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31 / 08 / 2023 | 70 vues
Yves Kottelat / Membre
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Travail, emploi et développement économique : le regard d’un syndicaliste en Bourgogne Franche Comté

Selon l’OIT, le travail décent « résume les aspirations des êtres humains au travail ». Il regroupe : l’accès à un travail productif et convenablement rémunéré, la sécurité sur le lieu de travail et la protection sociale pour les familles, de meilleures perspectives de développement personnel et d’insertion sociale, la liberté pour les individus d’exprimer leurs revendications, de s’organiser et de participer aux décisions qui affectent leur vie, et l’égalité des chances et de traitement pour tous, hommes et femmes. Il doit être l’acteur principal de la croissance économique.

 

Pour l’ONU, il faut, promouvoir une croissance économique inclusive et durable, l'emploi et un travail décent pour tous.


Des emplois de meilleure qualité, plus sûrs et variés sont nécessaires de toute urgence en particulier dans les zones rurales où vivent et travaillent la majorité des pauvres. L’agriculture est le plus gros employeur au monde, en particulier dans les pays en développement où ce secteur génère une part considérable du PIB.


Or la majorité des travailleurs, en particulier les jeunes, occupent des emplois précaires et mal payés dans l’économie rurale informelle, ce qui les contraint souvent à migrer vers les villes où les marchés du travail sont souvent déjà saturés.


Les activités liées à l’alimentation et à l’agriculture peuvent aider à relever le défi de l’emploi. Il existe un réservoir largement inexploité d’opportunités d’emploi agricoles et non agricoles, notamment dans des filières agro-alimentaires en rapport avec l’agriculture durable, le développement agro-industriel et les services de soutien connexes.
 

En France, de par l’héritage de plusieurs décennies de forte croissance économique, les travailleurs français bénéficient aujourd’hui d’un système de protection sociale qui tend à se dégrader, mais qui couvre un certain nombre de risque sociaux. Les actifs sont cependant inégalement protégés, selon le contrat et le type de statut auquel ils ont accès, avec un écart voué à se creuser en matière de retraite, de droit à la formation, ou encore de continuité du revenu.

 

Le CDI reste cependant la forme de contrat de travail prédominante : sa part est restée stable depuis le début des années 2000, aux alentours de 73,7 %, les CDD, intérim et alternance représente 12,6 % et ont tendance à augmenter. La France est également marquée par un taux de chômage de 7,3 % qui reste encore élevé (en particulier chez les jeunes 18,9 % des 15-24 ans) , et ce malgré les dépenses publiques faites en faveur de l’emploi ces trente dernières années. Ce taux grimpe à 14 % lorsqu’il s’agit de personnes en situation de handicap .

 

S’il existe une corrélation entre les situations de chômage ou de précarité et le niveau de diplôme, les personnes sans diplôme ont aussi davantage de difficultés à accéder à la formation continue. Un autre problème majeur sur ce plan reste le décrochage scolaire, malgré de récents progrès. Son nombre est ainsi passé de 140 000 jeunes en 2011 à moins de 80 000 en 2019 (chiffres du ministère de l’Éducation nationale).


Enfin, les disparités entre femmes et hommes face à l’emploi se retrouvent non seulement dans le salaire, mais aussi dans l’accès à l’emploi ainsi qu’aux postes à responsabilité. D’après les données de l’INSEE, parmi les 1,4 millions de travailleurs en temps partiel subi, 1 million sont des femmes.

 

Les freins à l’emploi : Le salaire reste pour 50% des français la première motivation au travail. Pour 77% c’est le premier critère de sélection d’un emploi, vient ensuite à 40% la situation géographique de l’emploi. 55% des salariés français sont insatisfaits de leur salaire dont 75% qui ont un salaire qui se situe entre 1000 € et 1500 €.

