le rapport Larcher dans l’impasse », 11 avril 2012
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