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25 / 01 / 2021 | 864 vues
Bruno Deprez / Membre
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Plus d'un million d'agents sous contrats : contractualisation ou précarisation de la fonction publique ?

En 2020, la fonction publique comptait plus d’un million d’agents sous contrat, soit environ 22 % de ses effectifs. Ce nombre resté stable entre 2011 et 2015 est en constante augmentation dans les trois versants de la fonction publique, depuis déjà quatre ans. Pendant cette période, le volume de travail des contractuels a même davantage augmenté que leurs effectifs, ce qui témoigne de l’allongement de leur temps de travail

 

Alors les contractuels sont-ils l’avenir de la fonction publique ?

 

En tout cas, un récent rapport de la Cour des comptes le prétend mais ses préconisations ont des motivations essentiellement budgétaires.

 

En effet, les agents contractuels ont cette qualité (du moins pour un gestionnaire) d’être nettement moins bien payés que les fonctionnaires, à l’exception de ceux occupant les emplois de direction. Sur des métiers en tension ou des postes très qualifiés (tels qu’informaticiens ou médecins), la tendance peut même s’inverser. Mais une étude de l’INSEE publiée en juillet 2020 donne des précisions levant toute ambiguïté sur le sujet. On y apprend notamment qu’en 2018, les contractuels (hors emplois aidés et dans les trois catégories A, B et C), touchaient en moyenne et en équivalent temps plein, dans la fonction publique de l’État (FPE) 2 139 euros nets par mois, soit 605 euros de moins que les titulaires pendant la même période.

 

Si le salaire net moyen des contractuels diminue plus modérément que celui des titulaires durant la trop longue période de modération salariale que la fonction publique traverse, c’est uniquement en raison de la baisse du nombre de contrats aidés qui sont en moyenne moins rémunérés que les autres non-fonctionnaires.

 

La Cour s’oppose également à toutes les « rigidités » qui pourraient être mises en place dans la gestion des contractuels, regrettant la multiplication des contrats à durée indéterminée (CDI) et proposant une négociation collective propre aux contractuels, à l’image des conventions collectives du secteur privé.

 

En résumé, ce que préconise la plus haute juridiction financière est le recrutement d’agents sous contrats, si possible à durée déterminée, moins bien payés que les titulaires et sans la protection indispensable que constitue le statut. Il s’agit donc de précariser l’emploi dans la fonction publique.

 

Précariser l'emploi dans la fonction publique

 

En 1987, un rapport rédigé par Joseph Wresinski au nom du CESE définissait la précarité comme : « [...] l’absence d’une ou plusieurs des sécurités permettant aux gens et aux familles d’assumer leurs responsabilités élémentaires et de jouir de leurs droits fondamentaux. L’insécurité qui en résulte peut être plus ou moins étendue et avoir des conséquences plus ou moins graves et définitives ».

 

Ce n’est évidemment pas la Cour des comptes mais le gouvernement qui a initié cette course à la précarisation et à la destruction du statut et les motivations sont encore davantage idéologiques que budgétaires. Ainsi, à la veille du comité interministériel de transformation publique, le 28 octobre 2018, le Ministre de l’Action publique Gérald Darmanin avait annoncé et assumé une « généralisation du contrat ». C’est donc bien aussi une volonté de principe et dogmatique de briser le statut pour ouvrir un nouveau champ au marché du travail : la fonction publique. Cette précarisation de la fonction publique n’est pas récente. Mais elle vise à s’amplifier du fait de la mise en œuvre de textes qui étendent très largement les possibilités de recrutement de contractuels par l’employeur public, dans la continuité d’un mouvement entamé il y a plus de vingt ans.

 

Un peu d'histoire...

 

  • La loi 83-634 du 13 juillet 1983, dite « loi Le Pors »

 

Rappelons d’abord qu’un emploi permanent, dans la fonction publique correspond à une activité normale et habituelle de l’administration. La loi dite Le Pors posait le principe de l’occupation des emplois civils permanents par des fonctionnaires mais autorisait déjà le recrutement dérogatoire d’agents sous contrats.

 

Le recours aux contractuels pour répondre à un besoin permanent s’effectuait dans deux cas précis :

1°) lorsqu’il n’existait pas de corps de fonctionnaires susceptible d’assurer les fonctions correspondantes ;

2°) lorsque la nature des fonctions ou les besoins du service le justifiait mais uniquement pour les emplois relevant de la catégorie A.

 

Ces recrutements, d’une durée maximale de trois années, renouvelables dans la limite de six années pouvaient être reconduits en CDI, à l’issue de cette période.

