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03 / 12 / 2018 | 1291 vues
Rodolphe Helderlé / Journaliste
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« À sortir au plus tôt » : le fichier très personnalisé des salariés que Socotec veut dégager

La DRH du groupe Socotec suit de près les dossiers d’une centaine de salariés qu’elle souhaite voir quitter l’entreprise par rupture conventionnelle ou, à défaut, par licenciement. Un fichier circule entre les responsables des ressources humaines avec des commentaires sur la situation familiale, l’état de santé ou encore les addictions de ces cibles…De quoi contextualiser les dossiers pour insuffisance professionnelle ou refus de mobilité.

 

La DRH du groupe Socotec a fait valoir son droit de réponse après la publication de notre Décryptage du 20 novembre 2018. Cet article dont l'accès était initialement réservé aux abonnés se trouve désormais décliné en accès libre pour permettre aux lecteurs d'appréhender le cadre global. 

 

Les cibles sont bien identifiées. Près de 110 salariés de Socotec se trouvent dans un fichier des RH dont l’objectif vise à se débarrasser d’eux. Ce sont autant de cibles avec un tableau de bord de suivi qui distingue le nombre d’actions engagées en matière notamment de mobilités forcées, de ruptures conventionnelles et de licenciements. Les préavis signés, les parties, les « non démarrés » et les statu quo sont également comptabilisés dans ce tableau de bord  adressé aux responsables opérationnels afin de permettre de suivre le niveau d'atteinte des objectifs de chaque région sur des départs qui se font en priorité par rupture conventionnelle. Il s’agit de trouver la meilleure fenêtre de tir : « voir si on pourrait l’approcher pour une RC pendant son congé parental ? ». 31 salariés sont ainsi déjà partis, 5 sont en préavis, 14 en « statu quo » et 10 n’ont pour le moment vu aucune action engagée. Pour tous les autres le processus est engagé.

 

  • La mise à disposition (MÀD), ou mobilité forcée, se révèle être un levier très efficace pour créer les conditions favorables à une sortie. À l’image de ce salarié qui se voit proposer une MAD de plusieurs mois et qui se met en arrêt de travail dès le lendemain de l’annonce. Après plusieurs mois d’arrêt, c’est un licenciement pour refus de mutation qui lui est proposé.

     

Si le tableau de bord adressé aux managers n'est pas nominatif, c'est tout autre chose pour le fichier qui circule entre les responsables RH locaux avec des commentaires sur les cibles qui dépassent le strict champ des compétences professionnelles. Il s’agit de contextualiser les dossiers avec un maximum d’informations, quitte à aller sur le terrain de la vie privée.

 

De l'importance du comportement

 

Il y est donc question de productivité et d'engagement pour justifier qu'une partie des salariés du fichier sont des « low performers » (alias les LP).  Et cela vire très vite sur le comportement et la qualité relationnelle. Ainsi, peut-on lire à propos d’une cible : « production pas au niveau depuis des années, faisait ce qu’il voulait. Problème d’insubordination, refus de réaliser des missions etc. À sortir au plus tôt ». Mais aussi, « ne s'entend pas avec ..., problèmes relationnels qui durent », pour un tel tandis que tel autre « contribue au mauvais climat dans l’équipe ». Un fait d’« altercation avec insulte » est aussi reproché. Ne pas « être à l’aise dans les relations humaines » n’est pas un bon point. Les « problèmes de comportement » expliquent ainsi en partie qu’un salarié ne soit « pas à la hauteur » , avec une direction parfaitement consciente que celui-ci se trouve « en souffrance sur son poste ».


L’état de santé s’invite aussi dans les commentaires des RH. Cela dépasse l’historique des arrêts de travail et des éventuelles contre-visites médicales pour s’assurer de leur justification. D’autant que les « problèmes de comportement » peuvent être liés à des problèmes de santé. Les pathologies sont exposées. « Dépressive depuis… », « à tendance à abuser de l’alcool ». Même avec une maladie grave, on peut rester une cible…La bienveillance à ses limites.


Dans la logique intrusive, les commentaires sur les relations extra-professionnelles nouées entre certains salariés sont à l’affiche sur le mode du « qui est avec qui ».
 

Et maintenant ?
 

La CGT a révélé l’existence de ce fichier en exigeant la fin de ces pratiques, sources de « violences psychologiques terribles ». Depuis lors, les salariés en parlent beaucoup mais ceux qui se reconnaissent comme cible ne vont pas pour autant demander à la DRH un droit d’accès aux commentaires les concernant. C’est un droit qui sous entend de prendre ses responsabilités en s'exposant.
 

L'inspection du travail considère qu'il n'y a pas matière à agir auprès d'une direction qui n'a pas souhaité nous répondre. Selon Richard Letourneur, de la CGT Socotec, « la volonté de s’éviter un PSE et ses mesures d'accompagnement est manifeste alors qu’un plan de départs volontaires ciblé a été proposé en 2017 aux assistantes avec un objectif de 90 départs. Or, un an plus tard, on trouve dans le fichier une trentaine d'assistante qui ont refusé le plan de départs. Les nouvelles orientations stratégiques de l'entreprise étaient connues bien en amont. La GPEC n'a pas fait l'objet d'un accord. Des mères de famille, qui ont participé au développement de la socotec, parfois pendant plus de trente ans se retrouvent dehors, sans formation, dans un secteur d'activité en baisse alors que la société pouvait les former, les reclasser dans des postes qui sont aujourd'hui occupés par des nouveaux arrivants venus de l'extérieur ». 
 

La CNIL se saisira t-elle du dossier pour défaut de protection de la vie privé ? Si les données personnelles peuvent se retrouver sur un tel fichier, encore faut-il qu'elles soient « strictement nécessaires au but poursuivi »...Si ce n'est pas le cas, les licenciés pourraient trouver matière à contestation. Notamment les salariés protégés dont on retrouve plusieurs cas dans le fichier. Morceaux choisis : « protégé jusque fin novembre. On avance dès que nous avons la visibilité sur les élections », « à revoir en fonction de sa candidature ou non au CSE » etc.


Des temporisations sont accordées à certains mais rares sont ceux qui sortent du viseur, à l’instar de cette assistante dont la prise de poste a été réussie et qui « n’est plus dans la cible des départs à envisager ».

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