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30 / 12 / 2021 | 310 vues
Serge Widawski / Abonné
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APF France handicap : renforcer le droit à l'autodétermination des personnes accompagnées par le médico-social

Pour la première fois, la loi du 2 janvier 2002 fait la promotion de l’autonomie, de la protection des personnes, de la cohésion sociale et de l’exercice de la citoyenneté. Elle garantit « le respect de l'égale dignité de tous les êtres humains avec l'objectif de répondre de façon adaptée aux besoins de chacun d'entre eux et en leur garantissant un accès équitable sur l'ensemble du territoire », ainsi que « l'exercice des droits et libertés individuels […] à toute personne prise en charge par des établissements et services sociaux et médico-sociaux ».

 

Cette loi fondatrice consacre les droits des personnes accompagnées par les établissements et services sociaux et médico-sociaux, et rénovant le secteur…


Elle met en avant des principes forts :

  • le respect de la dignité, de l’intégrité, de la vie privée, de l’intimité et de la sécurité de la personne ;
  • le libre choix entre les prestations adaptées offertes à la personne accompagnée ;
  • une prise en charge et un accompagnement individualisé de qualité favorisant le développement, l’autonomie et l’insertion, adaptés à l’âge et aux besoins de la personne, respectant son consentement éclairé ;
  • la confidentialité ;
  • la transparence avec l'accès à toute information ou document relatif à sa prise en charge ;
  • une information sur ses droits fondamentaux et les protections particulières légales et contractuelles dont elle bénéficie, et sur les voies de recours à sa disposition ;
  • la participation directe ou avec l'aide de son représentant légal à la conception et à la mise en œuvre du projet d'accueil et d'accompagnement la concernant.

 

Afin de garantir l’exercice effectif de ces droits et de consacrer la participation de la personne, le législateur a prévu la mise en place d’outils, documents et dispositifs (livret d’accueil, charte des droits et libertés de la personne accueillie, contrat de séjour ou document individuel de prise en charge, personne qualifiée, conseil de la vie sociale, règlement de fonctionnement et projet d’établissement ou de service). Ces derniers ne sont pas tous nouveaux mais leur obligation est alors étendue à tout le secteur social et médico-social et leur articulation mise en avant.

 

Le projet est ambitieux et en profonde rupture : il permet d’interroger les pratiques institutionnelles et professionnelles, entre satisfaction des besoins, attentes de l’usager et contraintes institutionnelles. Il considère la personne accueillie comme citoyenne et prend son entourage en compte, la loi visant en effet à profondément faire évoluer les relations entre les professionnels et la famille de l’usager.
 

  • APF France handicap s’est pleinement investie dans la mise en œuvre de cette loi, en pratique, dans ses établissements et services.
     

Précurseur dès 2001, APF France handicap avait mis en place le Conseil national des usagers (CNU), organe de représentation innovant, permettant de faire remonter la parole des intéressés et des familles, au niveau national. Ce conseil organise des rencontres inter-conseils de vie sociale (CVS) et développe des interactions locales entre pairs, ce qui a permis d’ouvrir des perspectives innovantes pour renforcer la montée en compétences des gens et leur participation.
 

Dans la même lignée, la loi du 2 janvier 2002 instaurait les conseils de vie sociale devenus l’incarnation concrète de ce droit à la participation, qu’elle soit directe ou via l’aide de leur représentant légal. Leur mise en place a traduit la volonté d’inscrire les gens accompagnés et leurs représentants dans une démarche citoyenne. 
 

Enfin, la loi du 2 janvier 2002 a profondément réorganisé le secteur médico-social. En effet, elle a créé les projets d’établissement ou de service (outil essentiel de visibilité de l’offre de service et de projection). Elle a permis d’améliorer l’objectivation des besoins, notamment via les schémas d’organisation locaux et d'instaurer des réponses via des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM), une coopération renforcée entre établissements, une organisation tarifaire et un processus d’évaluation, de contrôles voire de sanctions. Au service de l’amélioration continue de la qualité du service rendu, soulignons que c’est la loi du 2 janvier 2002 qui a rendu la démarche d’évaluation des prestations délivrées par les ESMS obligatoire.
 

Véritable loi régalienne, ce texte a profondément bouleversé le régime des autorisations en liant tout projet de création ou d'extension à son financement.

 

Cette loi montre aujourd’hui des limites qu’il est urgent de dépasser.

 

Les outils et dispositifs prévus par la loi ont certes permis d’aider à la participation des gens mais ils montrent aujourd’hui leurs limites au risque de la participation-alibi.

 

Par exemple, le dispositif de la personne qualifiée n’a pas été investi. Il n’a été que très rarement sollicité, faute d’une existence sur tout le territoire français, et de mise à jour régulière des listes. La formation de ces gens qualifiés et leur mise en réseau n’ont pas été approfondies. Leur saisine n’a pas été facilitée.



Pour pallier cet état de fait, APF France handicap a créé un collège de la médiation. Inauguré en octobre 2019, ce collège a pour vocation d’aider à renouer le dialogue lorsque deux parties sont en conflit au sein des structures médico-sociales de l’association. Il intègre quatre binômes représentant les parties prenantes de l’association : personnes accompagnées, parents, professionnels et personnes qualifiées extérieures. Pour un fonctionnement juste, cette instance obéit à quatre principes : l’indépendance vis-à-vis de la direction générale de l’association, la neutralité, la confidentialité et l’impartialité.

