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04 / 02 / 2022 | 103 vues
Jean Meyronneinc / Abonné
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Relance des enchères sur les suppressions d'emplois dans la fonction publique : quelles réalités ?

Jeter les fonctionnaires en pâture à l'opinion publique en les rendant responsables de toutes les misères du monde est un sujet récurrent, surtout en période électorale. En 2017, on a connu les surenchères les plus diverses des candidats. Le summum a été atteint dans le programme du candidat François Fillon, avec un projet de 500.000 suppressions d'emplois. Emmanuel Macron s'est limité à 120.000 mais a bien été obligé de sérieusement reconsidérer cet objectif, confronté aux réalités et exigences des citoyens. 

Car, au-delà des a priori ou des approches dogmatiques sur la place et le rôle des services publics dans ce pays, force est de constater que ceux qui dénoncent le poids de l'administration et prônent la nécessité de coupes drastiques dans les effectifs de la fonction publique sont parfois les mêmes à réclamer plus d'enseignants, de personnel hospitalier etc., la crise sanitaire actuelle soulignant les besoins évidents en la matière.
 

La campagne électorale étant lancée, le sujet refait évidemment surface, chacun y allant de petite musique. Valérie Pécresse a ouvert le bal en affichant sa volonté de faire la chasse aux emplois inutiles dans « l'administration administrante » de l'État et des collectivités locales. Selon elle, en ne remplaçant pas les fonctionnaires partant en retraite, on pourrait sans problème supprimer 200.000 emplois publics en cinq ans. Certes, elle reconnaît finalement que 50.000 postes devraient être créés dans certain secteurs comme l'éducation, la police, la justice et l'hôpital. Pour autant, le bilan net serait de 150.000 suppressions d'emplois.

 

Peut-être pas si simple à faire qu'à dire, toute la question étant de clarifier dans quels secteurs et sur quels emplois ces suppressions d'emplois porteraient, sauf à imaginer privatiser ou externaliser certaines missions. Rappelons que certains ministères ont déjà contribué à de nombreux redéploiements dans la fonction publique d'État, le Ministère des Finances, entre autres, ayant payé une bien lourde contribution au fil des ans et des nombreuses réformes (contrairement à ce que certains peuvent penser ou veulent faire croire), avec des dizaines de milliers de suppressions d'emploi.

 

Le think-tank TerraNova s'est penché sur les propositions de la candidate Valérie Pécresse et livre une série d'observations sur la crédibilité d'un tel projet à la réflexion*.

  • Contrairement à une idée encore très répandue, l’emploi public n’est pas dans une croissance incontrôlée. En 2019, il représentait 19,8 % de l’emploi total (soit un emploi sur cinq) pour l’ensemble des trois versants de la fonction publique, en France.
  • Les effectifs des administrations publiques ont progressé de +0,4% entre 2009 et 2019 : 0,0% dans la FPE, +0,7% dans la FPT et +0,8 % dans la FPH. Depuis 2017 (première année du quinquennat), ils sont restés stables : 0,0 % dans la FPE, -0,1 % dans la FPT et +0,2 % dans la FPH.
  • Non seulement la FPE ne présente aucun dérapage mais elle voit certains ministères perdre des effectifs depuis 2017 : -3 % pour l’économie, les finances et l’industrie ; -4,1 % pour le logement, les transports et le développement durable ; -1,4 % pour les établissements publics à caractère administratif (EPA). Les croissances les plus marquées (notamment en province) ont eu lieu dans la FPT (+7,3 % depuis 2017 et +8,6 % depuis 2012).
  • En outre, entre 2009 et 2019, la population nationale a augmenté de 2,54 millions d’habitants (+3,9 %). Logiquement, le nombre d’emplois publics pour 1 000 habitants, c’est-àdire le taux d’administration, a donc diminué. Il était de 88,5 agents publics pour 1 000 habitants en 2015. En 2019, hors militaires et contrats aidés, il tombait à 73,4 pour 1 000.
  • Tous les agents de la fonction publique ne sont pas fonctionnaires au sens du statut général de la fonction publique, c’est même de moins en moins le cas. En 2019, sur 5,6 millions d’emplois publics, seuls 3,8 millions sont occupés par des fonctionnaires titulaires. Les contractuels ont en effet beaucoup progressé (+5,2% en 2019, par rapport à 2018) : ils sont aujourd’hui 1,1 millions (contre 840 000 en 2017), soit 20 % de l’emploi public (contre 13% il y a dix ans). Les fonctions publiques emploient même aujourd’hui en moyenne plus de CDD (17 %) que le secteur privé.
  • « L’administration administrante » ciblée par la candidate LR ne représente qu’une faible part des emplois publics. Si l’on considère uniquement l’emploi civil de la fonction publique d’État (c’est-à-dire en dehors de l’armée et de la gendarmerie qui représentent 16 % de cet effectif), les services nationaux qui regroupent les administrations centrales et les directions d’établissements publics représentent 7,3 % de l’effectif, soit 161 400 personnes dont 65 000 dans les administrations centrales à proprement parler.


Pour Mathilde Bras (experte des transformations numériques de l'action publique, enseignante à l'École d'affaires publiques de Sciences Po Paris et auteure, de cette note), à moins de l’amputer des deux tiers et d’escompter un choc de productivité de 200 % en cinq ans, ce gisement d’emplois publics ne suffira pas à satisfaire les ambitions de la candidate...


Par ailleurs, elle souligne que le moyen du non-remplacement des départs risque aussi de s’avérer insuffisant. Pour réaliser 200 000 suppressions de poste par ce moyen et sur un quinquennat, il faudrait un rythme annuel de 40 000 départs par an. Or en 2020, dans la FPE, on en a compté 42 640. Mais ces départs englobaient des agents de terrain comme les enseignants et pas uniquement des postes de bureau. La méthode du non-remplacement des départs pourrait donc se révéler très dysfonctionnelle dans ces conditions.


Pour conclure, selon elle, « il est douteux que Valérie Pécresse parvienne à mener son projet à bien. Il est même douteux qu’il faille le mener à bien. (..) Brandir des objectifs chiffrés de suppression de postes n’est sans doute pas la bonne méthode. (...) Il est improbable que l’on puisse, en cinq ans, supprimer 200 000 postes de fonctionnaires dans « l’administration administrante » par le seul moyen du non-remplacement des départs. On ferait mieux de se demander ce qu'on attend de la fonction publique dans ses trois versants (FPE, FPT et FPH) et comment la rendre plus efficace et alignée avec les défis qui s’ouvrent à nous ».

(*) Détail de la note de Terra Nova : https://tnova.fr/economie-social/entreprises-travail-emploi/fonction-publique-les-mecomptes-de-valerie-pecresse/.

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