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10 / 11 / 2025 | 648 vues
Corinne Lefaucheux / Abonné
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Reprise en Scop : Duralex montre la voie, mais où est l’État ?

En moins de 24 heures, plus de 5 millions d’euros collectés en promesses d’investissement  pour soutenir Duralex, l’emblématique verrerie reprise par ses salariés en Scop en juillet dernier, soit six fois l’apport initial de l’État (750 000 euros) lors de la reprise.

 

Ce succès éclair confirme l’attachement des citoyens au patrimoine industriel français, et leur confiance dans le modèle coopératif, où les salariés prennent en main leur avenir.

 

Mais il pose aussi une question cruciale : jusqu’où les citoyens devront-ils suppléer les pouvoirs publics ?

 

Les reprises en Scop sont une voie d’avenir pour préserver les emplois, les savoir-faire et la souveraineté industrielle. Encore faut-il que l’État accompagne réellement ces dynamiques.

 

Le Mouvement des Scop appelle à un plan d’action national pour permettre à d’autres Duralex de renaître :

  • Création d’un fonds dédié à la reprise d’entreprise par les salariés,
  • Garantie publique des emprunts contractés par les salariés repreneurs,
  • Renforcement des dispositifs France Travail pour les salariés porteurs de projets de reprise.

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Maîtres à bord, les salariés travaillent au nouvel essor de Duralex

 

 

Duralex avait bon espoir de lever cinq millions d’euros auprès du grand public. C’est chose plus que faite. L’entreprise octogénaire, désormais détenue par ses salariés, veut ainsi développer son activité après plusieurs rachats par des investisseurs prédateurs.

 

Quelque 19 millions d’euros de promesses d’investissement ! La levée de fonds lancée par Duralex, le 3 novembre, auprès du grand public, a largement dépassé ses objectifs. L’entreprise française octogénaire installée à La Chapelle-Saint-Mesmin près d’Orléans, spécialisée dans le verre trempé, suscite l’ « engouement », se réjouit Gualter Teixeira, secrétaire du syndicat FO (34% aux dernières élections professionnelles) et élu au comité social et économique de Duralex. Il faut dire que Duralex est une institution. On retrouve ses produits dans la plupart des cantines scolaires françaises. Gualter Teixeira signale que sur les 21 300 investisseurs qui se sont déclarés intéressés, 80% sont français. L’initiative est soutenue par la confédération FO.

 

Objectif atteint en six heures

 

Ouverte sur la plateforme Lita, la levée de fonds est calibrée pour un montant minimum de 3 millions d’euros et pour un maximum de 5 millions d’euros. Si les 3 millions ne sont pas atteints, les investisseurs sont remboursés ; la levée de fonds est arrêtée à 5 millions d’euros. Les 5 millions d’euros ont été atteints en six heures, nous n’aurions jamais cru cela, s’étonne encore le militant FO. Inutile de se rendre sur la plateforme,  l’objectif des 5 millions d’euros de promesses d’investissement étant largement dépassé, il n’est pour le moment plus possible de réserver votre investissement, indique Lita. Il s’agit en effet d’une réservation. La levée de fonds à proprement parler sera réalisée entre le 15 novembre et le 15 décembre 2025. Nous avons bon espoir d’atteindre les 5 millions d’euros, déclare Gualter Teixeira.

 

Le grand public à défaut des banques

 

Cet argent n’est pas gratuit. En contrepartie, Duralex devra rétribuer ses investisseurs à un taux de 8% par an pendant la durée de l’investissement (sept ans), dont le capital n’est pas garanti. L’entreprise devra donc leur verser 400 000 euros dès la fin de 2026. C’est beaucoup plus que ce que demandent les banques. Nous avons démarché les banques, qui n’ont pas voulu nous prêter car nous n’avions pas terminé un premier exercice complet, qui est de 15 mois dans notre cas, explique le secrétaire du syndicat FO. Salarié à la maintenance, il siège au conseil d’administration de Duralex. Il a en effet investi dans l’entreprise qui, devenue une société coopérative et participative (scop) en août 2024, est maintenant la propriété des salariés et contrôlée par eux. Une fois le premier exercice terminé, nous pourrons nous adresser aux banques, explique-t-il.

