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20 / 11 / 2017 | 9 vues
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Travail et santé au travail : perspectives pluridisciplinaires et internationales

À l’occasion de son 4ème colloque international (21 et 22 septembre 2017, CNAM-INETOP), le GESTES (Groupe d’études sur le travail et la santé au travail) a souhaité mettre à l’honneur les recherches menées par les membres de son conseil scientifique et la jeune recherche sur le travail et la santé au travail que le réseau promeut.

L’occasion pour Katia Kostulski, psychologue au Centre de recherche sur le travail et le développement (CRTD-CNAM), de co-introduire ces deux jours d’échanges en affirmant le soutien que le laboratoire entendait continuer d’apporter au GESTES dans sa nouvelle configuration. Le financement n’est plus assuré par le Conseil régional d’Île-de-France mais par les établissements d’enseignement et de recherche dans le cadre d’un groupement d’intérêt scientifique (GIS). La structure est désormais hébergée par le CNRS à la Maison des Sciences de l’Homme Paris-Nord. Pour Arnaud Mias, professeur de sociologie à l’Université Paris-Dauphine et co-directeur du GIS GESTES, qui co-introduisait le colloque, « le GESTES prend une dimension nationale avec de nouvelles universités et de nouveaux laboratoires qui nous rejoignent ». Ces deux jours ont illustré à quel point étaient nombreux les ponts entre les disciplines et les approches dès lors que l’on se penchait sur le travail.

Travail informel : approche comparée entre pays développés et en développement

Françoise Carré, spécialiste en relations industrielles à l’Université du Massachusetts à Boston et membre du conseil scientifique du GESTES, s’est employée à inviter les participants à changer de perspectives sur la vaste question du changement des emplois sous le prisme de l’emploi informel et de son évolution comparée entre les pays dits développés et ceux en développement. « Il y a une définition statistique internationale du travail informel qui renvoie à une approche juridique. L’approche sera en revanche fiscale pour analyser le travail non déclaré ou associée aux conditions de travail dès lors que l’on se penche sur la notion de travail précaire ».

Françoise Carré, spécialiste en relations industrielles à l’Université du Massachusetts à Boston et membre du conseil scientifique du GESTES

Les micro-entrepreneurs individuels des pays en développement ont toujours été très nombreux mais le changement tient au fait qu’ils sont moins autonomes par rapport à des donneurs d’ordres qui se sont structurés. « Il y a beaucoup à apprendre de l’auto-emploi dans les pays pauvres, notamment sur la façon de se structurer en revendiquant par exemple des droits à la protection sociale ». Dans les pays développés, le travail informel qui rime aussi avec une limitation de l’accès à la protection sociale se développe alors que les entreprises prennent de plus en plus leur aise par rapport à un cadre réglementaire protecteur pour les salariés : salaire minimum, heures de travail, classifications… Le glissement vers le travail non salarié est à l’œuvre. Il peut recouvrir des fraudes et des stratégies d’évitement qui seront d’autant plus faciles à mettre en place que le cadre réglementaire n’existe pas. Le travail associé aux plates-formes d’intermédiation ne doit pas, selon Françoise Carré, être considéré comme une catégorie à part. Le changement était déjà à l’œuvre bien avant que l’on ne consacre le terme d’uberisation. « Les grandes entreprises sont au cœur de la fragmentation du travail ».

L’objectivité numérique n’existe pas

L’éclairage sur le contrat de travail proposé par Thomas Pasquier, juriste à l'Université Lumière Lyon 2, prend alors tout son sens à l’heure des « nouveaux modes de captation de la valeur et de domestication de la main d’œuvre ». Cette « décentralisation productive » a de quoi chambouler les schémas sur fond « d’objets numériques » qui induiraient le cadre interprétatif du droit avec le contrat de travail en guise de « bonne à tout faire ». L’entreprise n’est plus forcément un lieu de production mais aussi un lieu d’évaluation et de coordination. Si « rien n’est joué » au regard de la diversité des décisions de justice sur le caractère salarié ou indépendant de l’activité des chauffeurs Uber par exemple, le juriste rappelle que « le droit est allergique aux prises de décision fondées sur les seuls nombres ». Un chiffre doit être discuté, l’objectivité numérique n’existe pas. Licencier un salarié sur la seule base des évaluations des clients serait sans cause réelle et sérieuse. Le contrat de travail est bousculé.

