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25 / 02 / 2019 | 23 vues
Didier Cozin / Membre
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Compteur personnel de formation (CPF) : une résurrection est-elle possible en 2019 ?

En janvier 2013, pressés de conclure un accord pour « sécuriser l'emploi », les partenaires sociaux ont imaginé, un peu rapidement, un successeur au droit à la formation (DIF), le compte personnel de formation, une trouvaille peu sociale en forme de livret d'épargne de formation, peu utilisé (1 % de taux de réalisation) et guère utile même aux chômeurs.

Le CPF dans le texte de 2013

Le compte personnel de formation présentait trois caractéristiques :
  • il était universel,
  • il était individuel,
  • et il était intégralement transférable : le travailleur gardait le même compte tout au long de sa vie professionnelle, quel que soit son parcours professionnel.

Le CPF répond à une double interprétation (illusion) éducative :

  • faire entrer tous les travailleurs dans un système de flexi-sécurité à la danoise où, en échange d'un contrat de travail moins protecteur (dégradé), le salarié gagnerait de nouveaux droits transférables (le droit à la formation ou le droit à une mutuelle de santé) ;
  • mettre des périodes de chômage à profit pour faire monter en compétences les travailleurs les moins qualifiés (2 millions de salariés sont illettrés, les adultes français étant au 25e rang des compétences dans les pays de l'OCDE).

Le CPF est quasi inutile lors d'un passage au chômage.

Si l'accompagnement et la formation des chômeurs relèvent encore de la solidarité nationale, il est aberrant d'exiger d'un chômeur qu'il possède un CPF pour se former. Par ailleurs, les personnes les moins qualifiées et les plus précaires ne disposent en général d'aucun crédit de CPF ; doit-on pour autant leur refuser le bénéfice d'une formation ?

Le chômage est une maladie sociale et éducative mais quand un patient se présente dans un hôpital, on n'exige pas qu'il dispose d'une certaine ancienneté pour être pris en charge. Pourquoi en serait-il autrement pour un chômeur ?

Le signal donné par le CPF (« j'attends d'être au chômage pour penser à ma formation ») est assez délétère. La formation ne doit ni dépendre du statut ou du capital accumulé sur un livret d'épargne mais des besoins en compétences du travailleurs (besoins qui ne peuvent attendre le cumul de points de formation, comme on attend ses points de fidélité au supermarché).

Avec la loi de mars 2014, le CPF était devenu un exercice solitaire.

  • Les employeurs étaient évincés de la formation (ils payent 0,2 % de la masse salariale et, de ce seul fait, estiment acceptable d'externaliser le développement des compétences et ses exigences (compteurs de formation, administration et financements) vers des tiers (CDC et OPCA).
  • Les salariés étaient seuls (abandonnés) à la commande sur un site internet (ubuesque) concocté sans aucun cahier des charges par la Caisse des dépôts. 
  • Chaque salarié était dès lors soumis à une hypercomplexité : censé devenir à la fois gestionnaire administratif et ingénieur de formation afin de comprendre puis de dépasser les arcanes réglementaires, financiers et administratifs du CPF.

Les résultats du CPF dans les entreprises ont été à la hauteur de l'intelligence sociale qui a concouru à son invention : un échec paritaire et social.

Dans un rapport de l'IGAS daté de mai 2017, on apprend que :

  • moins de 1 % des salariés se sont formés avec leur CPF ;
  • qu'aucune entreprise (ou presque) n'a conclu d'accord pour internaliser le CPF ou le gérer (moins de 100 entreprises sur tout le territoire) ;
  • que les formations réalisées par les salariés sont courtes pour la plupart et concentrées sur 3 ou 4 certifications (anglais, informatique...) ;
  • que les salariés sont restés attachés à ce qu'ils connaissaient depuis dix ans, le DIF et qu'ils n'avaient pas compris la logique qui avait prévalu à la disparition de leur droit à la formation.

Le CPF tient, aujourd'hui encore, plus dees mécanismes de la retraite (du salarié) ou du livret d'épargne (de précaution) que d'une dynamique éducative :

  • le CPF n'est pas un dispositif qui dynamise les salariés ou la formation (apprendre, c'est changer et bouger) mais plutôt un nouvel avatar social, à mi-chemin entre les droits à l'ancienneté (j'attends dix ans pour avoir mes heures) et le livret d'épargne (je garde mes heures au cas où...),
  • les employeurs se sont évidemment massivement désinvestis du développement des compétences (externalisé vers Pôle Emploi ou l'OPCA).

Face à l'affaissement de l'effort de formation (et de l'apprentissage) du pays, les pouvoirs publics ont concocté (sans les partenaires sociaux) une réponse bien insuffisante en 2018 :

  • le CPF est monétisé (les heures deviennent des euros de formation) ;
  • chaque salarié est doté d'un capital virtuel de 500 € de formation (en réalité, 33 millions de bénéficiaires vont se partager 900 millions de cotisation de CPF chaque année, soit 27 € par personne) ;
  • les entreprises (de plus de 50 salariés) sont sommées de former tous leurs salariés sur six ans (2014-2020) sous peine d'une sanction financière ("abondement correctif") de 3 000 € par salarié dont le parcours professionnel n'aurait pas été géré (3 entretiens professionnels + une formation non obligatoire).

La réforme de 2018 n'aborde pourtant aucun des questions éducatives majeures qui font s'alarmer les spécialistes

1) L'école et le système public d'éducation (facs) peuvent-ils fonctionner sans impliquer ni concerner les entreprises et le monde du travail (le travail réel, pas fantasmé) ?

2) Le temps nécessaire pour la formation des travailleurs (au moins 150 h par an) peut-il être absorbé par le temps travaillé (au risque d'encore réduire notre compétitivité) ?

3) Les montants engagés dans notre formation sont-ils suffisants et pouvons-nous consacrer deux fois moins à notre formation professionnelle que les grands pays industriels ?

4) La TVA sur la formation peut-elle rester au niveau stratosphérique de 20 % alors qu'on prétend inciter les travailleurs à financer leur formation ?

Panne de compétences = panne de compétitivité

La France éducative est en panne et sans prise de conscience généralisée ou choc majeur (le choc PIAAC ?), nous serons condamnés au déclassement dans une économie mondialisée et globalisée où chacun doit prendre sa place dans la grande chaîne de valeur du travail et de la production de biens et de services.

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