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26 / 10 / 2022 | 95 vues
Sandrine Lhenry / Abonné
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EDF : tensions sur le réseau, la gouvernance et le corps social

Beaucoup de questions restent en suspens sur la trajectoire à venir du groupe. Cap 2030 demeure la stratégie en cours, malgré la prise en main totale et imminente de l’État sur EDF. Ceci interroge l’ensemble de nos collègues et même certains élus de la nation sur l’avenir de notre secteur. Un Hercule II ou une «grande réorganisation d’EDF» fait toujours planer la crainte d’une vente à la découpe pour un recentrage sur les activités qualifiées par certains de «régaliennes», à savoir la production nucléaire.

 

Le nouveau capitaine à bord, Luc Rémont, aura fort à faire pour rassurer les salariés et différentes parties prenantes de la filière et assurer le plan de relance du nucléaire dont on ne connait toujours pas les modalités de financement. Son arrivée est en cours avec un passage prévu au Sénat le 26 octobre prochain pour un vote de «non-rejet», puis au CA d’EDF pour vote et enfin au conseil des ministres qui finalisera sa nomination par décret.

 

DES ADIEUX À LA BOURSE POUR LA FIN DE L’ANNÉE ?

 

C’est sans gloire, mais avec nombre de reproches que le groupe devrait faire ses adieux au marché boursier en cette fin d’année. Après 17 ans de cotation, c’est la fin d’un chapitre dans la douleur. 4.9 millions de particuliers étaient devenus actionnaires lors de l’introduction d’EDF en bourse le 21 novembre 2005.
 

Fin novembre 2022, l’Offre Publique d’Achat Simplifié (OPAS) serait lancée sur les titres cotés en bourse, soit 15,9 % du capital en flottant. Le prix annoncé est de 12 €/action alors que le prix d’introduction était de 32 €. Ce prix est contesté par de nombreux actionnaires minoritaires, dont les salariés actionnaires du groupe. En l’espèce, l’évaluation de l’association de défense des actionnaires minoritaires ressortait à 16,58 €/action à l’annonce du projet en juillet dernier, soit un différentiel de 4,58 €.
 

À la mi-décembre, l’OPAS serait clôturée avec si l’on en croit le calendrier en cours le nouveau PDG.

 

L’État devra avoir franchi le seuil de 90 % de détention du capital et des droits de vote d’EDF pour pouvoir retirer les actions de la cote. Dans le cas où l’opération serait inférieure au seuil, soit 89,9 %, l’État devrait revoir son dossier et faire une offre plus généreuse. Ceci ne résoudra pas pour autant les finances immédiates du groupe…

 

N’oublions pas que des dividendes ont encore été versés cette année dans un contexte financier dramatique. Ce versement étant totalement déconnecté des besoins d’investissements massifs, du remboursement des dettes et des injonctions paradoxales de l’actionnaire majoritaire au travers d’un Arenh complémentaire…

 

Ce dernier est plafonné à 120 TWh depuis cet été, malgré les demandes de certains alternatifs qui en réclamaient davantage pour mieux, sans doute, empocher des profits indus. Peu importe si la seule entreprise qui produit de l’énergie nucléaire est dans le rouge ou non…

 

Et ce n’est pas la charte de bonne conduite signée le 6 octobre dernier par les gros producteurs d’énergie (Total, Engie, EDF) envers les PME, qui risque d’aider EDF à remonter son bilan financier pourtant catastrophique sur l’exercice 2022. Il est, en effet, question que l’État récupère la différence entre le prix de production plafonné à 180 €/MWh et le prix de marché afin de soutenir les PME et les collectivités locales. Une nouvelle manne financière qui devrait rapporter entre 5 à 7 Mrds € et qui sera inscrite au PLF 2023.

 

Cette initiative est le fruit d’une entente entre les ministres européens de l’Énergie pour un plafonnement des prix de production de l’électricité issue du nucléaire et des ENR début octobre. Mais l’État français va plus loin, car il inclut l’ensemble des producteurs d’électricité dont les centrales gaz et charbon.
 

Ce plafonnement de revenu va sans conteste ralentir les investissements dont la France a besoin pour décarboner son industrie.

