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13 / 05 / 2025 | 24 vues
Valentin Rodriguez / Membre
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Le ferroviaire à bon rail

Atout du transport décarboné face au changement climatique, le rail semble victime de son succès et peine à livrer les clients. Les acteurs de la filière sont bien décidés à s’attaquer tant aux causes structurelles qu’aux aléas conjoncturels. Les embauches et les investissements seront-ils suffisants ?

 

La fédération a fait de ce sujet d'importance son dossier du mois qui pourra être consulté entièrement sur son site.

 

Début février, Alstom et la Deutsche Bahn ont signé un accord-cadre de 600 millions d’euros pour moderniser et digitaliser le réseau ferroviaire allemand, notamment sa signalisation et ses commandes d’aiguillages. L’opération se traduira notamment par l’installation de 1 890 enclenchements sur le réseau ferré allemand d’ici 2032. La première commande est prévue pour le premier trimestre 2025, pour une mise en oeuvre complétée en 2032. Une poignée de semaines plus tard, fin mars, c’est une commande de 781 millions d’euros qui était confirmée pour la fourniture de 18 trains à grande vitesse au Maroc, avec livraison d’ici 2030.

 


Et ce ne sont là que les plus récents marchés remportés par le groupe ferroviaire.
 

Méga-contrat de 1,5 milliard d’euros pour le métro de Chicago en 2021, puis pour une centaine de trains au Danemark pour 2,7 milliards d’euros, le Tren Mays au Mexique en partenariat avec Bombardier, les trains Coradia pour l’Allemagne, près de 150 trains de banlieue pour l’Espagne, la modernisation du métro du Caire, énormes commandes pour les chemins de fer de Singapour en 2023, puis pour le métro de Stockholm (Suède) en 2024... Sans oublier les considérables besoins en matériel pour le transport de marchandises, la Commission européenne visant une hausse de 50 % du fret ferroviaire d’ici à 2030. Les 730 trains de fret qui circulent chaque jour en France transportent autant que 21 900 camions. À raison d’un train pour 30 camions. À noter aussi que sur les grandes distances, le fret ferroviaire se développe très fort car il est ultra compétitif. Selon les données du groupe China Railways, au cours des cinq premiers mois de l’année 2023, 5 991 trains avaient transporté 573 000 conteneurs standards de marchandises entre la Chine et l’Europe, soit une augmentation respective de 49 % et de 58 % en glissement annuel. Ce trafic pourrait doubler d’ici 2025 et tripler d’ici 2030. Là encore, il faudra des trains et des équipements pour faire face.
 


DES FAIBLESSES STRUCTURELLES


Fin 2024, le carnet de commandes d’Alstom atteignait 94,4 milliards d’euros, de quoi voir venir l’avenir. Autant de matériel ferroviaire qu’il va falloir fabriquer, c’est autant de travail à venir pour les métallos FO ! Apparemment, tout semble rouler pour le mieux sur les rails de la croissance. Sauf que. Alstom peine aujourd’hui à suivre la cadence et enchaîne les retards de livraison. TGV Inoui, TER en région Sud, RER B et NG sur Paris ; du national au plus local, des projets de nouvelles lignes au renouvellement de matériel roulant, les retards de livraison s’accumulent pour Alstom, qui n’est pas à court d’arguments pour justifier la situation.

 

Pour notre organisation syndicale , les différents choix stratégiques de délocalisations d’activités (internes à Alstom ou externes), jouent un rôle non négligeable dans ces retards, voire les accentuent fortement. Attendue pour début 2026, la mise en circulation des premières rames du TGV-M aura fait l’objet de nombreux reports. Même destin pour la première ligne du Grand Paris Express, pour les nouvelles rames du RER B, pour le CDG Express (reliant Paris à Roissy) et quelques autres lignes plus régionales comme le Paris-Limoges-Toulouse. Les RER NG ont été livrés avec deux ans de retard et n’ont commencé à circuler sur la ligne E du RER qu’en novembre 2023. Et le 21 mars, SNCF Voyageurs a demandé à Alstom de suspendre les livraisons des rames NG en raison de problèmes techniques perturbant la circulation.


En, cause le système de graissage du nouveau matériel, qui s’est révélé incompatible avec celui utilisé sur les anciennes rames, créant des phénomènes de patinage rendant la période de cohabitation de ces dernières et de celles qui leur succèdent particulièrement difficile.


Côté Alstom, il est rappelé que « le RER NG est un matériel nouveau et innovant [qui est] actuellement dans sa phase de fiabilisation en exploitation, nécessaire à la correction des éventuelles anomalies ». Surtout, le constructeur considère que les nouvelles rames ne sont pas seules responsables du phénomène de patinage. En attendant, aucune date n’est avancée pour le redémarrage des livraisons.


Fin 2024, le carnet de commandes d’Alstom atteignait 94,4 milliards d’euros, de quoi voir venir l’avenir.