 

  • La loi 2012-347 du 12 mars 2012 dite « loi Sauvader »

 

La loi dite Sauvadet devait faciliter la titularisation des agents contractuels dans la fonction publique en dérogeant au principe du recrutement de fonctionnaires par voie de concours. Le plan « Sauvadet » des concours dits réservés a entraîné la stabilité du nombre de contrats jusqu’en 2015 mais il a pris fin en mars 2018, excepté pour les seuls agents de certains établissements publics et jusqu’au 31 décembre 2020 uniquement.

 

  • La loi de transformation de la fonction publique 2019-828 du 6 août 2019

 

La loi de transformation de la fonction publique (« LTFP ») étend très largement les possibilités de recrutement de contractuels sur emplois permanents. Si le principe d’occupation de ces emplois par les fonctionnaires est maintenu, le champ des dérogations est plus vaste (ouverture aux emplois B et C) et le recrutement d’agents sous contrat est facilité.

 

Officiellement, il s’agit de répondre « aux attentes des employeurs publics pour faire face à l’évolution des métiers de la fonction publique ou aux nouvelles demandes des usagers du service public » ainsi que de faciliter la mobilité des salariés du privé vers le secteur public.

 

Ainsi, le recrutement de contractuels est désormais possible sur des emplois permanents pour toutes les catégories en cas d’absence du titulaire du poste pour différents motifs :
 

  • disponibilité, détachement, congé maladie imputable au service. Il s’agit d’emplois qui ne sont pas réellement vacants et que le titulaire à pour vocation d'occuper de nouveau à l’issue d’une absence de plus ou moins longue durée ;
  • le recrutement d’un agent contractuel est également autorisé lorsque l’emploi concerné ne nécessite pas une formation statutaire donnant lieu à titularisation. Aujourd’hui, près d’un recrutement de fonctionnaires sur trois, toutes catégories confondues, ne donne lieu à aucune formation initiale ;
  • enfin les contractuels peuvent être recrutés pour occuper un emploi permanent, après le constat du caractère infructueux du recrutement de fonctionnaires. Dans les faits, ce caractère infructueux est rempli dès lors qu’une publication sur l’espace numérique commun de publication des postes vacants (www. place-emploi.gouv.fr) n’a pas permis de retenir la candidature d’un fonctionnaire correspond au profil recherché.

 

Pour résumer, des agents contractuels peuvent désormais occuper des emplois permanents de toute catégorie hiérarchique et plus seulement de catégorie A. Ils peuvent également être recrutés lorsque l’emploi ne nécessite pas une formation statutaire donnant lieu à titularisation.

 

Quand la DGFIP passe à la vitesse supérieure

 

Le recrutement de contractuels à la DGFIP a toujours existé mais dans des proportions sans commune mesure avec celles que nous constatons aujourd’hui. Le pourcentage de recrutement de contractuels par rapport à l’ensemble des recrutements annuels s’était limité à 3 % en 2019. Il a atteint 15 % en 2020 et il vise à s’amplifier davantage compte tenu du dispositif qui l’encadre.

 

Le recrutement sous contrat est soumis à une double condition au sein de chaque direction locale :
 

  • d’abord, l'existence de vacances d’emplois, c’est-à-dire d’un effectif réel inférieur au nombre d’emplois inscrits au TAGERFIP ;
  • l’absence de titulaire en attente à l’issue du mouvement précédent pour rejoindre les postes vacants de la direction concernée.

 

Les fiches de poste sont initiées par les directions locales et publiées pour une durée d’un mois par l’administration centrale sur la Place de l’emploi et sur l’APEC (site internet de l’association pour l’emploi des cadres) pour la catégorie A. Aucune publication des offres d’emploi n’est prévue sur les intranets locaux pour informer les collègues alors que les offres sont relayées sur le site de Pôle Emploi par les directions locales.

 

Pour nous, ce dispositif ne permet ni de préserver les intérêts des titulaires, ni de respecter l’obligation de constat de recherche infructueuse de candidat fonctionnaire qu’impose la loi. D’une part l’instauration d’un délai de séjour de deux ans, voire de trois dans certains cas (postes au choix, premières affectations hors promus de C en B par CIS ou LA) entraîne un blocage pour des candidats à la mobilité.

 

Le prétexte de la souplesse

 

D’autre part, du fait de l’existence d’un mouvement général unique, il est incohérent de s’assurer de l’absence de titulaire en attente, uniquement à l’issue du mouvement précédent. La DGFIP revendique une nécessaire souplesse dans le recrutement et des impératifs de continuité du service public mais elle impose à ses agents des règles qui leur interdisent de proposer leur candidature pour répondre à des besoins urgents.

 

Enfin, la publication des offres d’emplois en catimini démontre sans ambiguïté que la préférence au recrutement de fonctionnaires n’est ni recherchée, ni souhaitée.

