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22 / 05 / 2018 | 18 vues
Denis Garnier / Membre
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Pour un service territorial de prévention de la santé au travail

La prévention des risques professionnels, de la santé au travail doit résolument s’orienter vers les travailleurs. Cette affirmation paraît comme une lapalissade mais, à y regarder de plus près, nous sommes peut-être loin du compte.

La prévention de la santé au travail répond à un triple objectif : préserver la santé des gens, améliorer les performances de l’activité et réduire les dépenses de santé. Si la prévention de la santé au travail semble à peu près cadrée dans les grandes entreprises qui sont dotées d’un service de santé au travail, ailleurs, c’est beaucoup moins évident et, pour certains travailleurs, c’est inexistant.

Les travailleurs indépendants et les chômeurs doivent-ils rester en dehors de toute action de prévention de leur santé au travail ?

Pour rendre la prévention de la santé plus efficiente, plus efficace et plus universelle, il faut l’organiser là où elle l’est le moins, c'est-à-dire en direction des :
  • 9,5 millions de salariés présents dans les entreprises de moins de 1 000 salariés, (TPE+PME+55 % des ETI, chiffres INSEE),
  • 4,6 millions de travailleurs indépendants (anciens affiliés RSI),
  • 3 millions de fonctionnaires, (estimation pour les administrations qui n’ont pas de service de santé au travail en interne),
  • 3,5 millions de chômeurs.
Pour améliorer ou pour répondre aux besoins de prévention de ces 20,6 millions de personnes, la réflexion mérite un détour.

Enfin, la prévention de la santé au travail a connu des évolutions importantes ces dernières années. Elle est passée de la « médecine du travail, animée par des médecins du travail » à la « santé au travail, animée par une équipe pluridisciplinaire ». Parallèlement, le CHSCT se voit dilué dans une instance tout venant, des intervenants en prévention des risques professionnels sont créés et les CARSAT et autres organismes tentent d’apporter leur concours sans que tout ceci ne soit articulé dans un dispositif bien cohérent.

Les paragraphes suivants bousculent les habitudes pour une (r)évolution juridique, budgétaire et méthodologique et pour une refondation du système de prévention des risques professionnels par un dispositif qui organise et coordonne les différents acteurs dans les différents secteurs.

La prévention est avant tout l’affaire du travailleur mais pas seulement...

Nous pouvons préalablement admettre que la prévention est un bouclier entre le danger et le travailleur. Lorsque les deux peuvent se rencontrer, c’est un risque. La prévention s’exerce donc au plus près du travailleur. Mais ce dernier, la tête dans le guidon, qu’il soit salarié, fonctionnaire ou indépendant, manque parfois de temps ou de connaissance pour assurer lui-même sa propre sécurité. Dans un premier temps, il convient de réparer ce manque de temps et de connaissances qui dépend à la fois de l’organisation du travail et de la formation initiale et continue du travailleur.

Bien entendu, cela ne suffira pas car les risques professionnels sont multifactoriels et, seul, l’on ne peut se protéger de tout. Il faut donc entourer la sécurité du travail et la santé du travailleur de compétences complémentaires. Rappelons que la protection de la santé physique et mentale reste une obligation pour l’employeur. Par ailleurs, c’est du bon sens pour le travailleur solitaire.

Observer pour mieux prévenir

Comme l’indique l’adage bien connu, « mieux vaut prévenir que guérir ». Ce dernier concerne aussi le monde du travail. Mais pour bien prévenir, il faut bien observer. Comme il est difficile de se regarder travailler, il faut organiser l’observation. Toujours au plus près du travail, ce seront, là ou ils sont présents, les représentants des travailleurs ou les Intervenants en prévention des risques professionnels (IPRP) qui serviront de sentinelles et de lanceurs d’alerte sur les risques du travail. D’où l’importance, là ou c’est possible, de donner tous les moyens à ces derniers pour qu’ils jouent pleinement ce rôle d’interface entre les travailleurs, la réalité du risque et les obligations de l’employeur.

Là ou cette interface n’existe pas, ce seront le plus souvent des acteurs extérieurs à l’entreprise qui procèderont à cette observation. Soit par la direction du travail, par le contrôle du respect des obligations légales, soit par le service de santé au travail, à travers les entretiens avec le salarié et les visites des postes de travail, soit par les CARSAT, le plus souvent à la demande de l’employeur ou encore, par le recours à des intervenants divers, variés et experts en tout genre.

