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31 / 05 / 2021 | 135 vues
Georges De Oliveira / Membre
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Organisation de travail « agile » : vers un bouleversement dans la nature des relations du travail chez les assureurs

Les organisations de travail dites « agiles » se développent de plus en plus dans tous les secteurs d’activité. Celui de l’assurance n’y fait pas exception.
 

La méthode « agile » est un outil de transformation qui ne se limite pas au travail à distance et à la réduction des espaces. Dans des dimensions de temps et de lieu flexibles, il s’agit de combiner les gens, les processus, la connectivité et la technologie pour éliminer toute entrave à la réalisation du travail.

 

D'après ses adeptes, « agile » signifie aussi « être » et « se comporter » autrement car les salariés plus autonomes, libérés des anciens carcans de la relation du travail subordonné et débarrassés des vieux schémas hiérarchiques s’épanouiraient dans une totale transversalité des métiers, des projets et des activités.

 

L’agilité d’une entreprise doit donc être structurelle, opérationnelle et humaine à la fois.

 

Depuis une dizaine d’années, plan après plan et sans débat, les entreprises (surtout les groupes multinationaux) s’engagent dans une organisation du travail qui interpelle directement la nature même du contrat de travail et les modalités de son exécution : lien de subordination, obligations de l’employeur, lieu de travail, temps de travail, salaire, droit du travail et, plus largement, fondement et architecture de l’ensemble de la protection sociale.

 

Dans cette première partie, nous essayerons de cerner les différentes facettes de ces organisations afin d’en décrypter les objectifs ; dans une seconde partie (qui fera l’objet d’un prochain article), nous verrons ensuite à dégager les positions de notre organisation afin de protéger les salariés.

 

Une organisation au visage multiforme mais avec des constantes…

 

Par nature, les entreprises cherchent à réduire les coûts et à faire disparaître toute contrainte réglementaire, législative ou conventionnelle qui ne serait pas élaborée par elles dans le cadre de leurs intérêts. L’organisation « agile », structurelle, opérationnelle et humaine répond à ces objectifs.

 

Les entreprises de l’assurance se restructurent en mode « matriciel » pour créer de la synergie entre leurs entités, leurs métiers, leurs services et leurs lignes commerciales. Cela commence généralement par la mise en place de transversalité entre les ressources humaines, la finance, l’informatique et le marketing. Certaines activités (notamment des services d'assistance et administratifs) sont centralisées sur des plates-formes internes de service partagé, ce qui représente d’importantes économies d’échelle. Ces activités de service commun peuvent être confiées à des entités déjà existantes qui deviennent alors des centres d’excellence.

 

D’un pays à l’autre, il arrive des entités soient mises en concurrence. Certaines entreprises combinent centres d’excellence, outsourcing, off-shoring, near-shoring et sous-traitance pour encore plus d’« agilité » face à la concurrence.

 

Avec la simplification globale de tout ce qui peut l’être (produits, procédures et parcours client), l’industrialisation, l’intelligence artificielle et la virtualisation des postes de travail, l’« agilité » aboutit à une rationalisation extrême des coûts de production : réduction du parc immobilier, accélération des prises de décision, de la création et de la mise sur le marché des nouveaux produits, utilisation du client lui-même par les applications « self-care » etc. Elle permet aussi une exploitation partagée de l’expertise et de la « créativité » des salariés sans limitation fonctionnelle ou géographique, voire réglementaire.

 

En un sens, les entreprises « agiles » abolissent les frontières.

 

D’ailleurs, leur espace numérique global rassemble virtuellement tous les salariés en un même espace de travail interconnecté où sont leurs données personnelles et profils professionnels sont stockés. Humainement, cette collaboration transversale et internationale « responsabilisante », qui détache les salariés de leur collectif de travail de proximité, impose une extrême flexibilité.

Toujours dans un contexte de compétition « méritocratique », les GPEC des assurances affirment clairement que les salariés doivent être « co-constructeurs » de leur employabilité et suffisamment « agiles » pour « naviguer » activement au sein de l’entreprise, à mesure que les métiers changent ou disparaissent au gré des plans stratégiques. Grâce à l’« agile working », l’entreprise économise sur une main-d’œuvre de plus en plus réduite, aussi mobile que polyvalente, poussée à l’« excellence » et à l’auto-pression pour une réalisation parfaite du travail.

