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21 / 12 / 2022 | 133 vues
Theuret Johan / Membre
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Télétravail dans la fonction publique : concilier service public de proximité et attentes sociétales

Le  think tank " Le Sens du service public" vient d' adresser au Ministre Stanislas Guerini une contribution sur le déploiement du télétravail dans la fonction publique. L'objet de cette note est d'explorer la nécessité de concilier les services publics de proximité avec l'attente sociétale en faveur du télétravail.  


Dans les administrations comme dans les entreprises, le télétravail a connu un essor inédit à l’occasion de la crise sanitaire. De très nombreux salariés, mais aussi agents publics, ont su s’adapter à un fonctionnement à distance pendant les périodes de confinement.


Dans les mois qui ont suivi la crise sanitaire, les réflexions et les expérimentations se sont poursuivies pour adapter les modes de travail et permettre à de nouvelles activités, et de nouveaux professionnels, de travailler depuis chez eux.


Au cours des deux dernières années, le déploiement du télétravail a ainsi connu un essor sans précédent dans les services publics. Facilité à la fois par un cadre juridique adapté et par un dialogue social nourri, cette “banalisation” a été possible grâce à l’enthousiasme de nombreux agents et la volonté d’exemplarité de très nombreux employeurs pour s’engager dans cette nouvelle modalité de travail, offrant ainsi aux
bénéficiaires la possibilité de s’affranchir des trajets domicile-travail et d’articuler parfois mieux vie
professionnelle et vie familiale.


De nombreuses voix incitent les entreprises à aller plus loin encore, à adapter leurs organisations de travail pour faire plus de place au télétravail, voire à créer "un droit effectif au télétravail opposable à l’employeur", comme le propose la dernière note de Terra nova (1).

 

Pour la fonction publique, le rapport de la Cour des comptes publié en novembre 2022 presse également les administrations d’accélérer la dynamique au nom de la qualité de vie au travail, mais aussi de l’amélioration de l’efficacité du service public. Les préoccupations immobilières n’y sont parfois pas étrangères.


Les légitimes aspirations individuelles doivent être conciliées avec la mission de service public


Engagés depuis plusieurs mois pour que le débat public porte sur les valeurs du service public, il nous semble indispensable d'analyser les conditions du déploiement du télétravail et l'impact qu’il peut avoir, non pas seulement sur les professionnels concernés ou les collectifs de travail, mais plus généralement sur les missions exercées. Parce que les fonctionnaires ne sont pas des travailleurs comme les autres, et parce que le déploiement du télétravail dans le service public n’impacte pas seulement les agents publics, mais plus largement les usagers, l’ensemble de la société et notre modèle social.


Comme dans de nombreuses entreprises, la conversion des administrations au télétravail a produit d’indéniables avancées et une transformation des pratiques porteuses d’innovations. Parmi ces avancées figure notamment le fait que les agents publics qui pratiquent régulièrement du télétravail y voient un progrès dans leurs conditions de travail, permettant une réduction de leur temps de trajet et plus
généralement une meilleure conciliation entre leur vie personnelle et leur vie professionnelle. Le management par objectif s’est développé et débutent des réflexions indispensables sur la manière de s’organiser pour rendre le service.


Néanmoins, l'essor très rapide du télétravail dans les administrations publiques ne s'est pas toujours accompagné des réflexions organisationnelles garantissant la même qualité des services publics délivrés aux usagers.

Dans les services publics, l'essor du télétravail doit être concilié avec l’indispensable cohésion sociale permise par l’accueil du public. Une des pistes est de faire évoluer les organisations publiques en revalorisant les front-offices, les fonctions d’accueil, d’orientation, de conseil, sur tous les canaux, donc également physiquement, et en renforçant les back-offices. Le service public est porteur de la valeur d’égalité de notre devise républicaine. L’heure est donc à retravailler l’expérience de l’usager pour s’assurer que le service public propose bien la qualité d’expérience, l’égalité d’accès, le respect des valeurs que sont en droit d’attendre les habitants de notre pays.


L'essor du télétravail peut être source d'inégalités entre agents publics


Rappelons une évidence (2) : les télétravailleurs restent très minoritaires parmi les agents publics. Comme l’ensemble des métiers ouvriers, les jardiniers, agents chargés de la voirie, du bâtiment, de la propreté, du nettoyage, sont exclus de cette modalité d’organisation du travail. Plus largement, ce sont l’ensemble des métiers dits de la relation, du soin, du contact qui restent nécessairement à l’écart, alors qu’ils sont au cœur du service public : policiers, soignants, enseignants, éducateurs sportifs, animateurs, agents des écoles...

