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29 / 06 / 2021 | 58 vues
Jean Meyronneinc / Abonné
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Le recours des administrations aux cabinets d'expertises privés : que faut-il en penser ?

Le recours aux cabinets d'expertises privés s'est largement développé ces dernières années et, dans le contexte de crise sanitaire, de nombreuses voix critiques ont relancé le débat, y compris sur le coût pour les finances publiques (certains considérant que l'externalisation par l'État sous toutes ses formes représenterait un montant annuel d'environ 160 milliards d'euros), avec en toile de fond les surcoûts et les dérapages qui ont pu être mis en lumière sur certains programmes informatiques, notamment dans certains ministères, en questionnant de surcroît l'efficacité des prestations.

 

Quelles sont les raisons qui sous-tendent ces contestations et font que, plus encore que par le passé, certains considèrent l’externalisation et le recours à l’apport externe dans le secteur public comme un signe de faiblesse, alors qu’ils sont davantage acceptés et banalisés dans d’autres pays européens et font partie intégrante des modes opératoires des grands groupes privés ?

 

  • Sont-elles fondées ?
  • Comment favoriser l’acceptabilité par les organisations publiques de telles prestations lorsqu’elles sont utiles et adaptées aux besoins et assumer qu’il ne soit pas envisageable d’être nécessairement « expert sur tout » ?
  • Existe-t-il des bonnes pratiques dans le recours à l’expertise externe et des conditions de succès pour qu’une véritable fertilisation croisée entre apports externe et interne puisse se développer et que les organisations concernées en tirent le meilleur parti et sans donner matière à contestation ?

 

Autant de questions auxquelles le Cercle de la réforme de l'Étatthink-tank » composé de hauts fonctionnaires et universitaires) a tenté de répondre dans une note qui vient d'être rendue publique, avec pour objectif de plus largement éclairer le débat sur ce sujet et de dégager les pistes d'amélioration souhaitables.

 

Au delà des observations sur l'état des lieux et des pratiques qui ont pu se développer au fil des ans, les auteurs de cette note concluent sur deux questions majeures pour eux.
 

  • Dans quelle mesure l’échec ou l’insatisfaction quant aux résultats des prestations livrées sont-elles dues à la défaillance de l’administration dans le pilotage des conseils externes ?
  • Comment professionnaliser la gestion de la relation entre l’administration et ses fournisseurs et renforcer le poids de cette fonction de maîtrise d’ouvrage ?


Partant, certains prérequis et facteurs clefs de succès leur semblent indispensables, notamment :


1. précisément définir ses attentes et qualifier le besoin d’expertise : préciser et afficher les critères d’évaluation du succès de la prestation afin d’éviter des déconvenues ultérieures et de se laisser imposer des décisions qu’on ne maîtrisera pas ;
2. bien connaître le « marché » et l’écosystème des prestataires externes pour identifier quelles les compétences appropriées pourraient être pour le sujet à traiter ;
3. garder la maîtrise de la relation de service : cela suppose que le commanditaire puisse discuter et valider la méthode d’intervention et des livrables, le budget et le choix du profil des équipes qui interviendront. La qualité de la relation humaine et interpersonnelle est une clef du succès de la démarche et compte au moins autant que la qualité et la rigueur de la méthode proposée. Il importe aussi que, s’il n’est pas le bénéficiaire direct de la prestation, le commanditaire associe ce dernier à l’ensemble du processus de définition des besoins et de sélection du prestataire. Les prestations « imposées par le haut » sans discussion préalable ont toutes les chances de se dérouler dans un climat de défiance avec des conclusions non partagées et ultérieurement peu ou pas appropriées par le « terrain » ;
4. être en mesure de s’organiser en interne pour piloter la prestation et en tirer les bénéfices attendus, ce qui suppose d’y consacrer les ressources nécessaires en quantité et qualité avec une mobilisation à tous les niveaux de l’organisation ;
5. être exigeant sur le devoir de conseil et d’alerte du conseil ou de l’expertise externe : l’apport externe apporte un oeil neuf, une capacité à prendre du recul et à remettre en perspective. L’intervenant externe est aussi un tiers de confiance qui ne doit pas céder à la tentation de la « courtisanerie » et dont on doit pouvoir attendre loyauté et transparence mais aussi exigence, indépendance, absence de concession. Il doit être en mesure de faire passer des messages de vérité et d’alerte et assumer la prise en charge de décisions difficiles lorsque c'est nécessaire ;
6. capitaliser sur les travaux réalisés et lutter contre « l’amnésie organisationnelle » qui consiste à souvent faire refaire le même travail par des consultants différents et ainsi donner le sentiment de redite ou d’inutilité des prestations ;
7. veiller à maintenir un équilibre sur l’offre de prestations intellectuelles externes, en favorisant la coexistence de marchés massifiés et de marchés passés à l’initiative des organisations publiques elles-mêmes. Une simplification des règles de la commande publique pourrait permettre d’alléger les procédures et faciliter la mécanique de passation des marchés spécifiques ;
8. proposer des formations destinées aux cadres de la fonction publique à l’achat de conseil, à la gestion de la relation avec les consultants et au pilotage des prestations externes serait de nature à professionnaliser la relation et permettre de renforcer cette fonction essentielle de maîtrise d’ouvrage. Par exemple, l’UGAP, forte de sa grande expérience en la matière, pourrait être un acteur de cette indispensable montée en compétences ;
9. renforcer la fonction conseil interne au sein des administrations, en créant des cellules ad hoc au sein des ministères ou à des niveaux interministériels avec des fonctionnaires formés pour exercer ces missions. Il s’agit de constituer des cellules de conseil interne avec les méthodes et les pratiques professionnelles propres au conseil. D’une manière ou d’une autre, il faut constituer une capacité de conseil interne, ce qui offrirait la possibilité de répartir les missions selon la nature des sujets à traiter. Ainsi, le recours à du conseil externe serait à privilégier lorsqu’il s’agit de résoudre un problème bien identifié (ex. : réorganisation liée à la mise en œuvre d’une réforme, mise en place d’un instrument de gestion, d’un nouveau mode opératoire…) alors que les sujets plus stratégiques ou à forts enjeux législatifs ou réglementaires pourraient être confiées aux équipes internes ou à des équipes mixtes pour garantir la faisabilité des propositions sans se priver du caractère innovant ou disruptif qui peut être apporté par le regard extérieur. À cet égard, le partenariat entre équipe interne/externe pourrait être un plus pour favoriser cette fertilisation croisée et éviter les formes de concurrence contre-performante entre les deux approches ;
10. instaurer un dispositif neutre permettant l’évaluation a posteriori des apports externes.


Les modalités de mise en œuvre de ce dispositif (acteurs, modes de désignation, champ de l’évaluation, méthodes…) sont à construire, en veillant à ne pas en faire une instance de contrôle supplémentaire. Cela suppose de préalablement définir une méthodologie d’évaluation qui puisse dépasser le cadre strict de l’analyse par les « livrables », seul élément tangible dont les évaluateurs disposent bien souvent et qui n’est pas toujours suffisant pour se prononcer sur les effets et la réussite d’une prestation externe.

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