 

Mais bien entendu d’autres critères entrent en jeu :
 

  • La nature du contrat CDI, CDD, interim,…) - La qualité de l’emploi (conditions de vie au travail, …)
  • La proximité du lieu de vie,
  • La mobilité ( disposer de solutions de transport, ….)
  • Les compétences, 32 % des salariés n’ont pas la compétence (source Insee)
  • La formation à l’emploi,
  • La santé
  • Le numérique

 

D’après une étude de pôle emploi au niveau national, 30% des demandeurs d’emploi déclarent un frein social à l’emploi dont la répartition est la suivante :
 

  • Numérique 58%
  • Santé 23%
  • Mobilité 21%
  • Précarité financière 18%
  • Contraintes familiales telles que la garde d'enfant 12 %
  • Maîtrise des savoirs de base (dont illettrisme) 12 %
  • Difficultés administratives et juridiques 7 %
  • Logement 7 %

 

La situation en Bourgogne Franche Comté (Source Insee)

 

Population active : 1 243 000, dont 75% dans le tertiaire marchand et non marchand Emplois salariés : 963 800


Taux d’emploi des 15-24 ans 33,6 % (39,7% au niveau national) alors que pour les 25-54 ans : 81,5 % (78 % au niveau national ), 55-64 ans 48,4 % ( 56 % au niveau national) Taux de chômage des 15-24 ans 24 % (18,9 au niveau national), 10,7 % pour les 25- 54 ans (6,5% niveau national) et 10,3 % pour les 55-64 ans (6,3 au niveau national) .

 

Cinq zones d’emploi concentrent 56 % des emplois : Dijon, Belfort-Montbéliard, Besançon et Auxerre.
L’emploi non salarié représente entre 8 et 28 % de l’emploi total selon la zone d’emploi, il est surtout très présent en milieu rural.

 

La zone transfrontalière avec la Suisse, UNE particularité régionale

 

35 000 actifs vont travailler en Suisse (15000 actifs supplémentaires en 10 ans ) c’est donc un pôle d’emploi important. 18 000 actifs vont en Ile de France et 12 000 en région Auvergne Rhône Alpes.
 

Pour la Suisse, en particulier, c’est la recherche d’un salaire plus élevé, mais aussi le souci de garder une couverture sociale française et de concilier travail et vie de famille. Ces actifs effectuent 79 kms par jour en moyenne pour se rendre à leur travail contre 45 kms en moyenne pour le reste de la région.


Le revenu médian annuel des ménages frontaliers s’élève à 36 500 € contre 20 600 € pour l’ensemble des ménages de la région.


Le taux de chômage est plus faible dans la zone frontalière (5,8%), 7,9 % dans le reste de la région, et taux d’emploi plus élevé 75% pour les 15-64 ans alors qu’il est de 68 % en moyenne dans l’ensemble de la région.

 

Cette situation n’est pas sans poser quelques problèmes comme le prix de l’immobilier qui s’élève à environ 1600 € le m2 dans la zone transfrontalière, contre 1000 € en moyenne dans le reste de la région (Baromètre Territorial 2022 Bourgogne Franche Comté)
 

D’après un sondage IFOP de septembre 2022. Une grande majorité des salariés privilégie le fait d’évoluer professionnellement pour un gain de sa qualité de vie, plutôt qu’un gain de responsabilités ou de compétences.

Concernant l’évolution professionnelle, 95% des salariés considère la possibilité d’un meilleur salaire comme le premier élément déterminant.
 

Fragilités territoriales en Bourgogne Franche-Comté (source Insee)
 

Il n’existe pas une seule forme de fragilité, qui se mesurerait sur une échelle unique, mais une diversité de facteurs qui conduisent à des situations de nature différentes. Le terme de fragilité renvoie dans certains territoires à la pauvreté, à des difficultés d’accès aux services essentiels, à l’éloignement vis-à-vis de l’emploi, mais également à des dynamiques telles que le déclin démographique, la diminution de la main d’œuvre ou encore la baisse de l’emploi.

 

  • La démographie

 

La région Bourgogne Franche Comté, est celle qui perd le plus d’habitants, en moyenne 5100 habitants par an depuis 2015, alors qu’en France métropolitaine, le nombre d’habitants ne cesse de croître (+0,3% par an depuis 2015). La baisse de la population a des effets néfastes sur l’emploi de proximité et la consommation locale. Elle a également des conséquences sur la vacance des logements et l’attractivité des territoires.


Dans les espaces les moins densément peuplés et les plus éloignés des pôles d’emploi, la croissance démographique est particulièrement marquée. Ainsi entre 2008 et 2018, la population diminue dans 40 intercommunalités.


A l’opposé, la population progresse dans 50 intercommunalités, en lien avec la périurbanisation les territoires situés autour de Dijon et Besançon sont les plus attractifs.