 

Pour tous ces professionnels du service public, le télétravail est tout simplement impossible. Cette évidence nous semble devoir être rappelée et assumée, car beaucoup d’agents publics se sentent “oubliés” ou “invisibles”, leurs contraintes professionnelles les laissant en marge d’un grand mouvement de modernisation et de transformation qui touche, en réalité, essentiellement les “cols blancs”, donc les agents travaillant dans des bureaux. Nous craignons que le fait d’avoir des missions “de terrain” ou de “première ligne” soit, par contraste avec ces organisations, plus encore dévalorisé et défavorable à l’attractivité des métiers de proximité. Pire encore, nous craignons l’émergence d’un profond sentiment
d’injustice, à la fois au sein des services au public vis-à-vis du reste du monde du travail.

 

Une nouvelle ligne de fracture sociale entre la possibilité d’organiser son travail de façon autonome et l’obligation de se déplacer pour exercer des métiers en perte d’attractivité, se dessine qui recouvre des écarts croissants de rémunération. Pour beaucoup, le télétravail présente aussi des avantages pécuniaires et matériels substantiels (indemnité télétravail, économies en termes de déplacements, de garde d’enfants, d’organisation), ce qui risque d’aggraver la perte d’attractivité des métiers essentiels du service public.


Pour cette raison, la valorisation financière des métiers pour lesquels le télétravail est impossible nous semble indispensable, comme la réflexion sur les métiers eux-mêmes, pour en revaloriser l’exercice.

 


Au-delà de l’enthousiasme individuel bien légitime pour l’autonomie permise par l’exercice du travail à distance, le Sens du service public rappelle la nécessité de ne pas se contenter du retour d’expérience des seuls cadres et consultants sur le sujet ; c’est la parole des agents, mais aussi des organisations syndicales et des usagers du service public, qui doit être mieux écoutée pour redéfinir des organisations du travail soucieuses d’accueillir tous les publics et de traiter efficacement leurs demandes.


L'essor du télétravail doit garantir les fonctionnements de proximité des services publics


Sans réflexion sur l’organisation du travail pour assurer la qualité de l’expérience des usagers, une généralisation hâtive du télétravail peut avoir des effets pervers. Son déploiement massif dans de nombreuses administrations qui ne se réorganiseraient pas conduirait inévitablement à une transformation des modes de relation à l’usager en induisant une digitalisation de la relation comme première porte d’entrée, et à une réduction des plages d’ouverture des services, au mépris de l’accueil des publics les plus fragiles.


Loin d’être le levier d’une relation renouvelée entre l’administration et les usagers, elle ne conduirait qu’à la dégradation du service rendu. Comme évoqué dans les 35 propositions d'accompagnement à la dématérialisation du Sens du service public, nous appelons à la plus grande
vigilance sur ces transformations, afin de garantir l’égalité d’accès aux services publics. Le numérique ne devrait jamais être la seule modalité d’interaction entre les citoyens et leur administration, comme le rappelle régulièrement le Défenseur des droits.


Une diffusion du télétravail doit donc être conditionnée à la réorganisation du travail pour maintenir la présence humaine pour rendre le service de proximité. Nous réaffirmons que cette exigence est cruciale pour les services publics de demain. Le contact direct des agents publics avec les citoyens doit être une priorité absolue dans les services publics.


Le déploiement du télétravail demande de concilier aspiration sociétale et cohésion sociale


Avec une part croissante des effectifs en télétravail, les services publics, les lieux d’accueil, mais également les “managers” du service public se sont faits, faute de réflexion suffisante sur l’organisation du travail, moins visibles, plus distants. La présence d’agents “sur le terrain” constitue pourtant un aspect essentiel de notre modèle de service public : du directeur d’école présent sur le seuil de l’école chaque matin à l’agent des cantines qui veille à ce que tous les enfants se servent et mangent de façon équilibrée, au chef de service social qui garde une oreille sur l’ambiance de la salle d’attente, ces professionnels assurent un rôle d’incarnation du service public, et sont les maillons essentiels de notre modèle républicain.


Plus encore, nous plaidons pour que le déploiement des professionnels du service public se développe, en encourageant les dispositifs d’aller-vers comme les bus itinérants, les visites à domicile, ou en prenant appui sur des lieux et événements de la vie locale (festifs, sportifs, culturels) qui permettent de toucher de nouveaux publics.


En matière sanitaire, la crise du Covid nous a montré combien le déploiement massif d’agents dans l’espace public avait permis de convaincre et de dialoguer sur la nécessité de la vaccination.


La diffusion du télétravail ouvre pour le Sens du service public un choix politique : utiliser l’aspiration à l’autonomie, notamment des cadres, pour généraliser un service public "pas nécessairement repensé", ou réorganiser le service public avec agents et usagers pour que l’intimité du service public avec les habitants demeure et conserve son rôle essentiel à la cohésion sociale

 

(1) Comment les nouvelles organisations du travail transforment l’entreprise : pour un travail hybride socialement responsable, Rapport publié par Terra Nova le 7 octobre 2018.

(2) Ce chiffre est estimé par la Cour des comptes à 70% pour l’ensemble de la fonction publique.

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