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12 / 12 / 2016 | 35 vues
Denis Courtieu / Membre
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Réseaux sociaux et organisations syndicales : nouvelles pratiques, nouveaux enjeux

Il n’est pas courant d’observer une organisation syndicale disputer progressivement la place de la direction en termes de communication d’entreprise. C’est pourtant ce qui semble se dessiner chez Accenture à travers ce « tract numérique » comme le (dé-)considère peut-être cette même direction ; tract alliant à la fois un exposé classique de revendications et un ensemble riche d’actualités sur l’entreprise, le secteur…

C’est certainement l'un de ces nombreux signaux faibles annonçant de nouveaux modes d’échanges (donc de rapports de force) entre IRP et direction et cela a notamment fait l’objet d’un débat nourri lors d’une récente réunion-atelier organisée par Miroir Social.

Trop de chartes tuent la charte

Face à un nouvel espace d’expression, la tentation est grande d’appliquer bien des garde-fous comme la très classique charte internet de bonnes conduites, le rappel classique à la loi et autres normes imposées ou négociées : une véritable « sanctuarisation ».                        

Ce qui n’empêche aucunement hélas les dérapages sexistes, racistes ou homophobes ou plus simplement les faux pas, comme celui de cette responsable RH ayant propagé les données personnelles de milliers de salariés d’Orange.

Parfois, partant d’une bonne intention, le texte appliqué se révèle insuffisant. Ainsi, l’accord d’accompagnement de la transformation numérique signé dernièrement chez Orange reste vague sur le traitement des données collectées.                                                        

De quoi inciter à basculer vers un espace d’échanges hors entreprise. Ce qui ne règle pas pour autant cette délicate question, comme le montre le réquisitoire de la CNIL contre Facebook (1).

À l’opposé, la direction d’Accenture ne s’est pas manifestée devant l’éclosion d’un écosystème constitué de blogs créés par des salariés. Lequel écosystème a rapidement été adopté par les organisations syndicales prenant leur distance avec un intranet syndical peu interactif de type « 1.0 ». Une telle« situation d’usage » s’est finalement imposée pour le moment.

Autocensure, sœur de la défiance

Sans doute par crainte d’être remarqués par leur hiérarchie, les salariés sans mandat protecteur interviennent peu sur les réseaux internes allant jusqu’à privilégier un groupe de discussion comme Facebook à l’outil mis en place par l’entreprise. Ainsi chez Orange, une application interne « Plazza » presque vide contre 8 000 « orangiens » inscrits au groupe fermé « TuSaisQueTuBossesChezOrangeQuand ».

Sans surprise, la consultation est plus fréquente que l’abonnement et certains abonnements le sont parce que le N+1 est aussi abonné.

Se pose indirectement et invariablement la question de la constitution de la liste des adresses électroniques d’envoi à partir du LDAP et de sa « granularité », c’est-à-dire le degré de finesse des informations : identité, fonction, département, responsable hiérarchique, handicap ou non, statut familial etc. En effet, tout marketing efficace, marketing syndical inclus désormais, passe par un ciblage des plus fins.                             

Des informations NAO concernent tout le monde (souvent la pointe annuelle de fréquentation des plates-formes syndicales), une brève sur la dernière modification de la retraite des cadres maison beaucoup moins.

Il est à noter que pour s’inscrire sur le groupe Facebook Orange (par nature privé) une adresse professionnelle est nécessaire, celle-ci étant authentifiée à partir de l’annuaire de l’entreprise pour valider la procédure. Pourtant, la vague de défiance se traduit de plus en plus par des abonnements à partir d’adresses électroniques privées. Cela témoigne bien de cet entre-deux : j’appartiens à l’entreprise mais je préfère en parler plus ou moins ouvertement à côté. Nous sommes bien loin de l’« employee advocacy ».

Une direction part parfois en guerre contre ce qu’elle appelle du spam, à savoir les envois massifs de courriels syndicaux. Les organisations syndicales d’Orange ont mis au point un « reverse engineering » impliquant un tiers certificateur permettant de démontrer que le destinataire a bien « opté in » c’est-à-dire accepté la réception. Cependant, la décision d’« opter out » n’entraîne pas forcément une suppression du fichier syndical suite aux obligations de transparence imposées aux organisations syndicales, notamment en matière de ressources financières tirées de cotisations et donc d’adhésions (2).

Enfin, comme le révèle malicieusement l'un des intervenants : « Il y a quelques années, ma  DRH m’avait affirmé que je ne pouvais utiliser l'e-mail de l’entreprise pour mes activités syndicales parce que c’était un outil professionnel. Je lui ai répondu que mon activité de délégué syndical, ce n’était pas un loisir », sous-entendu c’est un véritable engagement  professionnel, de plus constitutionnellement protégé (3).

Notes
(1) Données personnelles : le virulent réquisitoire de la CNIL contre Facebook.
(2) Article D2135-9 Code du travail : « (…) Est pris en compte pour le calcul des ressources mentionnées au premier alinéa le montant des subventions, des produits de toute nature liés à l’activité courante, des produits financiers ainsi que des cotisations... ».
(3) Article 6 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 : « Tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l’action syndicale et adhérer au syndicat de son choix ».

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