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30 / 11 / 2017 | 34 vues
Max Masse / Membre
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Fonction publique d'État : la DGAFP installe la QVT sous la forme d’une chaîne logistique juridique

« Ce n'est pas parce que les choses sont difficiles que nous n'osons pas mais parce que nous n'osons pas qu'elles sont difficiles » - Sénèque

Pour organiser, accompagner, mesurer etc. les transformations du travail en amont, la DGAFP vient de créer en aval les conditions de transformations de ce travail via un cadre réglementaire à la fois structuré et souple. Au risque du paradoxe, on pourrait parler d’ergonomie juridique de l’activité prescrite.

Amélioration des conditions de travail, prévention des risques et promotion de la qualité de vie au travail (QVT) constituent depuis 2009 les fondements d’un dialogue social dynamique et renouvelé dans la fonction publique française et ont favorisé l’émergence d’une nouvelle catégorie sociale de l’action publique « la santé et sécurité au travail ».

Le projet d’accord-cadre QVT de 2015 n’a pas été signé mais la QVT a continué, en quelque sorte, de poursuivre son chemin au sein de la DGAFP et avec l’aide de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT) pour donner lieu en 2016 et 2017 à une réorganisation structurelle de la Direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP).

Un processus sans précédent

Sans présumer des contraintes, résistances et difficultés opérationnelles, on peut ainsi considérer que les transformations du travail réel (au niveau nano) issues des réorganisations intégratives de la santé et de la sécurité au travail au plus près des décisions sur le terrain (au niveau micro) peuvent dépendre de transformations transversales, partagées et singulières des ministères (au niveau méso) qui sont elles-mêmes dépendantes de reconfigurations structurelles de l’administration générale (au niveau macro).

Un processus décisionnel et organisationnel est lancé aujourd’hui, notamment dans la fonction publique d'État. Je fais l’hypothèse qu’il va affecter les départements ministériels et leurs services déconcentrés dont les actions rétroagiront sur les actions lancées par la DGAFP et permettront d’autres avancées en termes d’organisation, de méthodes et d’outillage.

Ce qui veut dire qu’en transformant son propre système organisationnel, la DGAFP donne aux départements ministériels des perspectives de développement, de décloisonnement et d'éventuelles expérimentations en matière de SST via l’approche QVT.

Sans entrer dans le détail dans ces quelques lignes l’anticipation juridique du projet QVT (contre légistique) a donné l’occasion d’une ingénierie de conception comme opportunité de développement et d’optimisation des activités.

Cette ingénierie de déploiement crée un « système de ressources », elle modifie le système sociotechnique, projette des situations futures probables accommodées et accommodantes et offre ainsi un « environnement capacitant » et une offre de développement aux parties prenantes selon le modèle d’une chaîne logistique réglementaire.

Une « supply chain » juridique

Une chaîne logistique (« supply chain ») concerne la gestion d’un ensemble de maillons : ressources, moyens, méthodes, outils et techniques destinés à piloter le plus efficacement possible une chaîne globale d'approvisionnement et de livraison d'un produit ou d’un service jusqu'au consommateur final afin de réduire au plus bas les délais de livraison, les stocks et donc les coûts.

La QVT « s’installe » dans la fonction publique d'État sous la forme d’une chaîne logistique juridique.Elle concerne également la gestion de l'ensemble du réseau qui permet la livraison de produits ou de services depuis les matières premières jusqu'aux clients finaux, en passant par les flux d'informations, de distribution physique ainsi que les transactions financières. C’est-à-dire que la chaîne logistique désigne l'ensemble des maillons de la logistique d'approvisionnement : achats, gestion des stocks, manutention, stockage, distribution, livraison etc., que ce soit la gestion des flux circulant dans l'entreprise et/ou entre l'entreprise et son environnement (planification, achats, approvisionnement, livraison, fabrication, stockage, transport, manutention, information, transactions financières...).

Ce réseau regroupe donc des organisations se trouvant en amont et en aval du processus productif. Elles partagent un objectif commun, celui de s'engager dans un processus de création de valeur représenté par le produit ou le service livré au consommateur. Pour atteindre cet objectif, une gestion de la chaîne logistique peut, par exemple, automatiser des commandes via le système d’information de l’entreprise, avoir ainsi une traçabilité des produits et remonter jusqu’aux fournisseurs de chaque élément constituant le produit fini proposé à la vente au consommateur.

Logique système sur l’ensemble d’un processus de production, efficacité, communication et interactions descendantes et remontantes, prise en compte des environnements interne et externe, création de valeur, nous allons voir que la QVT « s’installe » dans la fonction publique d’État sous la forme d’une chaîne logistique juridique.

