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10 / 05 / 2023 | 53 vues
Frédéric Homez / Abonné
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Equipementiers auto : une industrie tout sauf accessoire !

La fin annoncée du moteur thermique oblige l’ensemble de la filière auto à se mettre en ordre de bataille pour relever ce défi, mais elle est aussi une occasion unique de rebattre les cartes pour savoir qui aura la maîtrise du futur paysage automobile : les constructeurs ou les équipementiers. Derrière, ce sont aussi des milliers d’emplois qui sont en jeu.


C'est pourquoi, notre fédération a consacré son dossier du mois à ce sujet d'importance...

 

L’Union européenne l’impose, le monde automobile se demande s’il y parviendra : il faudra « enterrer » le moteur thermique pour 2035. La filière se met en ordre de bataille pour relever ce défi sans précédent qui est aussi une occasion unique de rebattre les cartes. Entre constructeurs et équipementiers, la maîtrise de la chaîne de valeur est au cœur des ambitions et des stratégies pour s’adjuger la plus grosse part du chiffre d’affaires lié à l’auto. Mais derrière cette recomposition du paysage automobile, ce sont aussi des milliers d’emplois qui sont en jeu. 
 

Le point sur la bataille en cours
 

Pour les équipementiers automobiles, le signe sous lequel ont été placées les années qui viennent de s’écouler a oscillé entre révolution, refondation et catastrophe au gré des événements. Depuis le dieselgate en 2015, une mutation historique du secteur automobile est en cours avec pour objectif la mise au rebut du thermique et un passage définitif à la mobilité décarbonée.

 

C’est au moment où elle connaissait son plus grand changement depuis le passage à l’ère industrielle que l’automobile a été heurtée de plein fouet par une succession de tornades qui forment la plus grave crise que le secteur a connu. « Nous n’avons jamais été confrontés à un contexte aussi compliqué, affirmait au printemps 2022 Jean-François Le Bos, président de la Fédération des industries des équipements pour véhicules (Fiev).


Nous sommes la seule industrie qui ne s’est pas remis des conséquences de la crise sanitaire.
 

Depuis deux ans, nous sortons d’un tunnel pour rentrer dans un autre

 

La pandémie et ses conséquences ainsi que la guerre en Ukraine et le dérapage de l’inflation qui s’est ensuivi –notamment du fait de la flambée des prix de l’énergie–, sans oublier le calendrier fixé par l’Europe pour la fin des moteurs thermiques et probablement hybrides ont fait prendre conscience à l’ensemble de la filière de la complexité du mouvement engagé mais surtout de la fragilité dans laquelle celui-ci place ses acteurs, comme le montrent les réactions des marchés.

 

Fin 2022, après des mois à voir leurs cours en Bourse jouer au yo-yo, les équipementiers respirent enfin. Du moins jusqu’au prochain trou d’air.


Valeo affiche un chiffre d'affaires légèrement supérieur aux attentes au troisième trimestre 2022 et vise une marge opérationnelle annuelle comprise entre 3,2 % et 3,7 %. Les mauvais chiffres du premier semestre, où l'équipementier automobile français était passé légèrement dans le rouge avec une perte nette de 48 millions d'euros, sont loin.


Le chemin parcouru montre aussi à quel point la vision court-termiste et bien trop axée sur l’aspect financier des entreprises encourage les réactions excessives

 

Car début 2022, les équipementiers sont présentés comme « au bord du gouffre ».

 

Délocalisations, transition énergétique, pénuries et ralentissements de production...
 

Les difficultés s'accumulent et les fermetures se multiplient chez les sous-traitants automobiles. Leur salut éventuel ? La diversification, mais aussi et surtout la transformation ou, plus précisément, un changement de taille. D’autant que le passage annoncé à l’électrique, qui comporte moins de pièces, va nécessiter moins de fournisseurs.

 

Montagnes russes

 

Valeo accélère dans la motorisation électrique en reprenant le 9 février 2022 les activités de Siemens. Et Faurecia, devenu Forvia deux jours avant, a grossi d’un quart en rachetant l’allemand Hella. Ils deviennent respectivement 10ème et 7ème équipementiers mondiaux.


Mais en avril, tout semble s’écrouler.


