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01 / 08 / 2017 | 107 vues
Laurent Aubursin / Abonné
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Syndicalisme chez Free : « la guerre continue parce qu’on dit les choses telles qu’elles sont et qu’on ne se laisse pas faire »

Le centre d’appel Qualipel, à Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne), emploie environ 500 salariés qui travaillent depuis 2012 à la satisfaction des abonnés de l’opérateur Free, lui-même filiale du groupe Iliad.

Implanté dans l’entreprise depuis 2015 seulement, le syndicat FO est majoritaire, avec 34 % des voix depuis les élections professionnelles de novembre 2016, au détriment des anciens, notamment de la CFDT (qui a disparu) et de l’UNSA. Un résultat que la direction a tout fait pour éviter et qu’elle ne digère visiblement toujours pas... 

Récit d'Evelyne Salamero, journaliste à FO Hebdo.
C’est d’abord une histoire individuelle, celle d’un jeune salarié confronté à titre personnel à l’injustice de sa direction. Mais l’histoire est vite devenue collective, celle d’une section syndicale FO qui revendique, que l’employeur fait tout pour écraser mais qui résiste et même qui progresse.

Tout a commencé pendant l’été 2015. Loutfi Benali, arrivait à l’union départementale FO du Val-de-Marne. Âgé de 24 ans, manager exemplaire chez Free, au centre d’appel Qualipel de Vitry-sur-Seine où il travaillait alors depuis trois ans, réputé pour sa précocité et son efficacité professionnelles mais aussi pour sa droiture et son attachement viscéral à la justice, il était en pleine révolte contre les méthodes arbitraires de sa nouvelle direction.

Le concernant, cette direction, arrivée six mois auparavant, début 2015, visiblement incommodée par sa manière de ne jamais taire les problèmes, lui a refusé une promotion prévue de longue date sous prétexte qu’il a été malade deux jours.

Ce mois de juillet 2015, Loutfi Benali qui a commencé à travailler neuf ans plus tôt, à 15 ans, avec des petits boulots tout en poursuivant sa scolarité, « pour subvenir aux besoins de la famille », a donc demandé à rencontrer le secrétaire général FO du département, Marc Bonnet. La direction a contesté la désignation du représentant de la section syndicale FO et a perdu.

Trois mois plus tard, l’union départementale l'a désigné représentant de la section syndicale FO chez Qualipel. La direction a contesté ce mandat et l'a traîné en justice. Elle a plaidé une « désignation frauduleuse » faite dans le but de le protéger des sanctions. Seulement, le jeune manager et désormais syndicaliste n’avait jamais commis un seul écart disciplinaire et avait toujours fourni un travail impeccable avec d’excellents résultats. Il a même été désigné « meilleur responsable d’équipe » de son activité par son ancienne hiérarchie. La direction a donc été déboutée en mars 2016.

Loutfi Benali se souvient : « Je me suis retrouvé dans un tribunal pour la première fois de ma vie alors que mon casier judiciaire est vide. Je me suis demandé ce que je faisais là ; je me disais « je ne suis pas un criminel ». Je me sentais coupable alors que je n’avais rien à me reprocher et en colère de ressentir cette culpabilité. J’ai grandi dans la cité Balzac : 18 000 habitants sur les 90 000 de Vitry, avec les trafics, les vols, les violences. J’ai toujours résisté à ça. J’ai choisi le travail et l’acharnement et, là, je me retrouvais dans un tribunal juste parce que j’avais fait mon travail et que mon patron n’en avait rien à faire de ma situation ».
La direction a contesté les élections et a perdu.

Neuf mois après cet épisode douloureux mais victorieux, en novembre 2016, la toute jeune section FO s'est présentée pour la première fois aux élections professionnelles et a remporté 34 % des voix, devenant ainsi le premier syndicat de l’entreprise devant l’UNSA (27,39 %), SUD (22,77 %) et la CGT (15,84 %). La CFDT, elle, a disparu corps et âme.

La directrice du centre de Vitry et la directrice de production (de tous les centres d’appel) ont assisté toute la nuit au dépouillement en présence d’un huissier, du jamais vu dans l’entreprise. Au bout du compte, un siège au comité d’entreprise a été refusé à FO qui a signalé cette erreur d’attribution. La direction, elle, a fini par contester tout le scrutin.