 

Investissement productif

 

Les fonds récoltés auprès du public serviront à Duralex à accélérer sa croissance, moderniser son outil industriel et rayonner à l’international, explique la scop sur le site de Lita. Notamment à acheter une machine à vrac et de la couleur pour fabriquer des verres colorés. Gualter Teixeira explique que la machine à vrac sera commandée en 2026 et opérationnelle l’année suivante. Grâce à cet investissement dans l’outil de production, aux embauches déjà effectuées dans les services commercial et marketing, et à plusieurs partenariats, la scop espère développer son marché et parvenir à l’équilibre financier. François Marciano, son directeur général, expliquait récemment dans la presse que pour sauver Duralex, il faut passer la barre des 35 millions d’euros de chiffre d’affaires, qui permettent d’être à l’équilibre. Aujourd’hui, on va finir à 30 millions en fin d’année.  

La situation est toujours compliquée, admet Gualter Teixeira. Les salaires sont payés en temps et en heure, car c’est la priorité de la direction, mais nous faisons de la dette clients. Il signale en outre que la métropole d’Orléans, qui a aidé l’entreprise en rachetant ses murs pour 5,6 millions d’euros, leur doit encore 2,3 millions d’euros. Reste qu’en fabriquant en France, nous sommes les plus chers, admet-il.

 

Effectifs en progression

 

Duralex revient de loin. 

En 26 ans passés dans l’entreprise, j’ai connu cinq redressements judiciaires et des rachats par des requins qui n’investissaient pas et s’enrichissaient sur le dos des salariés, témoigne Gualter Teixeira. Échaudés par ces expériences, les salariés et la direction ont proposé, à la barre du tribunal de commerce, de reprendre l’entreprise en scop.

Leur projet, soutenu par la Région, qui a accordé un prêt d’un million d’euros, par la métropole d’Orléans et par l’État, qui a également accordé un prêt, a été retenu par le tribunal en août 2024.  Les autres repreneurs voulaient réduire les effectifs, explique le militant FO. Les 228 salariés sont donc restés et 138 d’entre eux, plus de la moitié, ont même pris des parts, devenant ainsi copropriétaires de l’entreprise, à l’instar de Gualter Teixeira. Ce dernier ne compte pas ses heures.  Je travaille à la maintenance, mais j’interviens ailleurs si nécessaire, car j’ai investi dans la scop, témoigne-t-il.

 

Après plusieurs embauches aux services commercial, marketing et administration des ventes, Duralex compte aujourd’hui 243 salariés. Nous avons des difficultés à recruter des opérateurs en 5 X 8, explique-t-il. Rassurée par le succès de son premier appel de fonds, la scop envisage d’ouvrir une nouvelle cagnotte sans rétribution à 8%, signale le militant FO.

 

 

Pierre Liret , entrepreneur coopératif à Coopaname a bien voulu livrer à ISBL ses réflexions...(*)

 

Alors que se tenait le salon Made in France du 6 au 9 novembre, le Monde daté du 7 novembre revient sur l’emblématique projet Duralex et la levée de fonds plus que réussie suite à la reprise de l’entreprise par les salariés en coopérative il y a un an. Pour rappel, Duralex a obtenu 16 millions de promesses de souscriptions en 24h pour 5 millions attendus en un mois. Aussi, Duralex n’a pas fait un appel aux dons, ni proposé de souscrire au capital, mais de faire un prêt sur 7 ans sans droite de vote et moyennant généreuse rémunération de 8% sous forme de titres participatifs. Ce point n’est pas anecdotique : le titre participatif est sous-utilisé au regard de l’alternative qu’il représente entre l’achat de parts et le prêt.

 

 

Reprise en Scop : plus durable, moins financée

 

Dans son article, le Monde relève à juste titre : « Lors de la reprise, Bpifrance, la banque publique d’investissement, n’a pas participé au tour de table : elle ne s’est positionnée qu’en contre-garantie bancaire alors qu’elle proposait 7 millions d’€ de prêts au projet concurrent. » Sous-entendu : quand c’est un projet capitaliste classique, on prend des risques ; mais quand c’est une coopérative, on ne prend pas de risques. Ce deux poids deux mesures n’est pas un fait isolé. Il est la norme dans notre pays si conservateur aux préjugés tenaces. Duralex n’est qu’un exemple parmi tant d’autres de projets de reprise en Scop (société coopérative et participative) qui se heurtent sans cesse à la frilosité sinon au dédain des investisseurs et pis, des financeurs publics censés soutenir le tissu économique français  (Caisse des Dépôts, Banque des territoires, BPI France, collectivités).