L’avancée en âge des générations nombreuses du baby-boom, nées entre 1946 et 1975, se traduit par un vieillissement de la population de plus grande ampleur dans la région qu’en France métropolitaine. En 2018 pour 100 personnes âgées de moins de 20 ans, 100 sont âgées de 65 ans et plus, contre 80 en moyenne au niveau national.


La densité du territoire est la plus faible de France, et la population régionale n’est pas répartie de façon homogène sur le territoire. Elle varie de 11 habitants au km2 dans les zones rurales, à 1000 habitants au km2 dans les zones métropolitaines. Ceci influent donc sur l’accessibilité des habitants aux services. Plus la densité de population est faible, plus le risque d’éloignement aux services et équipements est grand. La densité détermine en partie les dynamiques d’emplois, qui se concentrent dans les espaces les plus denses.

 

De plus, nous pouvons constater que se concentrent dans les grandes agglomérations, leur périphérie, la part la plus importante d’actifs diplômés.


En moyenne dans la région les actifs diplômés du supérieur a augmenté de 7,4 points entre 2008 et 2018, mais dans les autres territoires, moins denses, cette augmentation ne s’élève qu’à 3,3 points. - l’emploi Les territoires les plus vulnérables, cumulent à la fois déclin de l’emploi et de la population. L’emploi baisse en moyenne de 5% par an, parmi ces emplois, 60% sont des emplois de proximité, ces emplois liés à la demande locale, répondent aux besoins courants de la population. Les principales activités concernées relèvent du commerce (boulangeries, supermarchés, restaurants,…) ou des services (salons de coiffure, services de nettoyage,…).


Le nombre d’emploi a diminué en dix ans dans 77 des 113 intercommunalités de la région. Par ailleurs dans certains territoires il a progressé, c’est le cas des principaux pôles d’emploi (Dijon, Besançon, Mâcon,….).
 

Cette situation qui se traduit par un déséquilibre, entraine une hausse des déplacements domicile-travail.
 

L’accès à un nombre insuffisant d’emplois depuis un territoire peut être un critère de fragilité et oblige à un déplacement vers le bassin d’emploi. 32, 8 % des salariés travaillent dans leur commune de résidence, 67,8 % dans une autre commune avec une déplacement moyen de 16 kms (environ 40 minutes). 80% des salariés obligés de se déplacer utilisent un véhicule, 5,7% les transports en commun.


L’usage massif de la voiture, entraine des effets négatifs (accidentologie, pollution, surcoût,…) et les hausses successives des carburants fragilise le budget de ces salariés.

 

  • Conditions de vie
     

Le taux de pauvreté en Bourgogne Franche comté est de 12,8 %, soit inférieur de 2 points au niveau national, cela certainement dû à l’impact des emplois transfrontaliers. Là aussi nous pouvons constater des disparités et les niveaux de vie les plus importants se situent au niveau des pôles économiques ( métropoles et périphérie, zone frontalière,…) ce qui peut générer des difficultés notamment pour l’accès au logement des ménages les plus modestes. Les inégalités sont également élevées dans les grandes intercommunalités avec la présence des quartiers de la politique de la ville. L’accessibilité aux services et équipements essentiels est inégale, du fait de la concentration de ces équipements dans les villes les plus peuplées.
 

Ainsi les habitants résidant dans les territoires les plus enclavés sont très éloignés de certains équipements et services orientés dans le domaine de la santé, des services publics et de l’action sociale. Les différentes politiques menées depuis des années ont entrainées, des fermetures d’hôpitaux, de services publics, de services sociaux, d’écoles, et cela touche en particulier les plus précaires qui sont pour des raisons financières obligés de se loger dans le secteur « rural ».

 

Dans plusieurs intercommunalités éloignés des pôles l’ensemble de la population vit à plus de 30 minutes des services et équipements essentiels. Et comme dans les constats précédents, dans les intercommunalités les plus peuplées l’ensemble de la population accède en moins de 30 minutes à ces services.

 

  • Focus sur l’ESS en Bourgogne Franche Comté (données CRESS)
     

99 375 salariés, dont 86 969 à temps plein. L’ESS en BFC représente 11,4 % de l’économie régionale avec 9 600 établissements employeurs et de 2,7 milliards d’euros de rémunération brutes. La Bourgogne Franche Comté représente avec la région Grand Est, les régions où l’ESS pèse le poids le plus fort dans l’économie.
 

