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29 / 09 / 2021 | 392 vues
Pascaline Kerhoas / Abonné
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Américanisation de l’encadrement supérieur de la fonction publique

La réforme de l’encadrement supérieur, voulue par Emmanuel Macron vise à transformer la haute fonction publique, dans l’intérêt des cadres supérieurs et des employeurs publics, afin de renforcer la représentativité de la haute fonction publique, le service des missions prioritaires de l’État, et la motivation de ses cadres supérieurs. Selon le gouvernement, elle permettra aux cadres supérieurs de l’État d’être davantage acteurs de leurs carrières, sur la base de leurs aspirations et de leurs compétences, et ainsi de mieux répondre aux besoins des employeurs publics.
 

Pour nous, elle vise surtout à soustraire le personnel de l’encadrement supérieur des règles d’une fonction publique statutaire de carrière. La haute administration va perdre son indépendance vis-à-vis du pouvoir politique et subir l’insécurité de la fonction publique d’emploi. Ainsi, le Président de la République avance vers l’organisation d’une haute fonction publique choisie par le pouvoir politique, à l’instar de ce qui se pratique dans les pays anglo-saxons, notamment aux États-Unis. C’est-à-dire une haute administration au service du politique et plus au service de la nation et des citoyens.
 

L’ordonnance n° 2021-702 portant réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique d’État publiée le 2 juin 2021, pose les principes de la réforme. Elle n’en détaille pas chaque point car bien des sujets (notamment statutaires) sont de niveau réglementaire. L’ordonnance aborde ainsi les points suivants :

  • la définition de l’encadrement supérieur de l’État et de ses viviers ;
  • la création d’une stratégie interministérielle de l’encadrement supérieur, sous la forme de lignes directrices de gestion interministérielles qui incluront des obligations de mobilité et des règles relatives au déroulement de carrière, notamment pour l’accès aux emplois supérieurs ;
  • la systématisation de l’évaluation et de l’accompagnement ;
  • la facilitation des transitions professionnelles ;
  • la création de l’Institut national du service public (INSP) ;
  • des garanties d’indépendance renforcées de niveau législatif pour l’exercice des missions au sein des inspections générales ;
  • et les dispositions spécifiques relatives au recrutement et à la mobilité des membres des juridictions administratives et financières (Conseil d’État, Cour des comptes, tribunaux administratifs et cours administratives d’appel, chambres régionales et territoriales des comptes), dont les règles relèvent de la loi.

 

Notre organisation syndicale s’est prononcée contre ce projet d’ordonnance au Conseil supérieur de la fonction publique,  en raison de la remise en cause de l’indépendance statutaire des fonctionnaires vis-à-vis des pouvoirs politiques.

 

La transformation de la haute fonction publique inclut celle de la formation initiale et continue des cadres supérieurs avec la création de l’Institut national du service public (INSP). Par rapport à État, l’INSP présentera plusieurs différences significatives.

 

Elle proposera un tronc commun aux écoles d’encadrement supérieur afin de donner une culture commune et une culture du travail en commun à tous ceux qui se destinent à servir l’État au plus haut niveau. Dès 2022, les élèves de treize écoles de service public en plus de l’ENA actuelle et cinq écoles d’application de Polytechnique dont les Écoles des Mines suivront ce tronc commun.


Les premiers modules s'articuleront sur cinq thématiques fixées par la Ministre de la transformation et de la fonction publique : transition écologique, transition numérique, rapport à la science, inégalités et pauvreté et valeurs de la République et principes du service public. Il comprendra un volet « terrain » visant à favoriser les interactions entre élèves.

 

En second lieu, l’INSP coordonnera l’élaboration et assurera le suivi des programmes de formation continue des cadres de l’État. Tout au long de leur carrière, tous pourrons les renforcer, approfondir leurs compétences et élaborer un projet de carrière ou une orientation nouvelle. En lien avec les ministères et la délégation interministérielle à l’encadrement supérieur de l’État, l'Institut proposera des programmes de formation individualisés et des programmes spécifiques.

