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14 / 04 / 2023 | 169 vues
Jean Paul Philidet / Abonné
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Nouveau régime de responsabilité des gestionnaires publics : la DGFIP en mode déminage !

Une DGFIP en mode déminage, c'est un peu le sentiment qui ressort après la dernière réunion du groupe de travail avec les organisations syndicales pour traiter de la nouvelle responsabilité des gestionnaires publics (RGP). Les documents à examiner traitaient d’adaptations et de simplifications tant en sphère locale qu’en gestion fiscale.

 

Notre syndicat a regretté à nouveau que l’administration ne dévoile pas ses intentions en matière de responsabilité managériale et ne se focalise que sur la responsabilité juridictionnelle.

 

Nous avions  pourtant envoyé quelques jours avant cette réunion  des questions très  précises sur la responsabilité managériale (sanctions encourues en cas de non respect pour les cadres et les agents des plans de contrôle), qui appelaient  donc des réponses, et ce alors que la gestion 2023 est commencée depuis plus d’un mois.

 

Persister à ne pas évoquer devant les organisations syndicales la responsabilité managériale qui est de la responsabilité pleine et entière du Directeur Général, ça nous ne pouvons l’accepter ! La cheffe de SPIB (Service Stratégie Pilotage Budget ) n’affirmait-elle pas le 10 janvier dernier  que la Direction Générale ne pouvait pas conclure le contrat d’objectifs et de moyens sans évoquer avec les syndicats, entre autres, ce sujet de la RGP ? Si évoquer ce sujet consiste à se réunir en une après-midi pour parler simplifications de service, preuve est faite, une fois de plus,  d’un dialogue social réduit à sa plus simple expression.

 

Il n’y a, en effet, plus aucun autre groupe de travail sur la RGP dans l’agenda social du 1er semestre 2023, ni même en projection 2ème semestre.

 

La Direction Générale nous informe que « tout n’est pas prêt  » mais que des textes sont en cours d’élaboration au sein de chacun des bureaux métiers. Les demandes de simplification proviennent, selon elle, des demandes du terrain.


Sur la responsabilité juridictionnelle, le discours d’une restriction du champ des procédures et donc des amendes nous est une fois de plus resservi pour tenter de rassurer les gestionnaires en évoquant une fourchette de 40 à 100 jugements par an. La Direction Générale souhaite réduire le plus possible ce volet juridictionnel, mais le pourra t-elle, sachant que seule la 7ème Chambre de la Cour des comptes a la maîtrise de l’élaboration de la jurisprudence ?

 

Sanctions classiques mais curseur nouveau

 

En termes de responsabilité managériale, l’administration doit, selon elle, un suivi et un retour aux agents de tout grade de la qualité de leur travail. Ce n’est qu’en cas de manquement que l’on entrerait dans le schéma classique actuel des sanctions. L'administration affirme qu’il n’y aura pas de nouveaux cas de mise en cause d’un agent. Selon cette dernière, il n’y aurait pas plus de sanctions disciplinaires qu’actuellement, on «  replace le curseur des contrôles » mais rien de plus.
 

Pour nous, cette volonté de rassurer les personnels ne doit cependant pas faire oublier qu’on est face à une réforme majeure qui bouleversera tous les process de travail et dont les conséquences ne sont pas encore quantifiées. A ce titre, comment ne pas voir tout le bénéfice que la DGFiP peut tirer de ce nouveau régime qui raisonne plus en contrôles par sondages qu’en exhaustivité, et notamment pour le déploiement des Services Facturiers (SFACT) dans le secteur public local !

 

La RGP accèlère la mise en place des SFACT (service facturier *) et CGF (centre de gestion financière **)

 

Quand on sait que les SFACT SPL(secteur public local) ne sont « rentables  » qu’à partir d’un certain volume et doivent être adossés auprès d’un organisme de grande taille, voire d’un service mutualisé auquel une pluralité de collectivités confieraient leur fonction financière, on voit bien tout le bénéfice que tirera la DGFiP de cette RGP, bien aidée par la deuxième lame du NRP (nouveau réseau de proximité) qui créera des « maxi SGC »-Les services de gestion comptables- ) à partir de 2026.

