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03 / 07 / 2020 | 995 vues
Anne Michele Chartier / Abonné
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La santé au travail va mal, elle a besoin d'un projet ambitieux

Lettre ouverte à la Députée Charlotte Lecocq et aux députés porteurs de la solution nº 3090.

 

La Députée Charlotte Lecocq et les députés signataires de la résolution n° 3090 appellent à moderniser notre système de prévention de la santé au travail pour en faire l'un des plus performants en matière de santé au travail. Cette résolution réveille le projet de réforme de la santé au travail en France que Charlotte Lecocq a elle-même porté dans un rapport remis il y a bientôt deux ans. Ses préconisations étaient révolutionnaires, bouleversant le système actuel.
 

Ce projet de réforme a fait l’objet dintenses négociations entre les partenaires sociaux au sein du groupement permanent d’orientation du CNOCT. Cette négociation n’a pas abouti.
 

Deux événements ont remis la réforme de la santé au travail au cœur de l'actualité. Un rapport de l’IGAS concernant l’évaluation des services rendus par les services de santé au travail et l'implication « contrastée » des mêmes services dans la gestion de la crise sanitaire majeure induite par le covid-19. Certains services de santé au travail ont dû se faire tirer l’oreille par la DIRECCTE pour sortir de la torpeur du chômage partiel imposé à leurs propres équipes médico-professionnelles.
 

Le lobby de PRESANSE atteste que cette réforme devient une réalité à nouveau.
 

PRESANSE (structure non paritaire qui représente la partie patronale de la branche des services inter-entreprises de santé au travail) développe un intense lobbying depuis la sortie du rapport Lecocq, pour empêcher la mise en œuvre de ses préconisations. Ce lobbying s’intensifie actuellement auprès des parlementaires, dans la presse nationale et locale. Le message est très clair : les services de santé au travail sont au summum de leur efficacité, les services rendus sont irréprochables et les services de santé au travail sont sortis des tranchées la baïonnette au canon pour courir sus au covid-19. « Il est donc urgent de ne rien changer à une équipe qui gagne et il faut notamment écarter tout projet de loi structurant la santé au travail pour développer une politique de santé au travail (il ne faut surtout pas réformer le financement) et peut-être réformer le système mais à la marge ». C’est le sens de la question écrite n° 16850 de Joël Bigot, Sénateur de Maine-et-Loire.


La réalité est tout autre


Les services de santé au travail constituent un patchwork de féodalités au sein desquelles le contrôle social est très insuffisant, comme le souligne le rapport de l'IGAS. Le contrôle par la politique de l’agrément des DIRECCTE s’étiole également, faute de forces suffisantes (un grand nombre de médecins inspecteurs du travail ont quitté le navire). Depuis plusieurs années, un certain nombre de services de santé au travail s’affranchissent des règles issues de la réglementation du travail et du code de santé publique au titre d’expérimentations (sans qu’aucune loi d’expérimentation ne le permette). Ces violations manifestes de la loi sont inscrites dans les projets pluriannuels de services. Ces projets, censés être construits par les professionnels de la santé au travail au sein de la commission médico-technique et réunissant les équipes, sont parfois élaborés par les directions avec la coopération de certains « volontaires ». Nous avons eu connaissance de certains projets pluriannuels dans lesquels les infirmiers en santé au travail se voyaient dotés de prérogatives réservées aux médecins du travail. Depuis un an, le statut de cadre et des formations solides en santé au travail sont refusés pour les infirmiers en santé au travail lors des négociations de branche par la partie patronale.

 

Dans certains services de santé au travail, des logiciels médicaux ont été « imposés » aux professionnels de santé sans que leurs contenus n’aient été validés par un quelconque consensus scientifique ou label HAS, au mépris de l’indépendance technique des médecins du travail. Des sommes significatives sont en jeu.

 

Certaines directions n’ont de cesse de nier le rôle d’animateur et de coordinateur des équipes pluridisciplinaires des médecins du travail. Une tribune iconoclaste publiée par un directeur de service de santé au travail d’Île-de-France considère que les médecins du travail sont des ignares et des paresseux en matière d’animation des équipes. Le remède est l'embauche des médecins avec des contrats de mission soumis à rendement. La direction organise le travail des équipes pluridisciplinaires (sur le mode lucratif pour certaines actions). Cette tribune ferait fuir tout jeune interne ou collaborateur médecin qui serait encore pris par le désir insensé d’embrasser la carrière de médecin du travail. Comment décliner une politique de prévention de la désinsertion professionnelle, enjeu majeur réaffirmé, sans associer la clinique médicale et l’étude des conditions de travail, levier majeur de la médecine du travail si les médecins du travail sont externalisés dans un rôle de tâcherons de la visite médicale.
 

Pour les directions des services, les médecins du travail sont des empêcheurs de tourner en rond. Ils sont les seuls, pour les plus courageux, à sopposer à ces tentatives dictatoriales. Ils en paient parfois le prix fort (épuisement professionnel et inaptitude), tant la volonté hégémonique de certaines directions est forte. Pourtant, les rapporteurs de l'IGAS louent leur position équilibrée et juste entre les intérêts des employeurs et des salariés.

 

La politique de santé au travail peine à s’inscrire dans la pratique des services. Le plan de santé au travail 3, le plan régional de santé au travail 3 et les CPOM s’enlisent dans les sables mouvants de la dérive anarchique de certains services qui jettent toute velléité de renforcement du contrôle de partenaires sociaux aux orties et vouent toute intrusion de l’État dans la gestion aux gémonies et surtout le financement, en diabolisant la collecte de l'URSSAF.
 

La santé au travail a besoin d'un projet ambitieux...
 

La santé au travail va mal, l’ambition portée par Charlotte Lecocq et ses collègues parlementaires est en train d’être sapée par les contre-vérités portées par les lobbyistes. Comme les calomnies, si elles sont répétées inlassablement, celles-ci deviendront réalité…
 

Les négociations en cours pilotées par le MEDEF peinent à se structurer sur des objectifs partagés. Nous attendrons la fin de l'année pour savoir si les travaux sont une rénovation profonde et efficace ou s’il sagit dun rafraîchissement des peintures.
 

Nous vous alertons sur ce constat. Les chants hypnotisant des sirènes, selon Homère, ne visent qu’à couler les navires.

 

  • Anne-Michèle Chartier, présidente du syndicat CFE-CGC santé au travail.
  • Christian Expert, vice-président du syndicat CFE-CGC santé au travail.
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