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04 / 11 / 2021 | 271 vues
Jacky Lesueur / Abonné
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Réorganisation du dialogue social dans la fonction publique : quelles conséquences ?

Comment imaginer pouvoir transformer la fonction publique et réformer l’organisation de l’État en réduisant le rôle des organisations syndicales et des instances paritaires de dialogue social ? Vraie question, au regard de la démarche initiée en la matière au début d’un quinquennat et qui va s’achever sur un détricotage en règle de la place et du rôle essentiel des instances paritaires de dialogue social qui avaient pu être mises en place dans la fonction publique au fil des ans sur fond de réduction significative des moyens d’expression des organisations syndicales.

 

L'un des éléments les plus importants à retenir est, entre autres, la loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019, qui a réorganisé les modalités du dialogue social, en supprimant les comités techniques et les CHSCT notamment et en modifiant profondément l’architecture et le champ de compétences des commissions administratives paritaires (CAP). Véritable chambardement, cette réforme, dont la mise en œuvre se précise, devrait entrer en application à l’occasion du renouvellement des instances, programmé à ce stade pour décembre 2022…

 

Les futures instances de dialogue social dans la fonction publique
 

Principales modifications dans l’architecture et le champ de compétence
 

 ✓ Une CAP ne peut être créée qu’au niveau national ou au niveau déconcentré et il ne peut y avoir deux niveaux de CAP pour un corps donné. À Bercy, les ministres ont finalement  décidé de supprimer l’échelon local dans toutes les directions.

 ✓ Les corps d’une même catégorie relèvent désormais d’une CAP commune. Les CAP propres à un grade ou compétentes pour plusieurs grades sont supprimées.

✓ Les représentants élus du personnel dans une CAP examinent les questions relatives à la situation individuelle des fonctionnaires relevant de la même catégorie, sans distinction de corps et de grade.

✓ Les CAP ne sont plus compétentes pour tout ce qui concerne les mobilités et les promotions


En fait, les CAP seront seulement consultées pour :

– les décisions de licenciement ou de certaines sanctions disciplinaires,

– les refus de formation,

– les litiges d’ordre individuel relatifs aux conditions d’exercice du temps partiel ou du télétravail,

– les refus d’autorisations d’absence pour suivre une action de préparation à un concours administratif ou une action de formation continue,

– les décisions de  refus, par exemple, de mise en disponibilité, de démission etc.

Sans entrer dans le détail de la déclinaison de ces nouvelles dispositions et de la nouvelle cartographie des CAP bientôt mises en place, nous allons bien assister à une révolution dans les compétences et l’organisation de ces instances majeures de dialogue social.


En fait, sur les plus 500 CAP actuellement en place, il n’en subsistera plus qu'une vingtaine en 2023, exclusivement au niveau national, avec environ 90 titulaires pour l’ensemble des directions de Bercy. C’est dire !


À l’évidence, la réduction importante du nombre de représentants du personnel dans ces instances avec la réduction drastique des droits syndicaux en toile de fond marque bien une volonté d’amoindrir le rôle des organisations syndicales dans la défense des agents publics titulaires ou contractuels.


Les nouveaux comités sociaux d’administration (CSA) sont une singulière fusion des instances qui traitaient de l’organisation des services, des conditions de travail, de l’hygiène et de la sécurité.

 

Disparition des CHSCT
 

Désormais compétents sur tous ces sujets, les CSA qui seront mis en place en lieu et place des comités techniques et des CHSCT vont également singulièrement remettre en cause les moyens dégagés aux finances au fil des ans et l’organisation de dialogue inter-directionnel mis en place il y a près de quarante ans et qui avait fait ses preuves. Chacun a  d’ailleurs pu le remarquer lors de la pandémie que nous traversons. Car, au-delà des changements de noms, c’est bien, là aussi, une nouvelle conception qui se développe, avec, notamment :

  • un CSA ministériel, avec 15 élus titulaires ;
  • un CSA dans les directions à réseaux, avec 11 titulaires, comme pour l’administration centrale ;
  • un CSA dans les services déconcentrés des directions à réseaux, les titulaires étant fixés en fonction des effectifs de chacune localement ;
  • des formations spécialisées (FS) en matière de santé, de sécurité et des conditions de travail n’étant obligatoires que pour les seuls CSA dont le seuil des effectifs est supérieur à 200 ou « si des risques professionnels particuliers le justifient », ce  qui pose inévitablement la question de la politique ministérielle dans ces domaines.

Mais  de nombreux problèmes demeurent, dont celui :

– de la place et du rôle des acteurs de prévention dans le nouveau dispositif ;

– de l’articulation entre CSA et formations spécialisées ;

– des dotations budgétaires (tant en termes de niveau que de répartition dans les instances désormais directionnelles) alors que les CHSCT avaient jusqu'à présent une compétence inter-directionnelle ;

– de l’articulation entre le secrétariat général du Ministère, les directions et leurs réseaux locaux ;

– de la formation et des droits octroyés aux représentants dans les formations spécialisées ;

– et de la cartographie des CSA, qui suscite encore interrogations et inquiétudes.

Les organisations syndicales attendent des réponses concrètes sur toutes ces questions.

 

Si l’on ajoute le profond processus de réforme qui se dessine dans le domaine de l’action sociale (souvent citée en référence et déjà abordé dans ces colonnes il y a quelques semaines) à ces éléments, un constat s’impose : c’est une désintégration de plus du dialogue social et des liens sociaux qui existaient… Dans ce contexte, les mots cachent bien évidemment bien des maux. Car, pour plagier une certaine publicité, le dialogue social est avant tout un état d’esprit et « ce ne sont pas ceux qui en parlent le plus qui le pratiquent le mieux ».

 

Il est vrai que, ces dernières années, le mot négociation est devenu quasiment tabou et, parmi les éléments de langage servant de support aux effets d’annonces, on développe les « discussions » avec « les partenaires sociaux », les réunions « d’information », de « concertation », les groupes de travail au sein desquels les intentions ou décisions de réforme du gouvernement qui ne laissent pratiquement aucune place à l’écoute et la prise en considération de l’expression des représentants du personnel concerné sont présentées plus ou moins au pas de course.


Finalement, dans cette approche des choses, les marges de négociation sont quasiment inexistantes, ce qui ne peut évidemment mener qu’à une sérieuse détérioration du climat social d’autant que, au Ministère des Finances, les fonctionnaires des différents services (souvent présentés comme des boucs émissaires) doivent faire face à de profondes réformes (et ce n’est pas fini), tout en participant bien plus que d’autres aux efforts budgétaires exigés.


Moins d’instances à consulter et moins de représentants du personnel pour siéger : tout est en marche pour ouvrir la voie à une accélération des réformes décidées par le gouvernement, sans véritable concertation ni prise en compte des réalités et des propositions de terrain, et mise en œuvre avec un certain entrain à Bercy. Pas sûr que cette démarche ne soit pas lourde de conséquences car nos responsables politiques et directeurs généraux des administrations devraient comprendre que l’on ne peut raisonnablement engager des réformes contre ou sans l’avis des fonctionnaires chargés de les mettre en œuvre et en entretenant un tel climat indéfiniment...

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