 

LE SYNDROME DU SUR-MESURE


Pour tous les constructeurs ferroviaires, la situation est similaire. Les causes avancées aussi. La pandémie de Covid-19 et la désorganisation de la supply chain consécutive à l’arrêt des flux d’échanges mondiaux, le flottement sur l’activité qui a suivi, puis les difficultés d’approvisionnement en matières premières et la flambée des coûts de l’énergie après l’invasion russe de l’Ukraine, des décisions politiques trop lentes ou mal dimensionnées, un manque de co-opération entre les différents acteurs, des plannings inadaptés pour des délais trop ambitieux…
 

Mais surtout des commandes trop spécifiques et des nouvelles technologies complexes à mettre en oeuvre, parfois avant même de bien les maîtriser, les deux travers allant souvent de pair. En effet, peu importe la commande, chaque client tient à voir rouler un matériel unique, exclusif : le sien. Il faut donc à chaque fois partir de zéro ou presque pour proposer des modèles uniques –la nouveauté la plus médiatisée étant sans doute le « greffon », la batterie de secours du TGV-M– au prix de développements aussi longs que spécifiques pour chaque projet.


Lequel se doit également d’apporter si possible une rupture technologique sur la base de laquelle il sera bâti. Derrière, la course aux livraisons imposée (délais trop courts acceptés lors des appels d’offres, véritable problème structurel) contraint à passer du prototype au modèle de (petite) série. Pas sûr que cette architecture qui vise le sur-mesure soit la plus adaptée à une production industrielle…


RENVERSER LA VAPEUR


Les constructeurs du monde entier, réunis à Berlin en octobre 2024, avaient présenté leurs derniers modèles de trains, véritables concentrés de technologies, conçus autour d’une promesse forte : un transport plus écologique et plus fiable. L’efficience des trains et le confort pour les usagers ne cessent de progresser mais derrière l’engouement généralisé pour les voyages en train qui oblige les compagnies ferroviaires à investir massivement dans l’achat de matériel roulant, l’un des principaux défis du secteur reste élémentaire : tenir les délais de livraison, qui ne cessent de s’allonger.
 

Pour briser le cercle vicieux et retrouver la capacité à respecter les délais pour les futures commandes, il fallait une action forte et Alstom s’y est résolu en lançant un plan d’investissements de 150 millions d’euros pour augmenter ses capacités de production (voir encadré) et recruter un millier de salariés supplémentaires .


Tenir les délais de livraison, qui ne cessent de s’allonger


Par l’injection de ces sommes, notamment dans la production, Alstom compte bien parvenir à augmenter les cadences pour livrer les TGV Inoui. Comme l’expliquait Frédéric Wiscart, le nouveau président d’Alstom France dans un communiqué, « le marché de la très grande vitesse connaît actuellement une forte croissance et […] ce programme sans précédent pour le groupe nous permettra de tenir nos engagements actuels et de renforcer la base industrielle d’Alstom avec des technologies innovantes issues de l’Industrie 4.0, pour mieux servir nos clients ».
 

Derrière le discours, les objectifs sont ambitieux : doubler la production des nouveaux trains à grande vitesse d’ici à début 2027 et la tripler d’ici à début 2028 pour atteindre 30 rames par an. Si l’on peut saluer l’effort et le renforcement de l’ancrage industriel local au bénéfice des territoires –une ligne que soutient FO Métaux avec constance–, il faut néanmoins s’interroger sur un investissement qui peut apparaître tardif et sous-dimensionné au vu des sommes allouées aux sites présents dans les pays low-cost.


UNE FILIÈRE EN FORTE CROISSANCE


Il n’empêche, le problème semble bien concerner toute la filière, car derrière Alstom, l’ensemble du secteur s’est lui aussi lancé dans une politique d’investissements conséquente. C’est notamment le cas de l’ex-site Alstom de Reichshoffen (Bas-Rhin), racheté en 2022 par l’espagnol CAF via sa filiale française. Jusqu’alors concentrée sur le marché français avec une activité mono-produit en fonction des contrats, l’usine CAF compte multiplier ses lignes de production pour accueillir de nouveaux projets de construction de matériels ferroviaires et profiter de l’occasion pour s’ouvrir à l’international.


De quoi sécuriser ce site qui compte 750 salariés et qui s’étend sur 19 hectares, mais aussi assurer ses développements futurs. Pour le moment dotée d’une ligne principale de fabrication, l’usine devrait en compter cinq une fois sa mue effectuée. Les projets montrent d’ailleurs que la grande vitesse n’est pas le seul créneau à connaître une belle croissance, puisque dans les futures lignes de production, une sera dédiée aux trains régionaux Régiolis, une autre aux trains Oxygène (les Intercités moyenne distance qui remplaceront notamment les trains Corail), une se chargera des futurs trams destinés à Hanovre (Allemagne), une de certains éléments du MI20 (les futures rames du RER B francilien) et enfin une ligne pour le tramway italien de troisième génération de Padoue, contrat hérité d’Alstom.


Un plan d’investissements de 150 millions d’euros pour augmenter ses capacités de production et recruter un millier de salariés supplémentaires


Le constructeur français ne s’est d’ailleurs pas beaucoup éloigné de son ancien établissement alsacien, puisque c’est en consortium avec Alstom que CAF va réaliser les caisses et les voitures d’extrémité des nouveaux trains de la ligne B. Pour le tram d’Hanovre, la mise en route de la chaîne de production est attendue pour la fin du premier semestre 2025. La montée en capacité doit progressivement doubler le volume horaire effectué sur ce site qui revient de loin après avoir frôlé la catastrophe et manquer de fermer une ligne de production l’an dernier…

 

 

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