Au minimum, après l’intervention de ces multiples et différents acteurs, chaque poste de travail devrait s’illustrer dans une page du document unique (pour le document utile ce sera plus tard). En 2018, il y a encore des progrès à réaliser.

Une prévention universalisée

Dans les très petites entreprises (TPE), là ou il n’y a pas de représentant du personnel et d’IPRP, les obligations de l’employeur restent entières mais les premiers moyens à sa disposition pour y répondre, se trouvent de facto, en dehors de l’entreprise. C’est donc de l’extérieur qu’il faut organiser la prévention des risques professionnels dans ce secteur et peut-être l’étendre à d’autres. Oui, l’étendre à toutes les entreprises et administrations qui n’ont pas leur propre service de santé au travail, l’étendre aux travailleurs indépendants, l’étendre enfin aux travailleurs sans emploi et peut-être même aux anciens travailleurs qui font l’objet d’un suivi post-professionnel. C’est donc dans ce cadre universel que la prévention de la santé au travail devrait se poser.

Le service de santé au travail interentreprise en première ligne

C’est ici que l’on retrouve le service de santé au travail interentreprises, animé par une équipe pluridisciplinaire. Il reçoit les informations sur l’état de santé des travailleurs mais aussi sur les risques qu’ils encourent. De ce point de vu, la visite avec le médecin du travail (ou l’infirmière de santé au travail) reste essentielle. Des visites trop espacées ne permettent pas une observation correcte des risques et, surtout, retarde la mise en œuvre d’une prévention nécessaire.

La relation entre le service de santé au travail, les travailleurs et leur employeur doit se réaliser dans un climat de saine confiance pour être efficace. Or, il faut le reconnaître, cette relation est trop souvent vécue par l’employeur comme une contrainte tatillonne et sans effet. Les intervenants externes à l’entreprise sont quasiment tous assimilés à des inspecteurs du travail qui viendraient contrôler le respect des obligations de l’employeur. Or, il convient aussi de rappeler que le médecin du travail est le conseiller des salariés et de leurs représentants mais aussi des employeurs. Le service de santé au travail qu’il anime est donc un allié incontournable pour aider l’employeur à respecter ses obligations en matière de santé et de sécurité au travail et, par conséquent, d’améliorer les conditions de travail des travailleurs.

Il faut donc intensément communiquer sur le rôle et les missions du service de santé au travail et expliquer combien la santé-sécurité au travail est un élément essentiel des performances de l’entreprise. Sans cette prise de conscience, la prévention restera aux portes de l’entreprise ou du service. Travailleurs, employeurs, équipe pluridisciplinaire de santé au travail et prévention doivent se transformer en un cocktail de bon sens.

Mais, là encore, la complexité de certains risques mérite l’expertise de compétences complémentaires qui ne sont pas forcément présentes, soit dans l’entreprise, soit dans le service de santé au travail. Il faut donc organiser les réponses dans un cadre plus large.

Pour un service territorial de prévention de la santé au travail (STPST)

Nous venons d’observer que les acteurs de la prévention sont essentiellement les travailleurs, leurs représentants et le service de santé au travail, sans oublier les IPRP qui peuvent agir en interne ou au sein des services de santé au travail.

Comme nous venons de le voir, pour les TPE et tous les autres travailleurs plus ou moins isolés, ainsi que dans toutes les entreprises et administrations qui ne sont pas dotées de service de santé au travail en interne, l’aide extérieure est incontournable pour s’enquérir de compétences adaptées. Comme précisé dans le constat ci-dessus, cela concerne environ 20,6 millions de travailleurs.

On ne peut pas traiter tous les risques à la fois et tout décider d’en haut pour plus de 20 millions de travailleurs. C’est pourquoi il convient d’adapter une réponse portant à la fois sur la nature de la prévention et sur le nombre de travailleurs concernés.

Le service de santé au travail interentreprises, son équipe pluridisciplinaire et le service social du travail sont organisés par le code du travail. C’est une base commune qui s’applique sur tout le territoire national, indépendamment des risques rencontrés. Ainsi, quel que soit le secteur d’activité, tous les travailleurs doivent bénéficier de cette base commune : un médecin du travail, un assistant en santé au travail, une infirmière en santé au travail, un intervenant en prévention des risques professionnel et un conseiller du travail. À ces compétences peuvent s’ajouter celles d’autres professionnels en fonction de la nature des risques, comme par exemple, des ergonomes et des psychologues du travail. Leur nombre sera déterminé par rapport au nombre de travailleurs suivis sur le territoire. Effectivement, pour réaliser une cohérence d’ensemble, il convient de ne plus raisonner en termes d’entreprise, d’établissement, d’administration ou de secteur d’activité mais en termes de territoire et de périmètre géographique donné.