Et concrètement

Plus particulièrement pour ce qui nous intéresse, l’article 2. (7°) du décret de réorganisation de la DGAFP prévoit qu’elle élabore les règles relatives à la SST ainsi qu’à la prévention des risques professionnels et à l’amélioration des conditions de travail dans la fonction publique et veille à leur mise en œuvre ; elle définit les orientations en faveur du renforcement de la qualité de vie au travail des agents publics. Afin de mettre en adéquation ses nouvelles missions et le fonctionnement de ses services, un bureau de l’organisation, des conditions et du temps de travail a été créé au sein de la sous-direction des politiques sociales et de la qualité de vie au travail. Le regroupement en un seul bureau de thématiques préalablement « dispersées » : organisation du travail, durée du travail, SST et QVT illustre, d’une part, la volonté d’une approche globale et quasi systémique de ces questions par la DGAFP et, d’autre part, les bénéfices tirés de la convention et des travaux subséquents avec l’ANACT.

Pour le ministère de la Justice, à un premier niveau, le service des ressources humaines comprend une sous-direction des statuts, du dialogue social et de la QVT. Le service RH définit la politique ministérielle en matière de santé et de sécurité au travail, de prévention des risques professionnels et d’amélioration des conditions de travail et en promeut la mise en œuvre par les directions, services et établissements publics du ministère. Il promeut les actions en faveur de la qualité de vie au travail et de la modernisation des pratiques professionnelles. À un second niveau, le bureau de la gestion des emplois et des carrières de la direction des services judiciaires recueille auprès des chefs de cour les besoins en matière de ressources humaines et d’amélioration des conditions de travail des magistrats et des juges élus ou désignés en liaison avec le bureau des statuts et des relations sociales de la sous-direction des ressources humaines des greffes, chargé de décliner, pour les services judiciaires, le plan d’action ministériel d’amélioration des conditions de travail et de prévention des risques psycho-sociaux. Plus concrètement, un poste de coordonnateur QVT a été proposé le 28 juin 2017 à la commission administrative paritaire des attachés du ministère de la Justice.

Pour les ministères économique et financier, la sous-direction de la gestion des ressources humaines de l’administration centrale comprend le bureau du conseil, de l’innovation et de l’animation qui favorise le développement d’une gestion qualitative des ressources humaines s’appuyant sur des pratiques et des outils innovants. Il coordonne le traitement des questions relatives à la formation professionnelle, à l’organisation du travail et à la qualité de vie au travail du personnel en fonction à l’administration centrale. Il produit des données de synthèse sur la fonction « ressources humaines » en administration centrale.

Élaboration d’une politique, menée et mise en œuvre, plan de prévention et plan d’action, production de données, gestion qualitative, les services ressources humaines au niveau national s’organisent et se placent dans la continuité de l’action globale engagée par la DGAFP.

Dans un contexte mouvant et hétérogène du fait des réorganisations des activités, c’est une dynamique « en système » qui tend à se déployer au global (DGAFP et ministères, niveau macro) mais avec des relais sur le territoire (plates-formes RH et plates-formes interrégionales justice, au niveau méso).

Du point de vue de la méthode

La diversité des parties prenantes, la complexité des interactions, la multiplicité des contextes historiques, culturels, sociaux, socioprofessionnels, budgétaires et organisationnels incitent à la prudence, voire à la modestie.

Paradoxalement, c’est par les expériences concrètes que les mutations du travail, des relations de travail et du dialogue social peuvent advenir. Ceci engage une rupture culturelle significative. Il ne s’agit plus de déployer un programme universel et tout terrain mais d’engager des démarches empiriques parce qu'ancrées sur le terrain, spéculatives parce que construites sur des hypothèses et énonciations valides et validées temporairement.

Dans la démarche inductive, la construction des débats, des espaces de discussion, de la négociation s’effectue dans le cadre d’un contexte singulier. Les questionnements, les méthodes et les grilles d’analyse sont « inventés » et façonnés par l’avancement du projet. Il s’agit au final de socio-construire et de socio-produire un relevé de conclusion, une analyse et un accord qui donne une cohérence à cette démarche faite de tâtonnements, d’incertitudes, de doutes, d’essais et d’erreurs.

Chercher à comprendre les demandes et les besoins plutôt que de trouver des réponses pour proposer des solutions « toutes faites » ou des reproductions « catalogue » constitue un axe fondateur de la méthode ; le réel du travail nous résiste, ne lui résistons pas, habitons les projets et construisons-les dans et par le travail.

La route est tracée.

Le projet d’accord-cadre QVT-FP fixait, pour les trois versants de la fonction publique, les grands principes et axes d’actions relatifs à l’amélioration de la QVT et il aurait dû être décliné par chaque employeur, au vu des spécificités de l’organisation du travail des agents en son sein. Chaque niveau de mise en œuvre aurait été chargé d’adapter l’accord-cadre QVT aux spécificités de son domaine d’activité, à partir des principes généraux qui y figurent.

Afin de définir des actions concrètes, co-construites avec les organisations syndicales et les agents (dont les agents en position d’encadrement), mesurables, suivies dans le temps et adaptées aux organisations, chaque versant devait négocier au niveau approprié les mesures à mettre en œuvre pour son application.

