Organisations
Déménagements chez Worldline: comment réagir face à une logique top-down, l'impréparation et le gaslighting ?
Ceci est le dernier article d’une série de 3 sur les déménagements :
1. Vers du présentiel contraint ?
2. Vers moins de liens sociaux et plus d’écologie punitive ?
3. Logique top-down, Impréparation et gaslighting – Comment réagir ?
Comment en est-on arrivé à cette logique schizophrène où l’on demande plus de présentiel, sans en offrir les moyens aux salariés ? Les étapes suivies pour appliquer la nouvelle stratégie immobilière sur les différents sites ont été :
- Résiliation du bail en cours
- Choix du nouveau site par un groupe de personnes très restreint
- Présentation de la décision, construction d’un narratif par Real Estate, la Direction RH, et leurs cabinets de conseil (Nouvelles Donnes, CBRE)
- Et enfin, collecte des besoins et implication du CoPil du site
Le bon sens aurait voulu exactement l’inverse :
- Partir des besoins en impliquant le CoPil du site
- Définir des critères de choix
- Choisir le site cible
- Résilier le bail actuel
Cela engendre même des risques pour l’opérationnel. Ainsi, à Blois, le bâtiment devant accueillir les ATM ne sera probablement pas prêt à temps, et à Lyon, on découvre très tard que les services IT ne pourront pas stocker leurs PCs dans la tour IGH pour raisons de sécurité.
Citons un salarié lyonnais : « indépendamment de la solution, c’est clairement la conduite du changement qui a pêché ». Les besoins concrets des utilisateurs finaux (équipes, projets, salariés et CSE) ont été le cadet des soucis de la direction dans la menée de ces projets. Si l’on gérait nos projets informatiques comme cela, nos managers et nos clients nous feraient des remontées très négatives.
Quid de l’« Accountability » des chargés de projet ?
Nouvelles Donnes, le cabinet extérieur auquel Worldline fait appel, n’aura guère à assumer les conséquences de ses recommandations, comme souvent (Boston Consulting Group pour Power24, KPMG pour l’intégration de Production Services dans les BUs). CBRE n’est pas neutre puisqu’elle gère les bâtiments (notamment la tour To-Lyon qu’elle gère en intégralité).
Du côté des représentants de la direction en charge du projet (Head of Real Estate, DRH), aucun n’est rattaché au site de Lyon (interpellée en CSE sur ce point, la direction n’a pas répondu) ni de Rennes, tous ont peu d’ancienneté chez Worldline. Pour certains, on ne les avait jamais vus, et on ne les reverra sans doute jamais.
Une communication à la limite du gaslighting
D’après les témoignages de salariés blésois et lyonnais, le « narratif » de la direction n’a pas convaincu les salariés. Le discours comportait des contradictions, des arguments jugés « fallacieux » par certains salariés (à Blois : besoin d’avoir des toilettes qui fonctionnent, à Lyon : utilisation de l’argument de la sécurité, tableau d’analyse multicritères douteux). Cela a carrément déclenché des concerts de rires sur les 2 sites ! Ce qui a d’ailleurs amené le DRH à perdre ses nerfs à Blois.
A Lyon, une annonce a particulièrement choqué les salariés le 11/02 : la direction a dit envisager de quitter les locaux fin avril, et de faire travailler les 560 salariés lyonnais dans un Coworking de 100 personnes pendant 7 mois, le temps d’aménager les nouveaux locaux…
Demi-mensonge pour les préparer à un Coworking de 150 ou 200 places ? Gaslighting intentionnel destiné à désorienter les salariés ? En tout cas cette idée de coworking a été bien vite abandonnée, purement et simplement. Il faut dire qu’il aurait été illégal d’imposer du télétravail aux salariés contre leur volonté, rappelons-le ! (sauf circonstances exceptionnelles type Covid)
Conséquence, les lyonnais étaient très partagés sur le déménagement (d’après un sondage express fait sur Teams par les représentants du personnel). Alors que le « quoi » pouvait paraître consensuel (déménagement vers un local plus central, plus prestigieux, mieux desservi et avec plus de services alentours), le « comment » a rendu les salariés indécis, choqués, désemparés… gaslightés.
Quel est l’intérêt de perturber ainsi les salariés ? Cela réduit la résistance au changement. Par exemple, quand on en est à se demander, à court terme, comment on va pouvoir venir sur site (Blois) ou comment on va s’organiser pour faire 80% de télétravail pendant 7 mois (Lyon), on oublie de s’inquiéter sur d’autres éléments essentiels, comme le passage au Flex-Office, avec ses potentielles nuisances sonores et organisationnelles.
Une stratégie du choc ?
Pour aller plus loin, les discours sur les déménagements ont été flous et changeants, certaines questions sensibles ont vu des réponses très “langue de bois” de la direction. Cela rajoute de l’incertitude pour les salariés qui ont déjà été bousculés par les changements incessants depuis 2-3 ans (Move2Cloud, réorganisations P24, RCC). Que ce soit intentionnel ou non, ces multiples changements (souvent menés en dépit du bon sens) désorientent et épuisent les salariés. En CSE nous constatons que le nombre de démissions reste très conséquent, alors que la RCC aurait dû faire baisser ce nombre. Nous accompagnons des salariés victimes de ces changements.
Cela fait penser à la théorie de stratégie du choc (décrite par Naomi Klein dès 2008 et constatée régulièrement depuis dans le monde) selon laquelle les chocs psychologiques permettent aux chantres du capitalisme d’appliquer leur doctrine sans rencontrer de résistance.
C’est peut-être une coïncidence, mais on remarque que les 3 sites ayant les plus hauts taux de présentiel, ceux où le lien social semble le plus fort, sont les premiers touchés par ces déménagements/réaménagements et ce passage au Flex-Office : Blois, Villeurbanne, Rennes. Ce n’est pas un hasard si ce sont les sites qui ont le plus fait grève fin 2022, jusqu’à amener la direction à concéder des augmentations salariales.
Conclusion : que peut-on faire face à ce recul de nos conditions de travail ?
Que faire face à une direction méprisante qui feint d’inclure les salariés et leurs représentants dans des « CoPil », mais prend en réalité des décisions à l’emporte-pièce depuis une tour d’ivoire et envoie des hommes de paille les justifier a posteriori ? La seule solution est le rapport de force, avec toujours les mêmes recettes :
- Connaissons nos droits pour les faire appliquer
- L’union fait la force : pratiquer l’intersyndicalisme, rejoindre les syndicats
En dernière extrémité, attaquer la direction où ça fait mal :
- Via l’inspection du travail / les actions judiciaires
- A l’image (grève, communication dans les médias)
- Au portefeuille
En l’occurrence, une combinaison des 3 pourrait donner : « organisons une journée “tous sur site” » pour mettre en évidence que les locaux sont trop petits et forcent les salariés à faire du télétravail (ou à travailler en salle de réunions), ce qui est illégal !
- Santé au travail parrainé par Groupe Technologia