 

En 2020, la DGFIP a autorisé le recrutement de 270 contractuels sur des emplois permanents à la double condition de vacance d’emploi et d’absence de titulaire en attente selon les modalités présentées plus haut.

 

Le recrutement de contractuels est également possible pour des métiers d’expertise correspondant à « des besoins spécifiques exigeant une expérience ou des compétences particulières, nécessaires à l’exercice des missions ». Dans ce cas, le recrutement peut être autorisé, y compris s’il y a des titulaires en attente, ce qui est inadmissible et que nous dénonçons.

 

Par ailleurs, 120 demandes complémentaires aux 270 recrutements initialement autorisés ont été formulées par les directions locales et ont toutes reçu une suite favorable.

 

Si la loi autorise le recrutement de contractuels sur emplois permanents, c’est pour répondre à un besoin ponctuel et temporaire dans l’attente du recrutement ou de l’arrivée d’un fonctionnaire. La suppression des CAP, de même que le dispositif opaque de recrutement mis en place à la DGFIP ne permettent pas de s’assurer que ces principes sont respectés.

 

À ces autorisations de recrutement, il convient d’ajouter celles dans la sphère informatique au sein des DISI et celles en appui du plan de relance au sein des missions régionales de la politique immobilière de l’État (MRPIE) par le biais de contrats de projet.

 

Nous assistons à une remise en cause sans précédent du statut qui précarise encore davantage l’emploi et le service public. La DGFIP souhaite clairement privatiser voire abandonner des missions de service public.

 

Relocalisations, piège à cons

 

Les « relocalisations de service » et le fiévreux empressement à vouloir créer des plates-formes téléphoniques (31 sont déjà programmées mais d’autres sont prévues à la destination des usagers professionnels), des services d’appui et des pôles de soutien à distance en constituent la démonstration. La répartition et la localisation des contractuels sont en grande partie liées à celles des emplois publics, les contractuels étant davantage présents dans les zones d’emploi rurales et le sont moins dans les zones plus attractives pour les fonctionnaires.

 

Il suffit d’analyser les bassins d’emplois où se situent ces « relocalisations de services » pour comprendre que des motivations toutes autres que celles d’un service public de qualité sont à l’œuvre dans ce projet. Positionner des structures dans des bassins d’emplois sinistrés n’incitera pas les agents et leurs conjoints à suivre leur mission délocalisée mais constituera une opportunité pour le recrutement de contractuels.

 

On se souviendra également du message récent du directeur général sur l’absence de déplacement imposé aux collègues lors de la « relocalisation de leurs services ». Évidemment, le recours aux contractuels, largement facilité dans des quartiers où le taux de chômage est élevé, permettra de compenser l’absence de volontaires et de maintenir la pression qui s’exerce actuellement dans tous les services.

 

Comment expliquer l’absence de publication des offres d’emploi sur l’espace qui y est consacré mais existant néanmoins sur Ulysse ? Comment justifier que les postes à pourvoir ne soient pas proposés au mouvement général ?

 

Agent de la DGFIP, si tes missions et la manière dont tu es déconsidéré ne te conviennent pas, tu pourras toujours réclamer ta prime de départ volontaire ou faire ta demande de rupture conventionnelle. Des contractuels qui coûteront moins cher que toi et seront moins difficiles à maltraiter attendent à Pôle Emploi.

 

Bientôt, au sein d’un même service de la DGFIP et sur des missions régaliennes de l’État, contractuels et titulaires exerceront des fonctions identiques, sans avoir suivi la même formation, sans percevoir la même rémunération et sans bénéficier des mêmes droits ni être soumis aux mêmes obligations.


Dans ces conditions, notre syndicat :

  • réitère sa demande de communication systématique des vacances d’emplois avant chaque mouvement de mutation ;
  • revendique un mouvement de mutation d’initiative locale à chaque fois que des vacances d’emplois sont déclarées ;
  • exige une publication sur Ulysse et l’intranet de la direction locale avant tout appel à recrutement contractuel ;
  • et refuse que les fonctionnaires de la DGFIP, bloqués par la présence d’un seul mouvement national annuel, soient primés par des recrutements contractuels au fil de l’eau.

 

En application de l’article 34 du décret 2011- 184 du 15 février 2011, notre organisation syndicale :

  • exige la consultation systématique et préalable des représentants du personnel lors du recrutement envisagé de contractuels ;
  • et revendique l’accès au statut de fonctionnaire pour les contractuels qui le souhaitent et l’amélioration de leur rémunération et conditions d’emploi.

 

Première organisation syndicale dans la fonction publique de l’État, FO exige l’abrogation pure et simple de la loi de transformation de la fonction publique. Celle-ci détruit toutes les valeurs inscrites dans le statut général, garant de la neutralité du service rendu et de l’égalité des droits des agents et des usagers.

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