 

D’ailleurs, dans cet environnement mouvant et protéiforme, les entreprises « agiles » mettent un arsenal d’objectifs comportementaux en place dont les deux principaux sont « l’adaptation au changement » et l’assimilation d’une « culture unique globale », devenue « ADN ». En effet, pour éliminer toute interférence avec le travail (vie privée, exercice individuel des droits et acquis, résistance morale ou culturelle aux politiques de l’entreprise etc.), les entreprises cherchent à instiller un sentiment d’identification fusionnelle, presque symbiotique avec elles, dans l'esprit des salariés.

 

Idéalement, un salarié « agile » ne se laisse jamais freiner, pas même par ses propres droits (déconnexion, arrêt maladie, temps de repos etc.) ou les limites de son métier (l'« inventivité », l’« innovation » et la « transversalité » sont au programme des évaluations professionnelles).

 

Au cœur de la transformation « agile », quel que soit son niveau de réalisation, toutes les entreprises des assurances confient un rôle pivot aux managers. Tout en restant garants de la productivité et de la ponctualité des salariés, les managers deviennent des coaches. Ils doivent accompagner le changement (qui est perpétuel dans le modèle « agile ») et le faire accepter par les salariés en évitant les mouvements sociaux.

 

Plus que jamais, ils deviennent également co-constructeurs de l’employabilité des salariés face aux mutations présentes et futures des métiers. Pour ce faire, les managers doivent « incarner toutes les politiques de l’entreprise ». Ils sont en première ligne de l’« identification fusionnelle ».

 

L’organisation « agile » répond donc bien à l’objectif central de baisse des coûts et des contraintes. Mais dans le secteur de l’assurance, l’état des lieux est très varié ; tout dépend des besoins ou du degré de préparation au changement de paradigme.

 

De fait, les sociétés du secteur de l’assurance, dans l’esprit de l’« agile working », insistent sur la relation de confiance. Mais elles n’ont pas encore renoncé aux anciennes méthodes (présentéisme, productivité, individualisation, concurrence entre salariés etc.). En revanche, en accord avec le modèle « agile », elles transfèrent toujours plus de « responsabilités » sur les salariés, imposent des objectifs abusifs et développent le travail à distance.

 

La question du lieu de travail, des moyens de l’exécution du contrat de travail et finalement de la nature même du travail se pose donc. En toute logique, le travail à distance qui favorise cette remise en cause de la nature de la relation et du contrat de travail s’insère parfaitement dans la méthode « agile ».

 

Grâce à l’espace de travail virtuel interconnecté et sans limite géographique ou temporelle, les métiers et les entités peuvent s’échanger ou partager la main-d’œuvre et l’expertise présente dans le groupe. Les salariés isolés deviennent individuellement responsables de la réussite des projets globaux, responsables de leur adaptation à tous les changements, responsables de leur employabilité. On le voit déjà, la possibilité d’occasions professionnelles intéressantes, mises en avant par les entreprises, occultent d'innombrables dangers, beaucoup plus réels pour les salariés.

 

De plus, même si cela génère de plus en plus de rejets, le travail à distance se développe de façon exponentielle en surfant notamment sur l’« urgence sanitaire ». En s’appuyant sur le travail à distance généralisé, la méthode « agile » préfigure un changement radical des « relations de travail » et de la « relation au travail » (précarité, dumping social, ubérisation, auto-entreprenariat etc.).

 

Conclusion partielle

 

L’« agilité » est une suppression des contraintes pour l’entreprise qui doit pouvoir rapidement s’adapter aux mutations économiques, sociétales et juridiques. Au sein des groupes, faire tomber les frontières entre les entités opérationnelles ou entre les directions et les métiers est une façon de se donner une extrême agilité dans l’exploitation des compétences. Mais les entreprises des branches se heurtent encore à des obstacles qui les ralentissent.

D’abord, leurs propres contradictions entraînent : des résistances. En effet, tout en cherchant la synergie et le travail collaboratif, elles maintiennent le modèle de la mise en concurrence et de la compétition entre les uns et les autres. Ensuite, pour le patronat, le droit du travail protège encore trop les salariés pour permettre une totale souplesse. Plus largement, les législations nationales sont vécues comme des contraintes.

 

Mais la méthode « agile » n’est sans doute pas encore complètement écrite, les entreprises la façonnent au fur et à mesure et comme elle est un outil de transformation perpétuel en fonction des besoins, elle est elle-même transformable et malléable.

 

Dans leur globalité, les transformations « agiles » sont potentiellement dangereuses pour les salariés mais également pour l’ensemble des garanties collectives. Les syndicats doivent rapidement s’y intéresser.

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