 

Car EDF est loin de réaliser des  superprofits en spéculant comme ses concurrents sur la volatilité des prix. Le groupe doit, par ailleurs, faire face au retour massif de clients en déshérence et racheter de l’énergie à prix fort pour les alimenter (347,52 €/MWh en septembre, soit un différentiel de 167,52 € en défaveur d’EDF). Conclusion : cela ne fera qu’aggraver le bilan financier de l’entreprise. Face à ses missions de service public, elle aurait largement pu être dédouanée de cette «charte»!

 

PASSAGE DE L’HIVER : DE LA SOBRIÉTÉ ÉNERGÉTIQUE AVEC PLUS DE CO2 DANS L’ATMOSPHÈRE ET DES SALARIÉS SUR LE PIED DE GUERRE

 

Relance des outils de production carbonés, plafonnement temporaire des prix du gaz induisant la volatilité à venir des prix de l’énergie, aide aux entreprises, grand plan Ecowatt et mesures de sobriété jusqu’à l’incitation du port du col roulé : la crise de l’énergie met en difficulté l’exécutif. Ce dernier revisitera peut-être sa feuille de route pour, espérons-le, plus de souveraineté, de sécurité d’approvisionnement, de synergies dans nos activités et un réel plan long terme délesté du tout libéralisme. Mais il est légitime d’en douter!

 

Face au choc, les messages de sobriété se multiplient en cette rentrée avec la maladresse désormais habituelle comme l’annonce de «la fin de l’abondance».
 

Alors que, dans le même temps, près de 12  millions de Français subissent la précarité énergétique et ne peuvent se chauffer comme ils le souhaitent… L’hiver dernier près de 20 % des Français déclaraient souffrir du froid.

 

Dans cette ambiance anxiogène, faut-il s’attendre à un «Waterloo électrique» comme le prédisent certains experts (ref  : Javier Blas de l’agence Bloomberg*)?
 

Avec un défaut de marge potentiel de 7 GW, le risque de défaillance est pris au sérieux en cas de grand froid cet hiver. La conjugaison des conséquences climatiques (sécheresse), des problèmes industriels, de la maintenance post-Covid, et d’une politique antimonopole de service public voulue par Bruxelles alimente cette crainte. Raisons pour lesquelles une réforme structurelle du marché européen de l’électricité est désormais dans les objectifs de l’État.
 

En sus, ce qui a fait réagir la commission et donc le gouvernement c’est le Portugal et l’Espagne qui sont sortis des prix du marché par dérogation. Ce qui leur a permis de sortir un prix 4 fois inférieur au prix du marché de gros, car calé sur leur propre mix énergétique et non sur le coût marginal gaz/charbon. Pour rappel, la France a un mix essentiellement basé sur le nucléaire et l’hydraulique.

 

Cette indexation des prix de marché sur le gaz/charbon est donc aberrante! Face au manque de capacités, beaucoup, aujourd’hui, regrettent la fermeture de Fessenheim (1,8 GW). En effet, une nouvelle prise de conscience émerge sur le fait que le nucléaire est une énergie décarbonée. Mais pour pallier la débâcle énergétique, le pays refait appel à ses anciennes centrales thermiques et met en stand-by sa baisse de trajectoire CO2 .

 

Pour répondre aux besoins immédiats et croissants, Cordemais pourtant promis à la même «mort» que le Havre continue de fonctionner. Son sort n’est toujours pas fixé malgré des solutions technologiques avancées pour se décarboner (usine de pellets avec le projet «Ecocombuste», captage de CO2 , puits de carbone, etc.).

 

Tout comme les 12 réacteurs nucléaires, elle est toujours prévue dans la loi pour une fermeture prochaine. Cette dernière a été décalée en 2024-2026 alors que son service a triplé depuis 2021. Malgré toutes les injonctions paradoxales subies depuis des années, les salariés d’EDF ont une nouvelle fois répondu présent face au plan Excell, à un plan de bataille gigantesque de maintenance post-Covid, et aux problèmes de CSC.

 

Sur ce dernier point, les innovations qu’ils ont su déployer à toute vitesse pour réparer les microfissures nous ont fait gagner près de 4 ans sous le regard attentif de la planète nucléaire. Gageons qu’ils seront récompensés et considérés à la hauteur de leurs efforts avec une requalification salariale digne de leur investissement…

 

Car pour finir, c’est tout un pays et son économie qui en dépendent !

 

* https://www.lecho.be/dossiers/conflit-ukraine-russie/javier-blas-bloomberg-l-europe-souffre-d-un-deficit-enorme-d-energie/10373042.html

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