Les comptes trimestriels de Valeo, Plastic Omnium et Faurecia reflètent la chute de l'activité en Europe en mars du fait de l'invasion russe de l’Ukraine. Les confinements décidés par Pékin pour lutter contre le Covid pèseront sur la suite de l'année. Si Valeo et Faurecia limitent le recul de leur chiffre d’affaires, le secteur poursuit déjà avec difficultés la mutation engagée depuis quelques années et ces nouvelles péripéties tombent au mauvais moment.


Les opérations de rachat à des fins de croissance externe, qui devaient leur permettre de prendre le virage de l’électrique avec une position plus solide en cas de crise majeure, viennent les fragiliser avant la fin de la manœuvre. Ironie de l’histoire, ces stratégies s’avèrent en partie nourries par l’impossibilité de relocaliser les productions, dont une bonne partie a déserté le vieux continent au cours des 15 années précédentes.


En juillet, le balancier repart en sens inverse avant de dévisser à nouveau sérieusement en septembre.
 

Après avoir figuré parmi les stars du CAC 40, Valeo perd 33 % de sa valeur, Forvia en concède 66 % !


Au delà des questions conjoncturelles, la dégringolade est aussi un signe d’inquiétude des investisseurs quant aux stratégies de croissance externe qui génèrent un lourd endettement, mais aussi à l’impératif de produire à la fois des équipements pour le thermique (dont il faut gérer la fin programmée) et pour l’électrique (dont la montée en puissance est à surveiller comme le lait sur le feu).

 

La question de l’inflation, et surtout de savoir qui va en supporter le coût, reste une ombre de plus au tableau qui pèse lourd sur la compétitivité des entreprises, et qui ne sera tranchée que quelques semaines plus tard.


Sans surprise, c’est aux constructeurs que les équipementiers font cadeau du mistigri, lesquels reporteront sur les consommateurs… Derrière les aspects financiers, la prise de conscience de la dépendance vis-à-vis de l'Asie, notamment pour les semi-composants et les métaux rares indispensables à la fabrication des véhicules électriques conduit les équipementiers à diversifier leurs approvisionnements mais aussi à miser sur la R&D pour concevoir la batterie de demain, sans ou avec peu de métaux rares .


Forvia ne s’en rapproche pas moins des constructeurs chinois, redevenus leader sur leur marché intérieur, se créant ainsi de nouveaux débouchés.
 

Autre facteur déterminant : la Chine incarne la puissance montante dans l’électrique, qui inquiète les européens avec ses tarifs imbattables (jusqu’à 10 000 euros de différence sur les petits segments) et ses pratiques d’export agressives. Mieux vaut être avec elle que face à elle.

 

Qui veut gagner des milliards ?

 

En toile de fond, c’est aussi leur place au centre de la chaîne de valeur que les constructeurs tentent de leur disputer. En moyenne, les équipementiers pèsent entre 60 et 85 % du prix de revient de fabrication d’un véhicule. Les composants d’un véhicule électrique coûtent 59 % plus cher que pour du thermique. Le groupe moto-propulseur, les batteries et l’électronique de puissance représentent quant à eux 45 % du contenu d’un véhicule électrique, qui promet donc de rapporter gros.

 

Pour Valeo, tout cela constitue un vrai potentiel de croissance, et même d’hypercroissance. « Dans la partie propulsion électrique, nous allons vendre du contenu ayant six à huit fois plus de valeur que ce que peut générer le moteur thermique, confie son directeur général Christophe Périllat au Monde en août dernier. Dans la partie chauffage-climatisation refroidissement, c’est trois fois plus. Au total, notre plan prévoit que nous allons passer de 17 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2021 à 27,5 milliards en 2025, avec une ambition à 40 milliards en 2030. »

 

Soit une croissance moyenne de 12 %, de quoi donner envie d’être au sommet de la chaîne alimentaire sur la planète automobile. La compétition en cours pour relever deux grands défis du secteur –la révolution numérique avec le véhicule intelligent et connecté, ainsi que la mutation sociétale des nouveaux usages de la voiture et de la mobilité  – le montre : les constructeurs tentent de sortir du rôle d’assembleur final qui était devenu le leur et disputer le leadership sur le monde automobile aux équipementiers.

 

Le secteur en danger ?

 

Pour les pouvoirs publics, l'enjeu affiché est de garantir la souveraineté technologique de la France dans cette révolution automobile, et donc de se donner les moyens de localiser massivement en France les investissements liés à la mobilité du futur, estimés à plus de 200 milliards d'euros dans les dix ans. Après la mise en œuvre, en mai 2020, d'un plan de relance automobile doté de 8 milliards d'euros, la PFA estimait fin 2021 à 17 milliards d'euros les investissements à localiser en France dans les cinq ans à venir, considérant que le besoin de soutien public représenterait 30 % du total.