Une qualité de l’emploi qui prend mal en compte la santé mentale

Depuis dix ans, l’office de la statistique allemande publie une étude sur la qualité de l’emploi. La 4ème édition vient tout juste d’être publiée. La baisse du nombre de personnes couvertes par une convention collective est à suivre. Cette mesure de la qualité de l’emploi fait, comme le travail informel, l’objet d’une normalisation internationale depuis vingt ans. Elle met en perspective les conditions du travail, le dialogue social et la protection sociale au travers de pas moins de 67 indicateurs. Selon Thomas Koerner, statisticien à l’office fédéral de la statistique allemand, « il faut éviter les jugements de valeurs entre le bon et mauvais travail. Il ne s’agit pas non plus de mesurer la satisfaction au travail ou encore le caractère décent de celui-ci ». Et celui-ci de reconnaître les limites d’un concept qui ne prend pas ou mal en compte la santé mentale. Avec 3 000 répondants, l’Allemagne représente le plus gros échantillon de la 6ème enquête européenne sur les conditions de vie menée par Eurofound (Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail ainsi que la qualité des emplois) en 2015. Au total, l’enquête porte sur 43 850 répondants. « Elle illustre en quoi les bénéfices de la qualité de vie au travail vont au-delà des seules personnes qui travaillent à l’heure où l’intensification n’a jamais été aussi forte », souligne Agnès Parent-Thirion, directrice de la section « enquêtes et tendances » chez Eurofound.

Agnès Parent-Thirion, directrice de la section « enquêtes et tendances » chez Eurofound et membre du conseil scientifique du GESTES

À noter que 1 % des répondants ne savent pas s’ils sont indépendants ou salariés et 16 % pensent qu’ils vont perdre leur travail dans les six mois. La France figure avec la Grèce et l’Espagne parmi les trois pays de l’Europe des 15 où les conditions de travail se sont le plus dégradées entre 1995 et 2015. De quoi créer des tensions sociales.

Le poids des sources organisationnelles

Alain-Max Guénette, professeur en gestion des RH à la Haute École de Gestion de Neuchâtel (Suisse) et chercheur associé au CGS, Mines ParisTech qui adopte une posture d’enseignant et combattant plutôt que de chercheur « plaide d’abord pour une sorte de « permis de conduire organisationnel » car bien des cadres et dirigeant(e)s en savent peu sur le fonctionnement organisationnel et cela ne manque pas d’entraîner force souffrance chez les travailleurs soumis à des tensions et des contradictions trop fortes. Cela d’autant plus que l’immaturité des apprentis managers est souvent cultivée ou entretenue dans les écoles de management. » Et l’enseignant de fustiger la tendance à la psychologisation dans le management en critiquant des études « officielles » postulant que l’organisation ne rend personne malade et que les maladies psychiques se développent avant l’entrée dans le monde du travail, l’enjeu étant donc pour les entreprises de prendre en charge ces malades, en collaboration directe avec leurs médecins traitants ! « Ce type d’approches n’est pas acceptable. Le management a des difficultés à prendre en compte la santé au travail autrement que comme un luxe.

Claire Edey-Gamassou, co-directrice du GESTES et maître de conférences à l’Université Paris-Est Créteil Val-de-Marne, ne pouvait que conclure cette première journée en invitant à regarder Corporate, le film de Nicolas Silhol sorti en avril dernier, qui illustre la façon dont certains managers se conforment à des rôles indépendamment de leur dimension humaine.

Retrouvez les morceaux choisis de la première partie de la journée du 22 septembre qui a mis à l’honneur les recherches menées les doctorants sur un travail réel qui révèle les conflits de rôles et le gaspillage de compétences et sur les biais d'une prévention des risques professionnels vidée des dimensions d'aliénation et de domination du travail sans oublier la conclusion sur la notion d'exterritorialité juridique.

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