 

La Direction Générale a ensuite l’honnêteté de rappeler que les SFACT et les Centres de Gestion Financière (CGF) pour la sphère État proviennent d’Action Publique 2022 ! Selon elle, l’émergence de ces nouveaux acteurs dans la chaîne financière SPL et État permettront un repositionnement des contrôles mais aucunement leur allègement.

 

Pour nous,  la RGP change la donne en matière de contrôle a posteriori.

 

Désormais, le comptable doit conseiller l’élu et lui signaler, espérant faire basculer la responsabilité du côté de l’ordonnateur si la Cour des comptes instruit une affaire. Il faut donc faire du contrôle a posteriori. La Direction Générale va essayer d’écrire les pratiques minimales du comptable en ce sens. En matière d’intelligence artificielle (IA), l’administration dit vouloir la faire évoluer pour mieux sélectionner les actes à contrôler puisque la RGP remet l’accent sur l’enjeu. C’est avouer à demi-mots que l’IA n’a pas encore vraiment convaincu.

Nous  condamnons  cette apparente simplification en SFACT et CGF qui porte atteinte au principe de séparation ordonnateur/comptable.

 

La protection fonctionnelle, c'est flou 

 

La Direction Générale dit avoir interrogé la Direction des Affaires Juridiques (DAJ) sur la mise en œuvre de la protection fonctionnelle au regard de la RGP et qu’elle saisira aussi le Conseil d’État. Leur souhait est que la protection fonctionnelle puisse jouer en liaison avec le service (en cas de faute non détachable du service).


Sur la possibilité d’assurer le risque, la Direction Générale ne fait que répéter la non- assurabilité de l’amende et la fin du cautionnement obligatoire. Interrogé par F.O.-DGFIP sur le caractère suspensif du paiement de l’amende si le justiciable va devant la Cour d’appel financière et en Cassation, la Direction Générale le confirme.


Restreindre le nombre des jugements est une chose mais pas sans risque car la nouvelle juridiction prononce autant d’amendes que d’infractions constatées. Et cela, seule la jurisprudence nous le dira à un horizon de 5 à 6 ans.

 

Notre syndicat demande une instruction nationale exhaustive des cas et des sanctions managériales

 

Sur le managérial, notre syndicat  prend acte des propos très (ou trop ?) rassurants de l’administration. Nous lui faisons cependant remarquer que cette responsabilité managériale directionnelle mise entre de mauvaises mains pourrait briser des carrières de l’agent C au cadre supérieur.

 

C’est pourquoi nous réitérons notre   demande d’une instruction nationale exhaustive des cas et des sanctions correspondantes ne laissant aucune marge d’interprétation aux directions locales. Il faudra aussi préciser lorsqu’il n’y aura pas de responsabilité managériale actionnée et lorsque celle-ci sera activée. L’administration se contente de répondre que cette liste exhaustive ne peut exister, «  ce n’est pas un objet en soi » et il faut, de plus, tenir compte du contexte dans lequel s’instruit l’affaire.

 

On  ne peut se contenter d’une telle réponse qui laisse augurer des sanctions différenciées et forcément inégales entre un agent d’une direction A et un autre d’une direction B pour un même cas. Notre délégation demande que les futures Lignes Directrices de Gestion «  mobilités + carrières et promotions » intègrent les conséquences de cette nouvelle définition de la responsabilité managériale.

 

La future évaluation intègre les notions d’objectifs collectifs pour les cadres A+ et A, la question de la manière dont sera prise compte cette notion est primordiale au cas où la responsabilité managériale serait actionnée.


En réponse à notre syndicat  qui posait la question du lien entre ouverture d’une instance juridictionnelle et mise en cause managériale, la Direction Générale rappelle que le Directeur local est autorisé à saisir la 7ème Chambre mais que «  ça n’a pas vocation à être être un moyen de réglage ». Ce lien ne se comprend que si l’agent « fait n’importe quoi ».


Une réponse aussi laconique justifie notre demande d’une instruction nationale sur les cas de mise en cause managériale. Selon la Direction Générale, il y aura (quand ?) une note au réseau sur les modalités de la procédure de signalement du comptable à l’ordonnateur (Alinéa 1er du nouvel article L 131-7 du CJF).