Les mesures définies auraient eu ainsi pour vocation, dans un cadre négocié avec les organisations syndicales, de faire l’objet d’une déclinaison, dans chaque département ministériel, au niveau central et déconcentré, dans chaque établissement public de l’État, dans les collectivités territoriales et leurs établissements publics, ainsi que dans les établissements relevant de la fonction publique hospitalière, afin de préciser le contenu de l’accord et de lui donner toute sa portée concrète au plus près du terrain.

Pourquoi ce qui n’a pas pu être réalisé de façon programmatique et descendante ne pourrait pas engagé au cas par cas en fonction de telles ou telles bonnes volontés locales ?

L’amélioration des conditions de travail et la santé au travail ont démontré leur pouvoir mobilisateur au niveau national et transversal pour aboutir à des accords de la qualité. On peut faire l’hypothèse que c’est l’objet partagé visé par la négociation qui a facilité les relations dans cette négociation et les résultats de cette négociation. Pourquoi n’en serait-il pas de même pour la QVT au niveau local ?

Une dynamique territoriale à inventer

Dans la chaîne logistique du travail, le service public est à la fois le produit (au sens de bien matériel et immatériel), la production elle-même et le résultat attendu.

Dans ce sens, la recherche de la QVT promet quelques pistes innovantes si l’on considère que l’amélioration de la fabrication d’une bougie ne permet pas de concevoir une ampoule. Dit autrement, on passe de la communication par signaux de fumée à celle via téléphone portable. Dans ce cas, tout est éventuellement à remettre en cause par l’ensemble des parties prenantes.

Le projet d’accord-cadre QVT n’a pas été signé et je l’ai regretté, considérant que les arguments à charge des non-signataires constituaient justement les motifs de la signature de cet accord pour prolonger les effets de ceux de 2009 et 2013 et pour amplifier les actions, dynamiser le dialogue social et fournir des nouveaux droits aux agents.

Le pouvoir politique et administratif a pris la suite. Il a appris des négociations précédentes. Il a édicté des principes et des règles fondées sur l’esprit de ce projet d’accord et comme pour les comités techniques et les CHSCT, un principe de subsidiarité est à l’œuvre. Maintenant la dynamique du système dépend de :

  • la mobilisation des services déconcentrés par les départements ministériels ;
  • l’appropriation des parties prenantes locales ;
  • la mise en œuvre d’actions locales menées à partir du travail réel des agents pour donner sens et vie à cette politique et à ce droit ;
  • le recueil, la capitalisation et la remontée des données de terrain.
Dans la chaîne logistique du travail, le service public est à la fois le produit (au sens de bien matériel et immatériel), la production elle-même et le résultat attendu. Dans le contexte de réforme permanente de l’organisation administrative et territoriale d’État, le travail des agents est touché au quotidien depuis dix ans. La qualité du travail contre qualité de vie au travail représente donc un enjeu majeur pour la qualité du service public rendu aux usagers.

Intermédiaires entre le système descendant et les parties prenantes locales (administrations, fournisseurs, agents et usagers), les conseillers en organisation du travail des plates-formes régionales d’appui interministériel à la gestion des ressources humaines, d’une part, et le réseau ANACT-ARACT, d’autre part, constituent des relais essentiels.

Cette rencontre constitue un réel choc de culture : on attend des premiers des réponses rapides sur le travail et la démarche des seconds consistent à prendre le temps de comprendre les questions dans et par le travail. Ici encore, entre attentes de prestations de services « clefs en main » et transférables ad libitum et approches collaboratives co-construites au cas par cas et au cœur des activités et des incertitudes du travail en train de se faire, l’incompréhension peut naître.

Il reste donc maintenant aux parties prenantes des niveaux régional et départemental à prendre le relai pour et avec les agents.

Associer activités réelles et QVT procure des évolutions réformatrices potentielles. Ainsi, une chance est donnée au travail de se transformer dans la fonction publique.

Pour aller plus loin
- Décret n° 2016-1804 du 22 décembre 2016, relatif à la DGAFP et à la politique de ressources humaines dans la fonction publique.
- Arrêté du 16 mars 2017, relatif à l’organisation de la DGAFP.
- Circulaire du 28 mars 2017, relative au plan d’action pluriannuel pour une meilleure prise en compte de la santé et de la sécurité au travail dans la fonction publique.
- Circulaire du Premier Ministre n° 5917/SG-du 16 mars 2017, relative à la stratégie interministérielle RH de l’État pour 2017-2019.
- Arrêté du 25 avril 2017, relatif à l’organisation du secrétariat général et des directions du ministère de la Justice et arrêté du 3 mai 2017 portant modification de l’arrêté du 1er décembre 2014 fixant l’organisation en bureaux de la direction des services judiciaires.
- Arrêté du 3 novembre 2017 modifiant l’arrêté du 30 avril 2010 portant organisation du secrétariat général des ministères économique et financier.

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