Participatif
ACCÈS PUBLIC
23 / 04 / 2020 | 201 vues
Hermann Martial NDJOKO / Membre
Articles : 13
Inscrit(e) le 07 / 08 / 2019

Négociation collective et discrimination syndicale : place au compromis dynamique pour anticiper les contentieux

Dans le souci de protéger les droits et libertés fondamentaux des représentants du personnel (droit à l’égalité de traitement et liberté syndicale), à travers les articles L.2242-20 alinéa 6 [1] et L.2141-5 alinéa 2 [2], le code du travail invite les acteurs du dialogue social à négocier des mesures afférentes notamment à l’évolution professionnelle et à la valorisation de l’expérience syndicale des salariés protégés. Ainsi, on comprend alors que la singularité fonctionnelle et statutaire des élus doit être prise en compte dans le cadre de la négociation collective dans l’entreprise. En pratique, cette exigence donne lieu à la conclusion d’accords d’entreprise sur l’exercice du droit syndical et la gestion des carrières des représentants du personnel.

 

L’intérêt de ces accords pour les représentants du personnel comme pour les directions est indubitable. D’abord, parce que ces accords facilitent l’exercice de la liberté et de l’action syndicales en donnant plus de moyens voire de droits aux élus. Autrement dit, l’idée est de faciliter l’activité militante en offrant davantage de ressources (matérielles et temporelles) aux organisations syndicales que celles garanties a minima par la loi [3]. En effet, les dispositions contenues dans ces accords sont généralement plus favorables que les dispositions légales, c’est le cas concernant le crédit d’heures de délégation par exemple.

 

Ensuite, la négociation de ces accords permet de donner un cadre transparent, objectivé et consensuel à l’exercice des responsabilités syndicales au sein de l’entreprise ; facilitant ainsi, pour les employeurs, la gestion opérationnelle de cette catégorie particulière de salariés. D’ailleurs, à l’aune du principe de faveur porté par ces accords et à la suite de Jérôme Bourdieu et Thomas Breda, nous pensons qu'« améliorer la situation des représentants contribue à rendre le dialogue social moins conflictuel » [4].

Fin du vide juridique pour les cadres au forfait-jours

En outre, l’intérêt de tels accords réside dans le fait qu’ils offrent à l’employeur l’occasion de régler des difficultés pratiques de manière préventive, sans procéder à des tâtonnements risqués en cas de vide juridique. En guise d’illustration, citons le cas des représentants du personnel ayant le statut de cadres au forfait-jours. Ceux-ci ne sont soumis à aucun horaire et doivent simplement effectuer un nombre annuel de jours de travail connu à l'avance [5]. Le manager peut-il exiger d’eux qu’ils déclarent le nombre d’heures effectuées au titre de leur(s) mandat(s) alors que, par principe, un salarié au forfait-jours n’a pas de compte à rendre en termes d’horaires ? Longtemps, un mutisme législatif a régné à ce sujet. Les employeurs qui n’avaient pas conclu d’accord de droit syndical réglant ce problème étaient ainsi exposés au délit d’entrave en cas de mésintelligence sur les modalités de prise des heures de délégation par le représentant du personnel au forfait-jours. La loi El Khomri du 8 août 2016 a ôté cette épée de Damoclès de la tête de l’employeur en instaurant un mécanisme supplétif de décompte des heures de délégation propre aux salariés au forfait-jours [6].

Restent des injonctions jurisprudentielles...

Si cette question de la prise des heures de délégation du salarié au forfait-jour est désormais derrière nous, la rémunération variable des représentants du personnel demeure un véritable point d’achoppement, donnant lieu à de nombreux contentieux en discrimination syndicale. En pratique, la détermination de la rémunération variable du salarié peut notamment résulter de la combinaison de deux facteurs : la fixation des objectifs au salarié et l’évaluation professionnelle par le manager. À cet égard, les employeurs font face à des injonctions jurisprudentielles pour le moins équivoques puisque, d’une part, on leur interdit de se référer aux mandats des représentants du personnel [7] dans le cadre de l’évaluation de ces derniers et, d’autre part, on leur impose de tenir compte de ces mêmes mandats pour la fixation des objectifs des représentants du personnel [8]. Par exemple, le fait pour un responsable hiérarchique d’avoir mentionné la phrase suivante lors de l’entretien professionnel d’un élu été jugé discriminatoire [9] : « M. X n'est pas motivé pour la vente de par ses nombreuses activités syndicales. Sa présence irrégulière ne permet pas un management correct et une implication satisfaisante de sa part », alors que le temps de travail de l’intéressé avait été établi au pro rata en fonction du temps passé à ses mandats.

