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09 / 11 / 2021 | 560 vues
paul santelmann / Membre
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Compte personnel de formation : une illustration de l’impasse de l’accès personnalisé à la formation

Suite à quelques tâtonnements (DIF puis CPF en heures de formation), la loi de 2018 a instauré un nouveau compte personnel de formation (CPF) organisé autour de la monétisation et de l'accès direct à un site rassemblant des dizaines de milliers d’offres de formation « sur étagère ». Selon la DARES, « en 2020, 984 000 formations ont été suivies dans le cadre du compte personnel de formation (CPF), contre 517 000 en 2019. Le passage au « parcours achat direct » (PAD), qui facilite l’accès à l’offre de formation, est particulièrement favorable aux femmes, aux moins de 30 ans et aux plus de 60 ans, aux demandeurs d’emploi et aux salariés non cadres ». Mais l’utilisation du CPF par 2,8 % de la population active permet-elle une telle exaltation institutionnelle ?


Outre le fait que l’on n’évalue pas un système de formation par le nombre d’entrées mais par ses effets concrets pour les utilisateurs, il paraît nécessaire d’identifier à quel type de formations ce dispositif permet d’accéder au regard du monumental catalogue (« Mon Compte Formation ») proposé par la Caisse des dépôts et consignations, gestionnaire de ce qu’il faut bien appeler une usine à gaz. Il ne s’agit pas ici de nier l’intérêt de telle ou telle formation mais d’évaluer l’efficacité sociale et économique d’un dispositif financé par les fonds publics et qui s’ajoute à plus d’une vingtaine de dispositifs et de programmes différents échappant à toute cohérence.

 

Impasse de l’accès personnalisé à la formation
 

Avant d’analyser les formations ayant bénéficié aux utilisateurs du CPF en 2020, il faut rappeler les mésaventures du droit individuel à la formation (DIF) qui avait pourtant permis de mesurer l’inanité de cette première tentative de personnalisation de l’usage de la formation. De 2006 à 2014, environ 6 % des heures de DIF avaient été « consommées » par les salariés, ce qui avait déjà fortement relativisé l’hypothèse d’un engouement populaire pour une telle démarche : 29 000 personnes avaient bénéficié d’un DIF en 2005, 303 067 en 2007 et 600 000 en 2009, selon le CEREQ. Concernant les contenus de formation concernés, selon le baromètre sur le DIF publié par la Fédération de la formation professionnelle (FFP), l’anglais général était arrivé en tête des sujets demandés, soit environ 28 % de l’usage du DIF (les langues représentant un total de 35 %). Suivaient l’informatique (16 %) et le développement personnel (15 %) puis une pléthore de formations correspondant plutôt aux besoins des cadres (management, marketing etc.). Bref il s’agissait d’une sorte de dispersion micro-économique de stages classiques ne modifiant guère le paysage banal de l’offre de formations. Les plus qualifiés (cadres et ingénieurs), rompus à l’utilisation de formations courtes à valeur ajoutée, ont peut-être pu optimiser l’usage du DIF mais les millions de salariés peu qualifiés sont restés massivement indifférents à une telle mesure éloignée de leur quotidien social et professionnel. 


Le remplacement du DIF par le CPF a légèrement modifié l’objectif puisqu’il ne s’agissait plus de cibler des formations mais des certifications. Échappant à l’entendement des citoyens, ce changement n’a guère modifié la situation léguée par le DIF. En 2017, le compte personnel de formation a été utilisé par un million de bénéficiaires. Les dix certifications les plus demandées sont restées très convenues comme le test of English for international communication (TOEIC) et le business language testing service (BULATS) qui évaluent le niveau d’anglais. Les certifications suivantes concernaient le socle de connaissances et de compétences professionnelles (CLÉA), le passeport de compétences informatiques européen (PCIE) et le TOSA qui certifie des compétences informatiques (logiciels de bureautique, compétences numériques ou logiciels de PAO, CAO et DAO). Le certificat d’aptitude à la conduite de chariots élévateurs et transpalettes (CACES : cariste et manutention) a fait partie des formations suivantes, comme le stage de préparation à l’installation (SPI, destiné aux porteurs de projet de création/reprise d’entreprise artisanale) et le diplôme d’État d’aide-soignant.


