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22 / 01 / 2015 | 2 vues
Jean-Claude Delgenes / Membre
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Coup de torchon magistral sur les CHSCT - acte III

Les négociations sur le « big bang du dialogue social » reprennent jeudi 22 janvier. Certains points cruciaux ne sont pas définis et plusieurs équations sont loin d’être résolues. Le MEDEF a mis dans ses premières propositions un certain nombre d’épouvantails dont il organise intelligemment le retrait. C’est toute la subtilité de la négociation pour conduire ses partenaires à récipience.

La suppression du CHSCT, seul but de guerre du MEDEF

Concernant la négociation d’accords d’entreprise, le MEDEF avait la prétention de mettre en concurrence le conseil d’entreprise, cette nouvelle instance unique qu’il appelle de ses vœux, avec  les organisations syndicales. Il va bien entendu l’abandonner. Par ailleurs, le négociateur patronal, pour éviter l’enlisement, commence à lâcher du lest en bilatéral sur le quantum de représentation des futurs membres de l’instance unique.

  • On est toutefois encore très loin du compte puisque près de 100 000 élus dans 26 000 CHSCT plus les délégués du personnel vont perdre leur mandat si cet accord trouve des partenaires pour le signer.

Si l'on veut rester à l’équilibre de la situation antérieure, il faudrait au contraire massivement rehausser le nombre de représentants des salariés dans cette instance unique.

  • Dans l’état actuel de la proposition du MEDEF, on passerait (chez Renault par exemple) d’un représentant pour 50 salariés à un représentant pour 100.

D’autres reculades sur des revendications iconoclastes sont bien sûr programmées pour la séance de jeudi. En effet, pour le camp patronal, l’objectif central et majeur de cette négociation reste la suppression des CHSCT, ces lieux d’un contrepoids véritable au sein de l’entreprise. Pour y aboutir, il est disposé à bien d’autres sacrifices.

Signer : un pari difficile à assumer

En revanche, les éventuels signataires syndicaux (ceux que l’on appelle les « réformistes ») prennent le risque d’un accord qui rompt avec trente ans d’histoire du CHSCT. Ici, la partie semble beaucoup plus ardue.

  • C’est sur le terrain qu’ils devront assumer ce net recul des droits lorsque sera connue par les représentants du personnel, les médecins du travail, les préventeurs des CARSAT et les inspections du travail, les sacrifices consentis. Car appelons un chat un chat : il s’agit bien d’un recul historique des droits des salariés dans leur représentation. Il leur reviendra aussi de s’expliquer devant leur base syndicale qui, la plupart du temps, n’a pas été consultée et reste encore très peu informée. Elle va peu à peu découvrir l’ampleur des bouleversements consentis non sans quelque amertume…


Dans un second temps, les organisations syndicales signataires devront accompagner les changements sur le terrain. Nul doute que la partie sera redoutable tant il existe un réel attachement aux CHSCT de la part des élus. En témoigne le nombre de signatures de la pétition www.urgence-chsct.fr mise en ligne pour préserver l’instance, qui a décolé en quelques heures. En effet, chaque élu sait pertinemment que cette instance spécialisée favorise la mise en débat du travail et permet le point d’équilibre au sein des collectifs professionnels. C’est d’ailleurs la raison des efforts du patronat à la faire disparaître : c’est le dernier lieu de pouvoir des représentants du personnel.

Sans que l’on sache encore les quantifier, les effets sur la représentativité à venir seront massifs.

Sans que l’on sache encore les quantifier, les effets sur la représentativité à venir seront massifs. La CFE-CGC, par exemple, s’est beaucoup impliquée en matière de santé et de sécurité ces dernières années. Elle est donc celle qui a le plus à perdre dans la liquidation de son important réseau de secrétaires de CSHCT qui font un travail de terrain essentiel à la fois dans la banque, la métallurgie, la chimie, les métiers du conseil et des services et d’autres filières comme l’agroalimentaire. Par ailleurs, depuis le début des années 2000, la CFE-CGC avec ses équipes de médecins du travail a joué un rôle fondamental dans la défense de la santé des techniciens et des cadres en s’appuyant sur les CHSCT. Pourra-t-elle demain combler les conséquences de cette révolution en gagnant des « parts de marché » dans la syndicalisation ? Pourra-t-elle trouver la voie d’un renouveau en prenant le chemin des petites entreprises ? Rien n’est moins sûr et le pari de sa signature (si elle devait aboutir) est hasardeux sur ce plan-là.

TPE, le roi est nu

En effet, les potentiels signataires syndicaux mettent en avant « l’extension universelle des droits » dans les très petites entreprises pour justifier l’abandon des CHSCT dans les plus grandes. Cela serait d’ailleurs l’un des seuls gains obtenus dans la négociation avec le patronat. En particulier, l’extension des possibilités de médiation des conflits dans les TPE par la création de commissions régionales interprofessionnelles appelées à faire du conseil auprès des PME. On comprendra que l’exercice ne sera pas facile pour répondre aux besoins des salariés des TPE dans les 13 régions élargies.

