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27 / 11 / 2013 | 100 vues
Roman Bernier / Membre
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Pourquoi la grève des pilotes d'easyJet n'a servi à rien

Si une grève des contrôleurs aériens reste un moyen efficace de paralyser le trafic européen, il semble qu’a contrario une grève des pilotes s’apparente plus à un coup d’épée dans l’eau. Hier, le personnel navigant technique d’easyJet a fait le choix de débrayer, pour protester contre la non-amélioration de ses conditions de salaire depuis un an, alors que la compagnie affiche des profits record. Le transporteur à la livrée orange, prévenu 48 heures à l’avance conformément à la loi Diard, a pu trouver des solutions pour tuer la révolte dans l’œuf. Au risque de précariser un peu plus un métier en pleine voie de transformation.

Compagnies européennes, grève inutile ?

Comme l’a très pertinemment exposé un article de L’Opinion (article payant), la grève des pilotes n’aura eu aucune incidence notable pour les voyageurs. Certes, le but de ce débrayage n’était pas de nuire au client mais en l’absence de conséquences visibles, l'effet sur la compagnie semble assez minime. Cette action n’est rendue possible que par le fait de la loi Driard, votée en 2012, qui permet aux compagnies aériennes d’assurer un service minimum.

Profitant de son réseau européen, easyJet a pu remplacer les grévistes français, ce qui fait qu’aucun vol n’a été annulé et que les retards ont été rares le jour J. Le personnel dépêché, majoritairement anglais comme nous apprend L’Opinion, a ainsi permis la continuité de l’action de l’entreprise. Après le plombier polonais, place au brise-grève britannique.

Si l’annonce de résultats exceptionnels d’easyJet qui, pour la première fois, dame le pion à sa rivale Ryanair, a été l’élément déclencheur du mouvement, les raisons intrinsèques de ce dernier sont plus complexes. Tout d’abord, cette grève, c’est l’histoire d’un conflit larvé, jamais véritablement réglé. En 2012, les pilotes et la direction sont lancés dans un conflit social très dur. Au cœur des tensions, l’augmentation salariale des pilotes sous contrat français. Comme lundi, le SNPL est aux manettes. Comme lundi, c’est la direction qui l’emporte. Utilisant la loi Diard à son avantage, easyJet a transformé un mouvement social en manifestation indolore. Depuis, les problèmes n’ont jamais été réglés et de nombreuses sources en interne expliquent que l’augmentation salariale demeure au cœur des négociations annuelles obligatoires (NAO).

Les raisons de la colère : la réalité du métier de pilote

Face à la grogne, l’erreur serait de croire que les pilotes, ces nantis, seraient lancés dans une démarche cupide et avide. Que nenni. Contrairement à une idée très répandue, la fonction de pilote a beaucoup perdu de son charme avec l’ascension des low-costs et le déclin concomitant des compagnies traditionnelles.

Ce que l’on sait moins, c’est que les pilotes sont pris à la gorge par l’accumulation de dettes successives et de prêts étouffants qui n’ont presque rien à envier aux subprimes américaines. Une enquête, menée par une journaliste néerlandaise et retranscrite dans un livre (De vervlogen droom, « Le rêve qui s’évapore »), a ainsi démontré que les pilotes ne voient que rarement le bout (voir l’interview de l’auteur, en anglais, ici).

Obligés de contracter des prêts qui peuvent aller jusqu’à 100 000 euros, contractés pour payer, pêle-mêle, leurs écoles, leurs licences (la CPL et l’ATPL), leurs horaires de vols mais aussi leur formation auprès de la compagnie low-cost qui les emploie (sans compter leur uniforme dans certains cas !), les pilotes se retrouvent vite dos au mur. Acculés, ils se voient dans l’obligation de contracter un nouveau prêt pour rembourser l’ancien. C’est là que la spirale commence.

Vers une précarité généralisée ?

Le bouc émissaire idéal serait l’Union européenne, qui permet aux compagnies à bas coût de faire jouer une concurrence sociale en favorisant des mécanismes de dumping, alors que des milliers de pilotes européens seraient prêts à tout pour trouver un travail afin de rembourser leurs dettes.

S’il est évident que les mesures européennes doivent s’adapter pour mieux protéger les professionnels de l’aérien, pilotes et personnel navigant commercial compris, il y a également un effort à faire du côté des syndicats. Une meilleure osmose européenne est une nécessité à l’heure actuelle. L’action d’un syndicat français pèse peu face à des compagnies aériennes intrinsèquement européennes. Pour l’instant, l’ECA (Association des pilotes européens) peine à se montrer à la hauteur des enjeux.

La raison ? Les compagnies aériennes à bas coût, Ryanair en tête, refusent de laisser les syndicats pénétrer le microcosme low-cost, ce qui réduirait les marges des transporteurs à bas coût, qui tirent leurs prix bas d’une compression des charges sociales. Dans l’attente donc, il semblerait que les grèves de pilotes ne soient au final que des tigres de papier.

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