En bref, cette expérience a surtout été illustrée par une très grande confusion où des formations « générales », des bilans de compétences, divers tests ou stages étaient logés à la même enseigne et considérées comme des produits de consommation indifférenciés supposés répondre à la grande variété des besoins individuels. Or les fonds publics n’ont pas pour vocation de répondre à toutes les nécessités mais de soutenir des priorités sociales ou économiques. 
 

Usage étriqué et mercantile de la formation professionnelle
 

Le nouveau CPF a-t-il bénéficié d’une dynamique nouvelle ? Selon la DARES, qui a exploité les données de la Caisse des dépôts, les dix premiers domaines de formation ayant concerné les 984 000 bénéficiaires du CPF en 2020 sont les suivants :
•    transports, manutention et magasinage (25,9 %), soit 255 000 bénéficiaires ;
•    langues vivantes et civilisations étrangères et régionales (17 %), soit 167 000 bénéficiaires ;
•    développement des capacités d’orientation, d’insertion ou de réinsertion sociales et professionnelles (15,2 %), soit 150 000 bénéficiaires ;
•    informatique, traitement de l’information et réseaux de transmission (10,3 %), soit 101 000 bénéficiaires ;
•    sécurité des biens et des personnes, police et surveillance  (4,1 %), soit 40 300 bénéficiaires ;
•    agro-alimentaire, alimentation et cuisine (2,9 %), soit 28 500 bénéficiaires ;
•    spécialités plurivalentes des échanges et de la gestion (2,6 %), soit 25 600 bénéficiaires ;
•    coiffure, esthétique et autres spécialités de services aux personnes (2,2 %), soit 21 600 bénéficiaires ;
•    ressources humaines, gestion du personnel et gestion de l’emploi (1,6 %), soit 15 700 bénéficiaires ;
•    comptabilité et gestion (1,4), soit 13 700 bénéficiaires ;
•    et 164 300 bénéficiaires se répartissent sur les autres domaines (16,7 %).



Cet affichage qui peut laisser croire à un relatif succès du dispositif doit être évalué au regard des contenus et des durées de formation. Or selon l’étude de la DARES, la durée moyenne des formations CPF de 2016 à 2020 est passée de 296 à 67 heures et la moitié des formations réalisées en 2020 a duré moins de 20 heures (contre 94 heures en 2016). Sans faire de la durée de la formation un critère absolu d’efficacité sociale, économique ou pédagogique, il est clair que les formations concernées ne modifient pas le niveau de compétences de la population active et qu’elles ne justifient pas la « cathédrale » organisationnelle mise en place.


Par ailleurs, il est utile d’avoir l’information sur le coût des formations du CPF. Selon la Caisse des dépôts, « 1 million de formations ont été suivies depuis le lancement de l’application, pour 1 milliard d’euros dépensés ». Ainsi, le coût moyen d’une formation est de 1 000 euros, ce qui est ridiculement bas pour toute formation visant une qualification utile à l’économie et à l’évolution professionnelle des moins qualifiés. Pour résumer, le CPF est constitué de formations de 67 heures en moyenne pour 1 000 euros, soit l’heure de formation à 15 €.


Rappelons aussi que la réforme devait favoriser les actifs les moins qualifiés. Or les données de la DARES sur ce plan sont relativement sommaires (voir tableau) : « En 2020, 39,8 % des ouvriers et 31,5 % des demandeurs d’emploi suivent une formation CPF dans le domaine des transports, de la manutention ou du magasinage, contre 25,9 % en moyenne sur l’ensemble des entrants. Les cadres et les professions intermédiaires se forment souvent en langues étrangères. Les artisans, commerçants et chefs d’entreprise, les professions intermédiaires et les agriculteurs exploitants suivent des formations entrepreneuriales ». Aucune donnée sur le coût et la durée des formations destinées aux moins qualifiés ni sur leurs effets concrets.


En tout état de cause, si le CPF permet aux chômeurs d’accéder à des formations avec un abondement budgétaire des pouvoirs publics, il ne semble pas être un dispositif ambitieux de montée en compétences des moins qualifiés. Il illustre surtout une perte de sens de ce qu’est la formation professionnelle et la marginalisation des partenaires sociaux dans le portage de la formation continue, réduit à un marché consumériste, sur fonds publics et dont les objectifs sont pour le moins filandreux…

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