 

Par ailleurs, l’obligation légale de faire participer les gens et les familles au fonctionnement de leurs établissements ou services via les CVS doit aujourd’hui s’adapter à la diversité, aux caractéristiques des gens accompagnés, à la diversité des établissements et services et aux types d’accueils proposés. D’autres formes de participations peuvent ainsi exister afin de favoriser la libre expression des gens et de leur entourage (groupe de paroles, groupes d’expressions, café-rencontres, enquêtes de satisfaction, consultations ponctuelles, budgets participatifs etc.), chaque forme de participation gagnant à être conjuguées. Soutenir des formes alternatives de participation peut en effet être une solution pour que la représentation des gens (notamment ceux à domicile) soit effective et que les familles puissent en complément jouer un rôle de sentinelle.

 

À ce titre, APF France handicap expérimente la mise en place d’une démarche de « qualité de vie ressentie », outil complémentaire de la participation, qui va au-delà du simple questionnaire de satisfaction car elle interroge l'intéressé dans son environnement global de vie, en prenant son entourage en compte. Les résultats de cette démarche visent à améliorer les prestations délivrées et, plus largement, l’offre de service des ESMS, à participer aux diagnostics territoriaux dans le cadre des négociations contractuelles et de la définition des besoins.

 

Convaincue de la richesse de l’expérience et de l’expertise des gens accompagnés, APF France handicap estime qu’il est aujourd’hui essentiel de renforcer la légitimité des intéressés dans les instances de représentation et surtout d’associer les gens les plus éloignés de la participation car les plus fragilisés, dans le respect de l’article 29 de la convention des Nations-Unies relative aux droits des handicapés (« participation à la vie politique et à la vie publique »).

 

Cela passe par :

  • la mise en place des conditions d’accompagnement collectif et individuel afin d’entretenir la motivation des gens engagés sur la durée et de leur permettre d'efficacement et sereinement assumer leurs responsabilités. Cet accompagnement peut passer par des formations ou des échanges entre pairs sur des cas rencontrés, sur la posture à avoir et sur les stratégies à adopter et par des co-formations des représentants des gens accompagnés, des familles et des professionnels dans leur ensemble ;
  • une dynamique permanente de souplesse et d’adaptation aux publics concernés, notamment au plan organisationnel : accessibilité, prise en compte de la disponibilité, de la fatigabilité, des temps d’assimilation etc. ;
  • le développement d’une communication adaptée, quels que soient les publics ciblés, pour faciliter et soutenir l’expression de tous : rendre les discours et le jargon professionnels intelligibles, inventer et développer des outils alternatifs (médiation par le dessin, facile à lire et à comprendre, pictogrammes etc.) ;
  • des possibilités d’innovation offertes par le numérique qui présente de nombreux atouts : participation à distance, mobilisation des jeunes etc. ;
  • l’ouverture des CVS vers l’extérieur, l’environnement de la personne et la cité ;
  • la création de passerelles entre CVS, commissions des usagers et représentants politiques en conférence régionale de santé et de l’autonomie, pour permettre une acculturation progressive aux enjeux communs de représentation ;
  • l’intégration des gens accompagnés aux évolutions des politiques de santé et dans la conception et la programmation de l’offre de service.
     

La place et le rôle des familles sont à plusieurs reprises énoncés dans la loi, notamment via les différents outils, dispositions et instances mis en place. Toutefois, la place des familles mériterait d’être reprécisée ainsi que leur collaboration avec les professionnels dans l’accompagnement de leurs proches, dans un souci d’alliance partenariale. Les proches des gens accompagnés ont un rôle à jouer dans l’élaboration du projet, l’évaluation de sa mise en œuvre et, par là-même, l’amélioration continue de la qualité des accompagnements.

 

Concernant la rénovation du secteur, les évaluations quantitatives et qualitatives devaient permettre de définir les perspectives et les objectifs de développement de l'offre de service sociale et médico-sociale pour satisfaire les besoins des gens accompagnés. Vingt après la promulgation de la loi, peut-on considérer que l’on y est arrivé ? L'offre de service sur l'ensemble du territoire est-elle adaptée aux besoins et de nature à favoriser l'exercice des droits et libertés individuels ? Elle l’est encore trop partiellement, notamment du fait de moyens financiers trop limitatifs. 

 

Droits spécifiques et inclusion

 

La loi du 2 janvier 2002 a certes mis les droits fondamentaux des gens accueillis en avant mais des droits spécifiques également.

 

Ceux-ci n’ont-ils pas été limitatifs ? Ont-il vraiment permis l’inclusion des gens et leur autodétermination ? Dans un souci de protection individuelle, le législateur a renforcé un secteur d’activité avec un code qui lui est propre (Code de l’action sociale et des familles), au détriment d’une réflexion plus inclusive. Ces questions nous reviennent aujourd’hui violemment en boomerang, avec les conclusions de l’audition de la France par le comité des droits des handicapés des Nations-Unies en septembre dernier.

 

Pour répondre à ces problèmes majeurs, APF France handicap s’est résolument engagée dans une transition inclusive de son offre de service, en cohérence avec son projet associatif 2018-2023 « pouvoir d’agir, pouvoir choisir » reposant sur une approche par les droits fondamentaux des handicapés. Cette transformation se veut innovante, souple, évolutive et personnalisée, reposant sur la participation des gens et de leurs proches depuis la conception jusqu’à l’évaluation de cette offre d’accompagnement. Cette nouvelle offre (notamment à domicile, avec l’exemple de l’habitat inclusif) imposera d’inventer de nouvelles formes de participation. L’offre de service doit être un levier au service de l’autodétermination individuelle.
 

En parallèle, APF France handicap attend une mobilisation et un accompagnement forts de la part des pouvoirs publics pour un changement profond de société et de regard, un véritable changement de paradigme concernant le traitement social du handicap.

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