Pourtant, cette avancée ne sera effective qu’à une condition mais elle est de taille. Que cette extension soit obligatoire et que le MEDEF garantisse pour cela un nouveau droit non subordonné au bon vouloir de l’employeur. C’est ce droit que méritent les salariés des TPE concernés. En réalité, le MEDEF ne semble pas vouloir céder sur ce point. Il refuse que les 20 nouveaux permanents syndicaux de la future commission qui officieront dans les super-régions aient un droit d’ingérence dans le fonctionnement des TPE et puisse se rendre dans les entreprises. Mais si ce nouveau droit n’est pas garanti, alors le roi est nu. Les signataires n’auront rien à présenter en contrepartie de l’abandon d’une instance de prévention (CHSCT) dont tous les rapports soulignent l’efficacité réelle. Faut-il rappeler que plus de 80 % des accidents mortels ont lieu dans des entreprises où il n’y a pas de CHSCT ?

Vers un désert de prévention ?

Une autre équation n’est pas apparue encore de manière aigue dans les négociations : celle du périmètre actuel des CHSCT dans le futur accord.

Un comité d’établissement de 300 salaries peut par exemple regrouper trois usines de cent salariés chacune. Dans chaque usine, il y a actuellement un CHSCT qui est une instance de prévention de terrain en proximité des salariés. Demain, avec l’instauration du conseil d’entreprise, le nombre des instances de prévention (peu importe leur nom) va se réduire comme peau de chagrin. Les estimations situent à environ 10 000 le nombre de CHSCT de proximité qui vont passer à la trappe. Si l'on ajoute à ce siphonage la réduction drastique du nombre de représentants du personnel, un désert va s’ouvrir en matière de régulation sociale et de représentation des salariés. Les représentants du personnel « survivants de cette lessiveuse » auront tant à faire qu’ils établiront des priorités entre les œuvres sociales, la gestion économique et la prévention des risques. De fait, ils vont devenir des apparatchiks et se couperont de la masse des salaries.  

À terme, comme tous les spécialistes en santé le prévoient, la montée des tensions pourrait se traduire par une poussée de l’absentéisme, du présentéisme et bien entendu la fulgurance des risques psychosociaux. En absence de traitement, les égratignures deviendront gangrène... Les effets négatifs pour les salariés et les employeurs sont donc inestimables tant sur le plan financier que sur le plan humain. Écrivant cela, certains penseront peut-être qu’il y a là une exagération, un grossissement du trait. Hélas, rien de tel. Quand un salarié va mal et que la période est propice à ce mal-être, il a besoin de parler de ses problèmes, de trouver un appui, une écoute. La proximité des membres du CHSCT voire des délégués du personnel favorise le traitement préventif et la prise en charge des alertes. Si la parole fait défaut, si le soutien disparaît, si l’échange s’atrophie que restera-t-il si ce n’est l’isolement et la somatisation ? À terme, Pierre Gattaz par son intransigeance à fossoyer le CHSCT ne rend pas service à l’immense majorité des entreprises qui demain subiront les conséquences néfastes de cette rétraction du filet de prévention que représentent les CHSCT, seul endroit où l'on pouvait encore discuter du travail à égalité de dignité dans l’entreprise. À terme, les coûts de cette « simplification qui conduit au monologue social » seront très élevés en termes de qualité de vie au travail.     

Les frais juridiques, une question essentielle et que les négociateurs doivent traiter

Autre équation non résolue, celle de la commission HSSCT qui verrait le jour au sein du conseil d’entreprise dans les entreprises de plus de 300 salariés. Quand la bronca des opposants s’est manifestée, les thuriféraires de la réforme ont garanti que tous les droits antérieurs des CSHCT seraient maintenus au sein du conseil d’entreprise. Soit. Voyons ce qu’il en est dans les faits car ces derniers sont têtus.

Si l'on recherche la continuité des droits, cette commission doit pouvoir être dotée de la personnalité morale comme le demande Carole Couvert, présidente de la CFE-CGC. Indépendante, cette commission doit pouvoir délibérer et rendre des avis sur le segment qui est le sien, à savoir l’hygiène, la santé, la sécurité et les conditions de travail. Elle doit pouvoir se pourvoir en justice et bénéficier de la prise en charge de ses frais de justice quand la contestation provient de l’employeur.

Ce dernier point est central et il convient de s’y attarder quelques instants en repartant des réalités du monde du travail car les chefs d’entreprise, comme disait Michel Audiard, ne sont pas tous des enfants de chœur.

L’histoire que je livre en tout anonymat est réelle. Elle n’est hélas pas unique. Chaque préventeur pourrait en raconter de similaires.