La répartition de l’ESS par famille s’établit comme suit : 78,5 % associations, 15 % coopératives, 0,5 % fondations et 6,1 % les mutuelles. Les activités sanitaires et sociales représentent plus d’un emploi sur deux, mais seulement un établissement sur cinq.


Plus des deux tiers de l’activité est réalisée par des petits et moyens établissements (10 à 249 salariés).
 

Dans les plus grands établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) la part de l’ESS dans l’ensemble des effectifs salariés représente en moyenne 12 %. Comme déjà observé auparavant, l’activité de l’ESS se concentre, d’un point de vue quantitatif, dans les deux principales agglomérations de la région (Dijon et Beançon). L’on peut constater, que malgré les difficultés structurelles de l’ESS, en particulier les difficultés de recrutement, la qualité des emplois créés, l’évolution de l’emploi a été plus négative qu’au niveau national, mais l’emploi dans l’ESS en région a une trajectoire plus favorable que le secteur privé.

 

Alors, quelles solutions ?

 

Le rapport du conseil économique, social et environnemental régional de Bourgogne Franche Comté, adopté le 21 juin 2022, me parait répondre à l’enjeu des mutations des principaux secteurs d’activité de la région (automobile, agriculture, action sociale, tourisme, emplois de proximité,…).

 

Quelques préconisations. Assurer des conditions favorables à l’emploi pour améliorer l’attractivité des territoires en permettant à la population d’y travailler et d’y vivre bien :
 

  • En assurant des mobilités à toutes les échelles du territoire (régionale, infrarégionale et interrégionale) afin de contribuer au désenclavement des territoires,
  • Assurer un numérique fonctionnel, par une réponse locale et compétente, en particulier pour les territoires ruraux, par une formation de proximité et de qualité,
  • Assurer l’hébergement pour favoriser le recrutement et l’accès à la formation par les voies de l’alternance, car de nombreux apprentis, alternants et saisonniers devraient être mieux à même de répondre à des offres d’emploi ou de formations, si un logement de qualité à loyer modéré pouvait leur être proposés,
  • Améliorer l’attractivité et l’accueil, en particulier l’accueil durable des salariés dans les entreprises passe par l’installation de la famille et la prise en compte de l’activité professionnelle du conjoint, des contraintes liées à la garde et la scolarisation des enfants, ….
  • Maintenir, développer l’emploi et le rendre attractif :
    • En menant des négociations annuelles obligatoires (NAO), qui prennent en compte que du fait de la difficulté de recrutement d’une manière générale en raison de trop faibles rémunérations, de la pénibilité de l’emploi, du peu d’évolution de carrière, les employeurs se doivent d’engager rapidement les démarches nécessaires,
  • Préserver et valoriser les savoirs-faire,
  • Former et orienter, en assurant une offre d’orientation et une formation adaptée, et améliorer l’inclusion en luttant contre les ruptures de parcours, et en sécurisant les parcours,
  • Intégrer la politique régionale dans une ambition européenne,
  • Investir en faveur de l’emploi, investissement matériel de production permettant de relocaliser la production,
  • Clarifier et coordonner les différents dispositifs de soutien à l’économie,
  • Inventer et produire en Franche Comté.

 

Conclusion

 

Au travers des différents thèmes abordés en particulier pour la région Bourgogne Franche Comté, mais cela se retrouve également dans d’autres régions, d’autres territoires, nous constatons, mais ne découvrons pas, que le développement économique d’un territoire passe en priorité par l’emploi, et qu’il faut pour préserver, développer les emplois offrir aux salariés de justes rémunérations, des conditions de vie et de travail favorables qui permette à l’individu, mais aussi à sa famille, d’être intégré complètement dans notre société, afin d’éviter toute forme d’exclusion.

 

Même si l’on pourrait se contenter du projet de directive de l’Union Européenne relative aux « salaires minimaux adéquats », afin de garantir une vie décente, la confédération européenne des syndicats plaide encore, pour qu’un « seuil de décence » soit intégré dans la législation afin que le salaire minimum légal ne puisse jamais être inférieur à 60 % du salaire médian et à 50 % du salaire moyen de l’État membre concerné, car malheureusement ce n’est qu’à titre indicatif de la Commission européenne a inclus ses seuils dans le projet, mais sans caractère obligatoire.

 

A titre d’exemple pour la France ce sont 2 200 000 travailleurs qui bénéficieraient d’une augmentation salariale grâce au « seuil de décence, soit 9% de la main d’œuvre totale. (Source ETUC.org)

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