 

La 7ème chambre de la cour des comptes... big brother

 

Nous avons  demandé à l’administration si les délégations de signature, les organigrammes fonctionnels, la cartographie des risques, les plans de CHD ou d’engagements partenariaux ou encore l’organisation du workflow Hélios par poste seraient communicables à la 7ème Chambre ; la réponse est nette et sans bavure  : la 7ème Chambre peut demander «  à peu près tout ». Ce sont les mêmes qui nous disent pourtant au fil des groupes de travail sur la  RGP que nous noircissons le tableau sur les mises en cause possibles de collègues non-comptables de tout grade...

 

Et les simplifications dans tout ça ? 

 

Pour en revenir aux simplifications à l’étude, nous avons demandé avec insistance des éclaircissements sur la suppression de la tenue de l’état de l’actif chez le comptable. Cela revient, selon nous, à supprimer la qualité comptable du haut de bilan et amène un risque d’insincérité du budget. Pour la DGFiP, les états de l’actif relèvent des ordonnateurs et les comptables n’ont pas les moyens de suivre ces états. Donc il faut mieux se séparer de cette tâche au niveau des bénéfices/risques.

 

Notre syndicat  prend acte de la révision de la nomenclature des Pièces Jointes  sphère État et de la création d’une nomenclature de la recette locale. En ce qui concerne le circuit simplifié et standardisé de non valeurs SPL, on peut  craindre  une automatisation mal perçue par les collectivités locales.

 

L’administration reconnaît que ça ne pourra se faire que dans le cadre d’une négociation avec les ordonnateurs.


En matière de non valeurs fiscales et amendes, la DGFiP veut laisser des marges au comptable secondaire désormais décisionnaire exclusif de l’ANV (admission en non valeur)  La direction locale exercera cependant un contrôle a posteriori et par sondages des ANV dans le cadre de la maîtrise des risques ; à ce titre la responsabilité managériale du comptable pourra être actionnée. A contrario, si le DR/DDFIP ne fait pas son travail de suivi et de vérification du comptable secondaire, ce dernier pourra être attrait devant la 7ème Chambre.


Sur la saisie vente, la Direction Générale souhaiterait qu’elle ne soit actionnée que dans des situations où nous aurions l’assurance de recouvrer des sommes intéressantes, laissant ainsi une marge de manœuvre aux directeurs et sécurisant l’activité des huissiers.


Sur la suppression du seuil national de déclaration de créance fiscale en cas de procédure collective pour les PRS, l’administration partage l’avis exprimé par les organisations syndicales sur les difficultés des PRS ( Po^les de recouvrement spécialisés)  qui ont des soucis avec ces procédures.
 

Le but est de resserrer l’activité des PRS sur les dossiers vivants et à enjeux et de réallouer les emplois correspondants vers du recouvrement offensif.

 

Au sortir de ce dernier groupe de travail où l’on a plus parlé de ce qu’il n’y avait pas dans le dossier présenté , on a retenu par exemple que la DGFiP a semblé reconnaître, au détour d’une phrase, qu’elle était consciente des difficultés des SGC( services de gestion comptable)


Sur la RGP, l’administration veut désamorcer les craintes de mise en cause juridictionnelle des agents B et C : « Celui qui est responsable à la fin c’est le patron de la structure, donc le comptable  ». Ces propos n’engagent, bien sur, en rien la 7ème Chambre.

 

Pour nous, l’opération déminage de la Direction Générale est une nouvelle fois ratée.

 

Les simplifications présentées auront fatalement des conséquences en termes d’ETP ( emplois équivalents temps plein) supprimés ou de réallocation d’agents vers d’autres missions.


La RGP semble parée de toutes les vertus par les simplifications qu’elle prétend permettre. Cependant, n’oublions pas que si cette réforme figurait en bonne place dans le cahier des charges d’Action Publique 2022 c’est avec l’intention à peine dissimulée d’affaiblir l’Etat en s’attaquant à son organisation financière et comptable.


Cette orientation là est bien dangereuse qu’une suite d’ajustements techniques mal déguisés en simplifications.

 

(*) Un service facturier ou « SFACT » est une organisation innovante de la chaîne de la dépense qui mutualise les contrôles respectifs de l'ordonnateur et du comptable pour limiter leur redondance. Ce dispositif est prévu par l'article 41 du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique.

(**) La nouvelle structure, dénommée « centre de gestion financière » (CGF), a pour objet de mutualiser les fonctions d'ordonnateur (par délégation) et de comptable ...

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