 

À l'instar du concours d'entrée, le principe du classement de sortie ne sera pas remis en cause et demeurera un facteur important dans l’affectation des fonctionnaires stagiaires pour le choix du premier poste mais le classement ne permettra plus l’accès direct aux « grands corps ».

 

À compter de 2023, tous les élèves sortant de l’INSP seront affectés sur des postes « opérationnels » avant de pouvoir rejoindre des postes juridictionnels. Ces postes pourront être dans les services déconcentrés de l’État mais aussi en administration centrale, dans les opérateurs ou encore dans les services de l’État en Europe ou à l’étranger. Le MEFR veut maintenir son recrutement en sortie de l’INSP en défendant le côté opérationnel des postes en administration centrale mais il envisage aussi d’implanter des postes dans les services déconcentrés.

 

Au niveau interministériel, le Ministère de la Transformation et de la Fonction publique a organisé la mise en place de la réforme à plusieurs niveaux :

  • la nomination d’un préfigurateur pour l’INSP et la DIESE : Jean Bassères (inspecteur général des finances et directeur général de Pôle Emploi) a été désigné pour diriger la préfiguration de l’INSP et de la DIESE ;
  • trois ateliers de travail interministériels sont mis en place :
    • construction du corps des administrateurs de l’État,
    • plan stratégique de l’encadrement supérieur et lignes directrices de gestion interministérielles,
    • évaluation et accompagnement.

 

Ces ateliers se sont réunis cet été afin que les textes nécessaires puissent être adoptés avant la fin de l’année. Le MEFR y est représenté par la sous-directrice de ressources humaines de l’administration centrale et la déléguée à l’encadrement supérieur (DES), le chef du service des ressources humaines assurant une coordination globale. Des groupes témoins réunissant des hauts fonctionnaires ont été constitués afin de dresser un état des lieux des attentes et de formuler des propositions sur les parcours de carrière, les viviers de talents et le développement et la promotion des compétences.

 

Cette réforme systémique de l’encadrement supérieur va affecter le MEFR puisque nos services comptent un tiers des administrateurs civils et accueillent 20 % des recrutements de l'ENA.

 

Au niveau ministériel, la Secrétaire générale a instauré quatre groupes de travail :

  • le corps des administrateurs de l’État,
  • la délégation interministérielle à l’encadrement supérieur de l’État,
  • l’Institut national du service public,
  • la gestion de l’encadrement supérieur à Bercy.

 

Par ailleurs, une enquête qualitative a été confiée à un prestataire externe. Son objet est d’identifier les facteurs d’attractivité, de motivation et les attentes des cadres en termes de parcours professionnel et d’accompagnement individuel, à plusieurs moments clefs de leur carrière (sortie d’école, 5/7 ans, 13/15 ans ou 25/30 ans).

La gouvernance repose sur un comité stratégique présidé par la Secrétaire générale réunissant les directeurs, un comité de pilotage auprès du cabinet du ministre et le COPIL « plan managérial ministériel » qui permet d’assurer une information régulière de toutes les directions.

 

Notre fédération s’inquiète de l’articulation interministérielle et ministérielle de cette réforme. Le périmètre constitue également un point d’inquiétude. Du fait de leur emploi, grade ou corps, certains agents font naturellement partie de l’encadrement supérieur mais, au-delà, des agents qui occupent des fonctions d’encadrement seront intégrés. Cette notion mérite d’être définie plus précisément. Le Secrétariat Général souhaite également instituer des filières de métier larges et lisibles pour une meilleure reconnaissance de l’expertise des cadres du MEFR au niveau interministériel.

 

Une inconnue majeure demeure : quelle sera la liste définitive des corps particuliers actuels intégrant le corps unique des administrateurs de l’État ? De la réponse à cette question dépendront par ailleurs les corps intégrés dans la CAP ministérielle des corps de l’encadrement supérieur, prévu dans la perspective des élections professionnelles de fin 2022..

 

Avec cette réforme, il faut garantir un déroulé de carrière attractif et le maintien de promotions internes, malgré un contexte au sein duquel une gestion interministérielle et une contractualisation des emplois de direction se développent. Notre organisation rappelle son attachement à une fonction publique de carrière et la forte culture ministérielle de nos cadres.

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