Le 28 avril dernier, après deux audiences devant le tribunal d’instance d’Ivry-sur-Seine, la justice a tranché en faveur de FO, lui a réattribué son siège et a rejeté le recours en annulation des scrutins délégués du personnel et élus au comité d’entreprise présenté par l’employeur.

« Syndicat 2 – employeur 0 », a résumé Marc Bonnet.

Réseau social obligatoire et temps de travail : les revendications  auxquelles la direction voulait échapper

On peut ajouter une troisième victoire du syndicat sur le terrain des revendications. La direction voulait imposer à tout le personnel d’utiliser un réseau social d’entreprise installé par elle, WorkPlace. Non seulement il offrait peu de garanties en termes de confidentialité mais aussi en termes de traçabilité des consignes données aux conseillers par le management. Ce réseau visait en effet à remplacer les boîtes e-mails avec lesquelles, à l’inverse, les salariés peuvent toujours garder les messages envoyés par leur hiérarchie pour s’en servir si besoin ultérieurement afin de se défendre face à un reproche, voire une sanction.

La section FO et le CHSCT (dans lequel FO dispose 3 sièges sur 6) ont obtenu que ce nouveau système ne soit pas obligatoire et la direction a abandonné son projet en février 2017. « Qualipel à Vitry-sur-Seine est aujourd’hui l’un des seuls centres d’appel de Free ou Workplace n’est pas obligatoire », se félicite Loutfi Benali.

Dans ce centre qui détient aujourd’hui le plus fort taux d’absentéisme de tous les centres d’appel Free, le cheval de bataille de la section FO concerne le temps de travail.

Depuis l’accord sur son annualisation négocié et signé en 2014, avant l’arrivée de FO « et que nous n’aurions jamais validé », commente Loutfi Benali, des compteurs ont été installés, censés totaliser les heures effectuées par les salariés tout au long de l’année et restituer le résultat exact chaque 31 mai.

Mais « les résultats des compteurs sont faux par rapport aux pointages de salariés, à leur désavantage », explique Loutfi Benali et cela concerne « des dizaines et des dizaines de salariés », souligne-t-il.

Bien évidemment, le problème ne date pas de cette année. « Mais avant, FO n’était pas là, c’est toute la différence », commente avec sourire le responsable syndical.

À ce stade, la section syndicale FO entreprend des démarches au cas par cas pour chaque salarié qui la saisit, prête à aller jusqu’aux prud’hommes dans les cas où la direction refuserait de reconnaître son erreur.

Autre lièvre levé par le syndicat  : les fins de journées « écrasées », quand les cinq minutes supplémentaires où l’on reste après l’heure pour finir de régler une question avec un collègue passent à la trappe.

« Voilà pourquoi on est leur hantise, pourquoi la direction nous considère comme une tare à éliminer : parce qu’on dit les choses telles qu’elles sont et qu’on ne se laisse pas faire », conclut le représentant de la section FO.

Deux ans après avoir été désigné à ce mandat par l’union départementale FO, Loutfi Benali est plus combatif que jamais. Pourtant, la « guerre continue », confie-t-il quand on lui pose la question.

Mise à l’écart, absence d’entretien individuel d’évaluation, absence d’entretien de retour après un arrêt maladie… « Ils continuent à tout faire pour me dégoûter. Mais ils ne savent pas ce que c’est d’être confronté à de vraies difficultés. Moi, si. Quand ils sauront ce que c’est que de grandir dans un quartier défavorisé… J’ai perdu des amis, certains ont été licenciés parce qu’ils étaient proches de moi et de FO. Avec d’autres, il a fallu faire semblant de ne pas se parler pendant un an. Mais je ne regrette rien. J’irai au bout de mes convictions et si c’était à refaire, je le referais sans hésiter. Cette expérience m‘a fait grandir, j’ai rencontré des gens extraordinaires, qui m’ont aidé, conseillé et beaucoup appris, à l’union départementale, comme Marc, et à la fédération », explique-t-il.

S’il le faut, indique-t-il, il invoquera la discrimination et le harcèlement devant les prud’hommes pour sa propre défense. Sans rire, il conclut : « Et cette fois, je serai content d’aller au tribunal ».

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