Si des risques particuliers existent (amiante, chimiques etc.), le recours à des experts au niveau départemental ou régional voire national pourra répondre aux différentes sollicitations du STPST. Ce réseau de compétences doit être organisé comme peut-l’être un parcours de soin de la santé publique. Il n’est pas nécessaire d’avoir un spécialiste du risque chimique sur tout le territoire mais il est indispensable de savoir ou il se situe et dans quel délai il peut intervenir.

Les entreprises qui ne sont pas dotées d’un service de santé au travail bénéficieront de cette double compétence : santé au travail et prévention des risques professionnels.

Les entreprises qui ont leur propre service de santé au travail pourront s’appuyer sur le STPT pour la validation du plan d’action de prévention négocié dans l’entreprise avec le CHSCT ou la CSST. La prévention doit s’inviter dans l’entreprise car il faut éviter qu’elle ne dépende uniquement de la bonne volonté de l’employeur.

Territoire de santé au travail

Des missions au service des travailleurs et des entreprises

Dans les entreprises citées (notamment dans les TPE ou les petits services de l’administration), les employeurs n’ont ni le temps ni les compétences pour instruire une prévention des risques professionnels avec efficacité. Ce service territorial de prévention de la santé au travail (SPST) aura pour compétence générale et directe non seulement le suivi individuel du travailleur mais aussi l’organisation de la prévention de la santé au travail sur un territoire donné.

Du suivi médical des travailleurs aux visites des lieux de travail, de l’aide à la rédaction du document unique à la rédaction d’un plan d’actions de prévention planifié et chiffré, le STPST se placera au service de tous les employeurs, des travailleurs et de leurs représentants. Il pourra même procéder à la recherche de financement des actions auprès des différents fonds qui existent pour cela.

Les pouvoirs publics et les employeurs doivent impulser

Aujourd’hui, nous savons que l’efficacité de la prévention des risques professionnels (c'est-à-dire la réduction des accidents de travail et des maladies professionnelles, la réduction de l’absentéisme pour raison de santé) dépend essentiellement de l’employeur. Oui, le bien-être et l’efficacité au travail ont fait l’objet d’un brillant rapport en février 2010 qui confirme cela. Il reste d’actualité pour le secteur privé ainsi que pour le secteur public.

Si les employeurs publics confirment leur volonté de placer la prévention au premier rang des préoccupations en matière de santé, (stratégie nationale de santé publique, plan de santé au travail n° 3 et plan d’actions pluriannuel dans la fonction publique), alors c’est ensemble qu’ils doivent construire un réseau de prévention cohérent.

Comme le recommande la première proposition de ce rapport sur le bien-être et l’efficacité au travail, « l’implication de la direction générale et de son conseil d’administration est indispensable : l’évaluation des performances doit intégrer le facteur humain et donc la santé des salariés ».

Il en va de même pour l’État et ses pouvoirs publics.

Là où l’employeur impulse la santé au travail, les résultats sont bons. Là où l’employeur considère la prévention comme une perte de temps et d’argent, les résultats sont mauvais.

Pour améliorer les choses il faut partir d’un principe simple. Là où les employeurs s’investissent, il n’y a pas besoin de nouvelles règles pour améliorer la situation mais, s’il y a de nouvelles règles, ils en feront bon usage. Là où l’employeur est récalcitrant, il faut trouver les moyens de le convaincre de mieux faire. Les moyens sont connus : la pédagogie puis la contrainte. Cette règle s’applique à presque tous les domaines de la prévention (tabac, alcool, respect du code de la route etc.). En quelque sorte, c’est à l’employeur de choisir la méthode et à l’État de faire respecter la loi.

En attendant ce jour...

La prévention de la santé au travail doit de placer à la disposition de tous les employeurs et de tous les travailleurs. Un service territorial de la prévention de la santé au travail dans tous les bassins d’emplois est une réponse adéquate pour améliorer les réponses dans un ensemble cohérent, donc plus efficace.

Pour le financer, n’est-il pas souhaitable de transformer la cotisation de la médecine du travail en une contribution généralisée pour financer un fonds de prévention ? N’est-il pas souhaitable de mutualiser des compétences au niveau départemental, régional et national ?

Bien d’autres aspects de cette (r)évolution souhaitable sont à développer. L’essentiel est de fixer un cap et un objectif et de se réunir pour dessiner les chemins qui permettront de l’atteindre.

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