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12 / 07 / 2018 | 32 vues
Jean François Draperi / Membre
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Quand les pouvoirs publics qualifient l'ESS...

La rubrique « actualités » de la Revue internationale de l'économie sociale (RECMA) témoigne de la très riche actualité sur l’ESS : débats sur l’objet social de l’entreprise, carrefour des innovations, « French impact », loi PACTE...

Le lecteur pourra constater que les relations entre les entreprises de l’ESS et les pouvoirs publics y tiennent une place importante. C’est cette importance, certes pas nouvelle mais pas non plus constante, qu’a su anticiper l’Association pour le développement des données sur l’économie sociale (ADDES) en faisant porter son 27e colloque sur les relations entre l’économie sociale et solidaire et les pouvoirs publics.

Le dossier du présent numéro est composé de trois articles qui en sont issus.

Henry Noguès, président de l’ADDES, écrit au début de son introduction à ce dossier : « Le développement des initiatives économiques nées au sein de la société civile et portées par des militants a toujours retenu l’attention à la fois intéressée et inquiète des autorités politiques exerçant le pouvoir. Intéressée car, de ces interactions, naissent des projets de transformations économiques et sociales bénéfiques. Inquiète car ces acteurs, une fois devenus interlocuteurs et force de proposition, peuvent se transformer en force de contestation, voire d’opposition aux pouvoirs publics ». Cette phrase résume remarquablement bien les conclusions des textes du dossier mais également celles de l’ensemble des articles de ce numéro.

En effet, les trois articles publiés hors dossier laissent une large place à cette problématique.

Se penchant sur l’économie sociale et solidaire en Tunisie, Fathi Elachhab montre les ressources remarquables de celle-ci, au point, estime l’auteur, qu’elle peut fonder un « potentiel troisième secteur ». Fathi Elachhab souligne également les conditions de son expression, précisément un cadre juridique, des moyens de financement et un système d’information. Philippe Lavigne Delville étudie les difficultés des petites ONG au Niger, « entre précarité des ressources financières et instabilité des ressources humaines » et montre combien la bureaucratisation des procédures d’aide, l’instabilité politique et les politiques néolibérales pèsent sur la pérennité des associations de ce pays, largement dépendantes de ressources externes.

Enfin, dans leur étude sur l’économie solidaire dans l’agglomération lilloise, Paul Cary et Caroline Senez indiquent que la mobilisation politique constitue l’un des facteurs décisifs (à côté du rôle affecté au statut et de l’organisation du travail) de la différenciation des acteurs de l’économie solidaire. Cette dernière se transforme, écrivent les auteurs, selon les « modifications de l’action publique », que ce soit au niveau national ou à l’échelle locale.

Un rôle important mais jamais essentiel

La lecture de ces textes invite à considérer que l’analyse des relations entre ESS et pouvoirs publics ne peut ignorer les niveaux de représentation de ces derniers. Trois échelons au moins peuvent être distingués : les collectivités territoriales, l’État et l’Europe (ou les collectivités supranationales).

Du point de vue des groupements de personnes que sont les organisations de l’ESS, les relations avec chacune de ces représentations diffèrent en fonction de la distance physique, culturelle et institutionnelle entre eux. L’importance historique des débats sur la démocratie directe et la démocratie représentative, de même que la question récurrente du rapport entre la taille de l’entreprise de l’ESS et la vie démocratique, nous engage à ne pas négliger ce problème. Sous cet angle, les articles de ce numéro rappellent que l’ESS, ce sont d’abord des gens qui agissent ensemble.

C’est pourquoi il est également intéressant d’observer que, vus de l’ESS, les pouvoirs publics jouent un rôle important mais jamais essentiel. Le droit, les moyens financiers, la formation, l’information et la recherche sont des facteurs décisifs. Eux seuls permettent à l’ESS de trouver une place à la hauteur des aspirations d’une population et ils dépendent (en partie au moins) de l’action publique. Simultanément, aucun pouvoir public n’est en mesure de générer l’ESS ni de l’animer. Cette limite renvoie au fait que l’essence de l’ESS est proprement sociale, au sens où elle émane de gens visant prioritairement à répondre à des attentes ou à des besoins sociaux collectifs définis indépendamment des pouvoirs publics.

On perçoit ainsi les risques que courrait une entreprise de l’ESS qui, pour de multiples raisons possibles, viserait d’abord à répondre à une commande publique (de même qu’elle courrait un risque similaire à viser d’abord à répondre à une commande privée) plutôt qu’à celle de ses membres.

Cette hypothèse se pose dès lors que l’évolution du droit et la présence croissante des collectivités territoriales à travers des politiques publiques d’ESS sont susceptibles de produire un retournement identitaire.

L’intervention de la puissance publique n’est pas sans happer l’ESS de telle sorte que celle-ci ne puisse plus être incitée à se définir à partir de ses caractères propres (fussent-ils définis par la loi) mais à l’aune de la reconnaissance publique : l’accès à des droits, à des financements, la participation à des politiques publiques à travers des appels à projets, des concours etc.

Le raccourci est d’autant plus tentant qu’il est susceptible de susciter un nouveau modèle économique. Ce serait toutefois oublier qu’une entreprise d’ESS est fondamentalement entre les mains de ses membres et que son économie dépend de la reconnaissance de ses usagers.

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