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16 / 08 / 2016 | 15 vues
Alain Coheur / Membre
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L’économie du partage n’est pas l’économie sociale

Le Comité économique et social européen vient d’approuver un avis sur le thème de « l’économie du partage et l’autorégulation », faisant suite à une demande de la présidence néerlandaise, et il s’est efforcé de donner les caractéristiques de l’économie du partage :
  • cette pratique n’aboutit pas à conférer la propriété, ni la copropriété sur les biens concernés mais débouche sur une communauté d’usage ou d’utilisation ;
  • elle s’effectue par l’intermédiaire d’une plate-forme qui, notamment par des moyens électroniques, met en contact plusieurs acteurs disposant de biens ou de services d'une part et une pluralité d’utilisateurs d'autre part ;
  • elle poursuit un objectif commun d’une meilleure utilisation, grâce à leur partage, des biens ou des services concernés ;
  • les acteurs finaux de ces transactions d’une nature triangulaire complexe sont au premier chef des « pairs » (« de pair à pair » ou « P2P ») et n'ont jamais recours à des relations contractuelles d’entreprises à consommateurs (« B2C »).
L’économie du partage s’inspire de divers courants de pensée, qui vont du libre accès, universel et gratuit, à la connaissance jusqu’à l’économie de la fonctionnalité ou l’économie du don, axée sur des échanges dont le profit est absent.

À la différence de l’économie de troc pur, celle du partage repose sur une notion de contrepartie, monétaire ou non.

Cette caractérisation du phénomène, qui s’appuie sur une conception relativement consensuelle, ouvre la possibilité de définir un modèle pour ce type de relations économiques et d’opérer la distinction entre les activités qui relèvent bel et bien de l’économie du partage et doivent bénéficier d’un régime spécial et celles qui, au contraire, utilisent cette dénomination de manière indue, dans le seul but de se soustraire à une réglementation, qu’il convient de leur appliquer et dont l’actualité fournit un exemple avec le cas d’Uber.

Il est incontestable que ces dernières années et, précisément, par ces temps de crise et en réaction à la conjoncture, le nombre d’initiatives d’économie partagée n’a cessé de croître.

Des estimations dont la Commission européenne a fait usage montrent qu’en 2013, les activités qui se rangent dans la catégorie de l’« économie du partage » ont représenté, au niveau mondial, un chiffre d’affaire ayant atteint 3,5 milliards de dollars, affichant une croissance annuelle de 25 %.

Aujourd’hui, on en serait désormais à 20 milliards de dollars. Les prévisions effectuées par le bureau d’étude PwC tablent sur une croissance nettement plus forte d’ici 2025 (1).

En plus de générer de la valeur économique, l’économie du partage constitue, dans sa dimension sociale et environnementale, un facteur qui resserre les liens de solidarité entre les citoyens, revitalise l’économie locale, crée de l’emploi, rationalise la consommation des ménages, par la mutualisation de l’utilisation de certains biens, réduit l’empreinte énergétique et favorise une consommation plus responsable et durable.

Le CESE estime que ce type d’économie « représente une innovation qui consiste à compléter l’économie de la production par une économie de l’utilisation, source d’avantages économiques, sociaux et environnementaux » et que, de plus, il «offre une solution à la crise économique et financière » (2).

Deux exemples pour éclairer ce propos
  • Dans le secteur de l’hébergement, on relève en particulier Airbnb, Rentalia, Homeaway, Couchsurfing et Bedycasa, qui sont des plates-formes sur lesquelles le propriétaire d’un bien immobilier s’inscrit afin de proposer de mettre à disposition soit l’une de ses chambres, soit le logement en totalité, tout en permettant que des auberges, petites structures hôtelières ou autres logis touristiques y affichent eux aussi leurs offres.
  • Dans le domaine du transport, on peut citer Blablacar, Umcoche, Liftshare ou Karzoo, soit des applications sur lesquelles peuvent s’inscrire les propriétaires de véhicules particuliers désireux de mettre à disposition les sièges libres de leurs voitures lors de leurs déplacements (covoiturage).
Certaines d’entre elles autorisent un partage des frais de transport mais aucune ne permet de percevoir des paiements à des fins lucratives.

Il restait cependant à savoir si l’économie du partage ressort de la sphère de l’économie sociale ?

Comme souvent, l’effort de conceptualisation ne suit pas une trajectoire linéaire, il demande du temps pour se consolider et dégager un consensus. Tel est également le cas en ce qui concerne le concept d’« économie partagée », qui apparaît dans les médias sociaux aux côtés d’autres, comme l’« économie sociale » ou « solidaire », l’« économie fonctionnelle », l’économie circulaire, l’économie collaborative…

Parmi les multiples définitions qui ont été formulées, l'une semble recueillir une large adhésion, celle de Botsman et Rogers qui définit l’économie partagée comme « un système économique fondé sur le partage direct entre particuliers, gratuitement ou contre rémunération, de biens ou de services sous-utilisés », par le truchement de plates-formes en ligne, bien qu’il serait possible de mieux assister la prise de décision politique et de rendre la régulation plus adéquate si l’on établissait des distinctions analytiques plus précises quant au contenu de la notion de « partage »,en l’occurrence son caractère « non lucratif », ainsi qu’aux éléments qui sont fondés sur la plate-forme concernée.

Cette définition offre la possibilité d’opérer la distinction avec des modèles économiques qui, s’avançant sous le couvert de l’économie partagée, recouvrent en fait des activités qui ont une finalité exclusivement lucrative mais elle offre également la possibilité d’exclure du champ de l’économie du partage certains types d’activités comme par exemples : les mutuelles, les coopératives, l’entrepreneuriat social, l’économie de la fonctionnalité et l’économie circulaire.

Pour terminer, le CESE n’hésite pas à presser la Commission afin de mettre en œuvre une série de mesures de nature politique, indispensables pour qu’au niveau de l’UE et dans chaque État membre, l’économie partagée, sous ses multiples formes et modalités, soit soutenue et appliquée, qu’elle gagne en crédibilité et suscite davantage la confiance.

Il convient notamment d’assurer l’application des droits des travailleurs et des rémunérations correctes, une imposition adéquate, la protection des données et de la vie privée des parties prenantes, les droits sociaux, une concurrence loyale et la lutte contre les monopoles et les pratiques anticoncurrentielles, la responsabilité des plates-formes vis-à-vis des transactions conclues entre leurs intervenants et de la légalité de leurs offres et, surtout, la protection des droits des consommateurs, notamment pour ses dispositions concernant les clauses abusives, les pratiques commerciales déloyales, la santé et la sécurité et le commerce.

1) http://www.cpcp.be/medias/pdfs/publications/economie_collaborative.pdf.

2) Journal Officiel, C 177 du 11 juin 2014, p. 1.
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