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18 / 04 / 2017 | 2 vues
Didier Cozin / Membre
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Bilan formation du quinquennat de François Hollande

Alors que les 11 candidats à l'élection présidentielle vont plancher mercredi 19 avril devant 200 professionnels de la formation et de l'éducation (le grand oral de la formation organisé par Yves Attou et le comité mondial pour les apprentissages tout au long de la vie) il est peut être nécessaire de se pencher sur le bilan des 5 années passées en formation, comprendre ce qui a pu dysfonctionner au point de faire régresser les compétences des adultes au travail à un niveau jamais atteint depuis l'après-guerre.

La formation et sa réforme de 2013

Tous les présidents nouvellement élus depuis le début des années 2000 proclament qu'il faudrait réformer une formation à la fois dispendieuse (avec le chiffre bidonné de 32 milliards d'euros de budget annuel), inefficace (« on dépense beaucoup d'argent et on ne voit pas de résultats ») et inégalitaire (« les chômeurs et les travailleurs non qualifiés des PME sont empêchés de se former par des grandes entreprises qui accaparent les dispositifs et les budgets »).

Partant de ce constat superficiel et orienté idéologiquement les pouvoirs publics ont réformé, sans la connaître ni la respecter, la formation professionnelle en 2013 (ANI du 14 décembre 2013) et 2014 (loi du 5 mars 2014).

Les fausses évidences de la réforme de 2014

1. Les budgets seraient abondants mais détournés.

Un rapport de l'Assemblée nationale datant de mars 2016 a fourni le vrai chiffre des budgets de formation à la disposition des entreprises en France ; ce chiffre (qui n'est plus guère contesté par personne) s'élève à 6 milliards d'euros, pour 15 millions de salariés en poste en entreprise (soit un montant moyen d'à peine 400 euros par salarié et par an).

Les sommes avancées depuis 2013 pour justifier de la mauvaise utilisation des fonds n'existaient pas ; il s'agissait d'un simple jeu d'écriture pour les entreprises comme pour l'État :

  • 6 milliards de dépenses de rémunération des stagiaires en formation (les salaires versés à l'ingénieur pendant une formation étaient, jusqu'en 2015, comptabilisées comme des dépense formation) ;
  • 8 milliards de dépenses formation pour les fonctionnaires (dont une grande partie est gâchée par une mauvaise attribution des ressources, comme l'a démontré en 2016 la Cour des comptes pour l'Éducation nationale et son milliard d'euros totalement inutile aux profs) ;
  • les dépenses de l'Éducation nationale pour ses lycées professionnels (avec un taux d'insertion dans l'emploi catastrophique dans la plupart des filières étatiques) ;
  • les dépenses de Pôle Emploi pour les chômeurs avec une très mauvaise affectation des budgets et qualité des formation du fait d'une règlementation dépassée (appels d'offres publics, lourdeur et lenteur des procédures, fixation sur des certifications ou des diplômes dépassés...).

2. Les grandes entreprises disposeraient toutes de budgets abondants pour former leurs salariés.

En France, de très nombreuses entreprises de main d'œuvre (celles-là même qui emploient les salariés les moins qualifiés que ce soit dans les services aux entreprises, l'hôtellerie-restauration, le BTP ou les services à la personne) n'ont absolument aucun budget ni capacité pour déployer des formations au bénéfice de leurs centaines de milliers de travailleurs pauvres ou non qualifiés.

Les usines en déclin, les entreprises de main d'œuvre disposent en général de moins de 100 euros par personne et par an pour à la fois :

  • remplir leurs obligations légales avec des formations obligatoires (notamment sécurité, hygiène, permis ou habilitations...),
  • remettre à niveau une population de travailleurs vieillissants ou d'origine étrangère (parlant mal le français et souvent non qualifiée),
  • maintenir l'employabilité de tous (la capacité à garder un emploi et à évoluer avec le travail),
  • réorganiser l'activité, faire face aux 3 défis professionnels du début du XXIème siècle : déployer les compétences de chacun au sein d'une économie de la connaissance exigeante et sélective, transformer la production du fait de la numérisation du travail et de toutes les activités et réorganiser les activités avec la transition énergétique et environnementale.

3. Le chômage en France serait dû à une formation insuffisante des jeunes et des travailleurs.

Plutôt que de prendre le problème en amont en s'attaquant réellement au mammouth Éducation nationale (sa centralisation, ses programmes et son organisation), on a préféré considérer les problèmes par l'autre bout de la lorgnette en prétendant que la formation pourrait rétablir seule l'égalité sociale et post-scolaire avec un milliard d'euros (2016) et l'envoi en formation de dizaine de milliers de chômeurs supplémentaires.

La formation ne peut changer à elle seule un modèle de société fait d'immobilisme, de corporatismes et d'avantages acquis

Un adulte apprend s'il bénéficie d'un environnement social et professionnel stimulant, s'il est encouragé à développer ses compétences et s'il peut imaginer un nouvel avenir social et professionnel.

Le modèle social français favorise les insiders, ceux qui détiennent un capital (social, statutaire, financier ou éducatif) mais laisse sur le bord de la touche tous les autres :

  • ceux qui n'ont pas acquis durant l'enfance des diplômes (la seconde chance demeure largement une vue de l'esprit) ;
  • ceux qui ne bénéficient pas d'un environnement éducatif de qualité (l'école est devenue une auberge espagnole où seuls ceux qui apportent beaucoup repartent avec beaucoup) ;
  • l'État-providence et ce code du travail qui empêchent globalement d'apprendre car ils figent les situations sociales et professionnelles (la culture des avantages acquis empêche évidemment l'ascenseur social de fonctionner) ;
  • la formation est d'abord une projection, une anticipation et un mouvement (en marche). La capacité à imaginer son avenir, à se voir plus compétent, mieux employé, mieux considéré et mieux payé peut contribuer à l'effort éducatif.

En ce début d'année 2017, la formation est dans l'impasse.

Le droit individuel à la formation (DIF) a été remplacé par un incapable (et inutile) compte personnel de formation qui fige les personnes et entraîne :

  • une chute de 30 % au moins de l'effort de formation des entreprises,
  • un immobilisme des salariés qui comptent leurs heures formation au lieu d'apprendre tout au long de l'année,
  • une complexité galopante qui entraîne pour l'organisation du plus simple stage de formation des efforts administratifs et financiers énormes.

3 questions pouvant être posées mercredi aux 11 candidats à la présidence de la République

1) La formation peut-elle s'exempter de responsabilisation et de financements individuels et collectifs (des employeurs comme des travailleurs) ? Peut-elle redonner une chance à chacun si notre pays continue de dépenser 95 % de ses budgets éducatifs pour l'éducation initiale en négligeant la formation tout au long de la vie ?

2) La formation et l'Éducation constituent-elles encore au XXIème siècle des stocks (de connaissances, de pratiques, d'idées) figés dans des diplômes ou des cursus contraints ou bien au contraire ne sont-elles pas devenues des flux, une dynamique qu'il s'agit de travailler sans relâche et tout au long de la vie ?

3) La France peut-elle espérer garder sa place de cinq ou sixième économie mondiale si, très vite (dans les 5 ans), elle ne reconquiert pas son rang éducatif (actuellement 24ème sur 27 pays étudiés par l'OCDE) ? Si les Français continuent de ne pas parler anglais, de ne pas comprendre les mécanismes de l'économie ou de n'être que des consommateurs de loisirs numériques, auront-ils un avenir en Europe et dans le monde ?

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