 

Du reste, comment professionnellement évaluer un élu qui n’est jamais à son poste ? Comment lui fixer des objectifs ? Ne fût-ce que vis-à-vis des autres salariés, est-il vraiment juste d’accorder une prime d’assiduité à un permanent syndical que personne ne voit jamais ? Cette question peut sembler un tantinet provocatrice, alors que pour bon nombre d'employeurs, des réponses concrètes sont attendues. Dans l’attente que les réponses à ces questions nous soient un jour apportées par la Cour de cassation ou par le législateur lui-même, nous estimons que les DRH (plus que les délégués syndicaux d’ailleurs) ont intérêt à rechercher le compromis dynamique [10], via la négociation collective, c’est-à-dire un arrangement prospectif capable d’évoluer en s’adaptant à l’environnement et aux circonstances, selon les besoins.

 

En définitive, il est constant que les accords de droit syndical peuvent être des instruments juridiques pas simplement utiles à la pacification des relations sociales mais aussi à la prévention de la discrimination syndicale, pour autant que la démarche ne soit pas purement théorique et formelle mais bien réelle et sincère. Il est d’autant plus important d’anticiper les difficultés en amont par la voie conventionnelle qu’en aval, les cas de discrimination syndicale restent ceux dont l’administration du travail et, au final, la justice sont le plus souvent généralement saisies [11]. De ce point de vue, la négociation d’accords collectifs sur l’exercice du droit syndical et la gestion des carrières des représentants du personnel offre les moyens de durablement structurer les relations sociales dans l'entreprise. La question de la discrimination syndicale nous semble devoir y trouver l'occasion de sa prise à bras le corps par les acteurs du dialogue social, qui devront alors chérir et quérir le compromis dynamique. L'heure est non seulement à l'action mais l'action par l'anticipation de surcroît.

 

[1] Dans les entreprises d’au moins 300 salariés, l’article L.2242-20 alinéa 6 du code travail prévoit une négociation triennale sur la gestion des emplois et des parcours professionnels et sur la mixité des métiers portant notamment sur le déroulement de carrière des salariés exerçant des responsabilités syndicales et l'exercice de leurs fonctions.

[2] L’article L.2141-5 alinéa 2 du code du travail prévoit qu’un accord détermine les mesures à mettre en œuvre pour concilier la vie personnelle, la vie professionnelle et les fonctions syndicales et électives, en veillant à favoriser l'égal accès pour les hommes et les femmes. Cet accord tien compte de l'expérience acquise par les représentants du personnel désignés ou élus dans leur évolution professionnelle, dans le cadre de l'exercice de mandats.

[3] « Négocier sur les carrières syndicales pour lutter contre la discrimination, une appropriation sélective et minimaliste du droit » ; par Vincent-Arnaud CHAPPE, Cécile GUILLAUME et Sophie POCHIC, dans Travail et Emploi, n° 145 | janvier-mars 2016 La discrimination syndicale en question : la situation en France.

[4] Jérôme BOURDIEU et Thomas BREDA, Les employeurs face aux représentants du personnel : une situation de discrimination stratégique négociable ?

[5] Conformément à l’article L.3121-64 du code du travail, ce nombre ne peut excéder 218 jours.

[6] Ce mécanisme prévoit que le crédit d’heures de délégation soit regroupé en demi-journées qui sont déduites du nombre annuel de jours travaillés fixé dans la convention de forfait. Une demi-journée correspondant à quatre heures de mandat. Le mécanisme a ensuite été complété par deux décrets : le décret n° 2017-1819 du 29 décembre 2017, relatif au comité social et économique, puis le décret n° 2019-1548 du 30 décembre 2019, relatif à l'organisation et au fonctionnement des instances représentatives du personnel et à l'exercice du droit syndical.

[7] Cass. Soc., 17 octobre 2006, n° 05-40.393 et Cass. Soc., 1er juillet 2009, n° 08-40.988.

[8] Cass. Soc., 6 juillet 2010, n° 09-41.354.

[9] Cass. Soc., 17 octobre 2006, n° 05-40.393.

[10] L’expression est ici empruntée à Hubert LANDIER dans Le Guide des relations sociales en entreprise, ouvrage dans lequel il dit : « Le talent du directeur des ressources humaines s’exprime ainsi dans l’art du compromis dynamique » (p. 116).

[11] Rapport du gouvernement daté du 30 octobre 2013 sur les discriminations collectives en entreprise et intitulé Lutter contre les discriminations au travail : un défi collectif.

Pas encore de commentaires