Lorsque des entreprises sont en difficulté, la solution Scop ne vient qu’en dernier recours et souvent trop tard. Les décideurs publics continuent de se laisser séduire par les puissants fonds d’investissement et oublient combien ils ont été souvent dupés avec des promesses non tenues et des plans sociaux, parfois à peine quelques mois après la reprise. Pourtant, les faits sont têtus : depuis plus de 20 ans, le taux de pérennité des Scop à 5 ans est systématiquement supérieur de 5 points au taux moyen de pérennité des entreprises classiques publié par l’Insee. Aucun miracle à ce résultat qui mixe une gestion ultra-responsable avec un accompagnement solide, notamment du réseau des Scop.

 

Privatisation des profits, socialisation des pertes

 

Ce deux poids deux mesures est omniprésent.

Qui ne se souvient du scandale Orpea mis en cause pour avoir privilégié ses actionnaires au détriment de ses patients personnes âgées et  leurs familles ? Selon une logique réellement libérale, ce groupe capitaliste aurait dû fermer ses portes après ses dérives de gestion. Mais comme à chaque fois, l’Etat via la Caisse des Dépôts est venu à la rescousse avec CNP assurances et – un comble – deux mutuelles MAIF et MACSF Epargne Retraite. Le tout pour pas moins de 1,16 milliard d’euros sur un seul groupe alors que la déléguée interministérielle ESS de l’époque annonçait avec fierté quelque 100 millions d’€, soit dix fois moins, pour les 2000 Ehpad de l’ESS. Un exemple de plus d’une loi d’airain jamais démentie : privatisation des profits, socialisation des pertes.

 

Les petites entreprises paient plus d’impôts que les grandes

 

Le 18 septembre dernier, la Cour des Comptes publiait un rapport sur les soutiens publics à l’ESS. Stupéfaction : loin des idées préconçues sur ces associations qui ne vivraient que de derniers publics, la Cour des Comptes a chiffré à 16 milliards le montant des aides à l’ESS (en l’espèce surtout associations), soit 7% des 211 milliards des aides aux entreprises alors qu’elle pèse presque le double en emplois. L’ESS n’est pas la seule à être sous-considérée. Selon le rapport du Sénat de 2025 qui précisément avait chiffré le montant des aides aux entreprises, 77% des aides publiques aux entreprises profitent aux grandes entreprises et aux ETI (entreprises de taille intermédiaire) qui ne pèsent pourtant que 55% de l’emploi.

En creux, les PME et TPE récoltent donc moins d’un quart des aides alors qu’elles pèsent 45% de l’emploi. Traitement d’autant plus inéquitable que selon le même rapport, 80% de ces aides constituent des exonérations fiscales ou sociales pour lesquelles les grandes entreprises sont outillées pour pratiquer l’optimisation fiscale à grande échelle.

L’INSEE a publié une étude montrant l’impact de la baisse du taux d’impôt sur les sociétés de 33% à 25% depuis 2017 et sur 5 ans. Selon l’INSEE (Analyse 112 du 2 septembre 2025), l’impôt des PME a baissé de -1,7% alors que celui des grandes entreprises a baissé de -5%. Quant aux microentreprises, non seulement leur impôt n’a pas baissé, mais il a augmenté de 0,4%.

 

Plus de 40 ans après la dérégulation amorcée sous l’ère Reagan et Thatcher et l’essor de l’industrie financière mondialisée, le capitalisme traditionnel a imprégné toutes les têtes et tous les esprits, à commencer par ceux des décideurs publics qui ont suivi les mêmes écoles (Sciences Po, X, ENA, HEC, etc.) que les dirigeants des grandes entreprises et des fédérations professionnelles qu’ils côtoient tous les jours quand ils ne font pas la navette entre eux et entre le public et le privé.

Qu’il faille soutenir les fleurons de l’économie française est plus qu’une évidence dans le contexte géopolitique mondial malheureusement trop minoré dans les querelles politiciennes et syndicales qui consternent les français(es).

Mais ça n’excuse en aucun cas le traitement différencié, la frilosité et le manque d’intérêt pour toutes les organisations économiques qui font le tissu réel que nous côtoyons sur nos territoires : PME, TPE, artisans, commerçants, petits agriculteurs … Et ESS.

 

 

(*) L’Institut ISBL est un laboratoire d’idées (think tank et think do) inspiré par les nouveaux modes d’entreprendre d’utilité sociale et/ou d’intérêt général

https://institut-isbl.fr/

 

 

 

 

Pierre Liret

Expert coopératif - formateur - vulgarisateur - consultant chez Coopaname
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