 

Mais en élargissant le point de vue, il apparaît que c’est l’avenir de la France en tant que nation d’industrie automobile qui se joue. L’objectif du tout électrique ne s'accompagne pas seulement d'incertitudes sur le prix prohibitif du véhicule électrique, 50 % plus cher que son homologue thermique, et de savoir quels consommateurs pourront le payer. Comme FO Métaux l’a fait remarquer à plusieurs reprises, vouloir aller trop vite dans la transition revient à prendre le risque de casser l’outil industriel dans notre pays et en laisser d’autres s’imposer en leaders du monde automobile.

 

C’est la raison pour laquelle elle a demandé un moratoire sur l’arrêt de la fabrication des moteurs thermiques et hybrides. Certes, la filière et les consommateurs ont besoin d’aides financières, mais c’est surtout du temps qu’il faut pour mettre en place un nouvel écosystème automobile viable. « Le passage de la technologie thermique au moteur électrique, de conception plus simple, va entraîner la disparition d'un certain nombre de métiers », expliquait Luc Chatel, président de la Plateforme automobile, en octobre dernier. La question de l’emploi se retrouve ici, une nouvelle fois, liée à celle de la compétitivité.

 

Fin novembre, Carlos Tavares, directeur général de Stellantis, déclarait que le groupe ne serait pas actuellement en mesure de produire des véhicules électriques abordables en Europe et envisageait une production à moindre coût en Inde pour y parvenir tout en « préservant la rentabilité »

 

Derrière les déclarations un brin provocatrices existent de réels dangers, que les salariés ne connaissent que trop bien, à commencer par celui de mettre la pression sur les salaires, en considérant une fois de plus le coût du travail comme la seule et unique variable de la compétitivité. En filigrane, il faut aussi y voir un avertissement : la France n’est pas prête et à vouloir aller trop vite, le risque est grand de voir les acteurs délocaliser les productions.

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Parvenir à 600 créations nettes d’usines d’ici 2027 ? Instaurer une « commande publique plus responsable » davantage tournée vers l’achat de produits français et européens ? Favoriser une fiscalité verte pour attirer les investissements ? Agir sur les réglementations européennes ou encore simplifier les conditions d’implantation des entreprises ? A tous ces objectifs annoncés par la présidence de la République ce 11 mai pour l’industrie, FO Métaux ne peut qu’applaudir : notre Fédération plaide pour de telles mesures depuis de nombreuses années au travers de ses publications pour la défense de l’industrie sur notre territoire.

 

Néanmoins, c’est avec prudence que se réjouit notre organisation. D’abord parce qu’elle sait que les annonces peuvent souvent être sans lendemain, et qu’elle attend donc du concret pour juger, même s’il n’est jamais trop tard pour bien faire !

Ensuite, parce qu’il a fallu six années de présidence au chef de l’État pour s’apercevoir de l’importance d’une industrie forte dans notre pays, sachant que, comme ses prédécesseurs, il a parfois contribué à l’affaiblir avant de vouloir aujourd’hui lui redonner toute sa place.

A cet égard d’ailleurs, en dénonçant la désindustrialisation comme le fruit d’un « choix presque idéologique », l’exécutif montre une nouvelle fois qu’il n’est pas une contradiction près !

 

Autre motif de circonspection : le chiffrage du projet, qui reste très imprécis. Les 700 millions d’euros annoncés pour améliorer les formations aux « métiers d’avenir » risquent de ne pas suffire à relever le défi. Rien ne dit comment sera financé le crédit d’impôt « industrie verte », ni s’il aura des contreparties, notamment en termes d’emploi.

Quant au changement des critères d’attribution du bonus automobile, s’il est souhaitable qu’il permette de ne plus le voir bénéficier aux fabricants asiatiques ou américains, on peut déplorer que la logique ne soit pas poussée plus loin en favorisant une préférence française plutôt que seulement européenne.

 

Si notre fédération  ne peut que saluer la tardive prise de conscience et assurer qu’elle sera présente pour accompagner, préciser et déployer ces mesures, notre organisation veillera avant tout à ce que les salariés, trop habitués à payer le prix du changement, en soient cette fois les bénéficiaires.