  • Un groupe de maisons de retraite et de soins hospitaliers décide de procéder à d'importants travaux d’aménagement de locaux. Ces travaux affectent grandement les conditions de travail. La direction de ce groupe refuse d’informer et de consulter les membres du CHSCT, comme la loi l'y oblige pourtant. Après plusieurs réunions et la poursuite du refus de la part de la direction, les membres du CHSCT se résignent à une assignation judiciaire pour faire respecter leurs droits et obtenir une consultation avec un minimum de dignité et de respect. La procédure est engagée. Après plusieurs mois, alors que les travaux ont largement débuté, deux jours avant l’audience devant le TGI, la direction se décide enfin à communiquer sur son projet et à donner les éléments d’information au CHSCT, puis dans le mouvement à réunir en catastrophe l’instance pour recueillir son avis. Le juge constate que la procédure d’information et de consultation a bien eu lieu, même tardivement et déboute le CHSCT de toutes ses demandes. Dans ce cas réel, l’avocat du CHSCT voit ses honoraires pris en charge par l’employeur car le CHSCT n’a, à ce jour, pas de budget en propre.


Imaginons que la création de l’instance unique se saisisse demain du même problème : ce sera à elle de prendre en charge les honoraires de l’avocat et les frais de justice sur son budget de fonctionnement évalué à 0,2 % de la masse salariale. Faut-il rappeler, là encore, que le budget de fonctionnement d’un comité d’entreprise d’une centaine de salariés tourne autour de 10 000 euros et encore dans le secteur des services avec une population de cadres ? Faut-il, au risque de gêner les négociateurs par le rappel de ces trivialités, préciser que les coûts de procédure juridique (par exemple pour une contestation en risque grave) varient de 7 000 à 12 000 euros ?

Prenons un autre exemple vécu pour bien montrer que l’engagement de garantir la continuité des droits n’est pas respecté par une partie des négociateurs.

  • Un CHSCT est saisi par plusieurs salariés d’une problématique de très forte maltraitance dans un service. Le premier risque psycho-social naît souvent d’une mauvaise relation avec son supérieur hiérarchique et d’exigences professionnelles démesurées. Dans le monde actuel, la charge de travail ne peut plus guère être évaluée avec les transferts d’activité permis par les outils électroniques. Dans ce dossier, le manager central est bien embêté car la personne maltraitante a par ailleurs de bons résultats financiers. De plus, elle a un très bon relationnel avec le patron de l'entreprise. Elle a même réussi à faire éjecter son prédécesseur qui avait tenté en vain d’intervenir pour traiter les difficultés relationnelles. Le CHSCT maintient sa demande d’intervention d’un tiers préventeur. Le manager se voit contraint (par peur de perdre sa place) de refuser la demande qu’il estime pourtant légitime. L’affaire passe en contentieux TGI. Le juge accorde la mission qui se réalise et qui permet le règlement rapide de cette problématique récurrente depuis plusieurs années. Tout le monde souffle. Le coût de la procédure juridique a été de 8 000 euros. L’avocat du CHSCT a été pris en charge par l’employeur. Demain, le budget de fonctionnement ne permettra plus une telle issue. Demain, dans l’état du texte, plus d’expertise pour risque grave. Plus de prévention à la demande des représentants du personnel.

Que vaut un droit si on ne peut le faire respecter ?

Nous entrons avec cet accord dans l’univers où l’absence de droit du plus faible s’opposera à l’omnipotence du droit du plus fort.

Alors que faire ? Cette question des frais juridiques n'est pas anodine. C’est l’aspect essentiel de l’équation. Il ne doit pas y avoir tromperie sur le sujet. Il s’agit de garantir l’exercice de leurs droits aux futurs membres du conseil d’entreprise et de la commission HSCT si ces derniers voient le jour.

La solution passe par l’obligation de prise en charge par l’employeur des frais de justice en matière de santé, de sécurité, de conditions de travail du conseil d’entreprise et/ou de la commission.

Ce point ne devrait pas poser de problème aux négociateurs du MEDEF puisqu’ils garantissent la main sur le cœur des moyens à l’identique pour la future instance.

Précisons que l’idée d’augmenter le budget de fonctionnement est une impasse. En effet, il est impossible de prévoir un plafond pour le fonctionnement du budget du futur conseil d’entreprise.

Quel budget faudrait-il allouer à une centrale nucléaire ? À une entreprise classée Seveso ? Ces dimensions ne sont d’ailleurs absolument pas abordées dans le texte. On connaît pourtant l’importance de l’action des CHSCT actuels en matière de prévention des risques par leur action de proximité dans ces sites ultra-sensibles.

Certaines entreprises (elles sont nombreuses) ont un niveau d’accidentologie et de sinistralité élevé. Dans ces entreprises, les membres du CHSCT ont fort à faire. Peut-on subordonner les interventions pour risque grave à l’existence d’un budget ? Quel budget de fonctionnement si les contentieux se multiplient pour une entreprise avec une sinistralité élevée ?

La restriction du nombre des membres représentants le personnel s’accompagne en plus d’une forte densification de leurs missions et d’une extension de leur périmètre d’intervention, on ne peut, en sus par un biais détourné, leur sacrifier les maigres moyens qui leur demeurent en prévention.
 
En vérité, la santé des salaries relève de l’obligation de sécurité de résultat. Elle n’a donc pas à être mise en balance avec l’existence ou pas d’un budget pour agir sur le plan juridique. C’est la sagesse même, comme l’auraient dit les Anciens, « securitas omnia corrumpit ».  

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