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06 / 10 / 2014 | 69 vues
Jean-Louis Araignon / Membre
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MEDEF : une offensive idéologique rétrograde

La multiplication des déclarations du président du MEDEF depuis plusieurs mois relèvent toutes d’un même plan délibéré : remettre en cause le modèle social français.

En période d’expansion économique, le patronat accepte sans trop forcer des mesures sociales, les profits les compensant largement. En période de crise, le patronat français n’a qu’une obsession : maintenir ses marges coûte que coûte, en s’attaquant à la seule variable d’ajustement qu’il connaisse : les salariés.

Le président du MEDEF n’hésite pas à dénoncer « notre modèle économique, social et fiscal à bout de souffle ». Il propose de « simplifier le Code du travail, auquel personne ne comprend plus rien, et d'inverser la hiérarchie des normes. Aujourd'hui, il y a une stratification : contrat de travail, accord d'entreprise, accord de branche, accord interprofessionnel, Code du travail, code européen, jurisprudence etc. Demain, c'est dans l'entreprise que tout doit se passer. C'est là que doivent être négociés le temps et l'organisation du travail ». La réalité est tout autre et surement pas conforme à la caricature dépeinte.

Plusieurs codes complexes

Le Code du travail est complexe mais il existe bien d’autres codes (codes du commerce, de l’urbanisme, de la route,…) qui ne le sont pas moins. Mais les utilisateurs du Code du travail (juristes, conseillers prud’hommes, DRH) le savent bien : nul besoin de le connaître entièrement, sa structuration en livres est parfaitement ordonnée. Sans doute existe-t-il des articles obsolètes mais qui ne gênent personne. Concernant la « stratification », le droit européen s’applique de fait, à moins de sortir de l’Europe. La jurisprudence existe parce que le Code du travail, la loi, les accords ne peuvent tout codifier : la France est un pays de droit avec les Conseils de prud’hommes, les Cours d’Appel et la Cour de Cassation, présentes d’une façon ou une autre en Belgique, en Suisse, en Allemagne, au Royaume Uni. Il est certain qu’en Chine ou en Russie, ces juridictions n’existent pas : est-ce ce modèle-là que souhaite Pierre Gattaz ?

Enfin, 4 accords interprofessionnels ont été signés par les représentants du MEDEF en 2013

« À chaque entreprise de fixer le temps de travail » : c’était le sens de la loi Aubry I et c’est bien le cas aujourd’hui. Dans les sociétés du groupe Thales, des accords différents existent ; ce ne sont pas les mêmes chez Renault ou Nexter.  

Le MEDEF propose « de renoncer à deux jours fériés par an, notamment pour en finir avec ces semaines à ponts en mai, où les chefs d'entreprise ne s'en sortent plus ». Mais ces jours de fermeture sont aussi revendiqués par les directions d’entreprises pour pouvoir faire des économies sur les frais de structure (par exemple, économies d’énergie en évitant d’alimenter les locaux pour quelques salariés) De plus, cela entraînerait la destruction d’emplois dans les secteurs des loisirs, du tourisme et du transport.

Avant de lancer ce genre d’idées, il faut examiner toute la chaîne économique. La réalité du temps de travail recouvre des statistiques multiples, où chacun prend sa « vérité » : travailleurs à temps plein ET temps partiel, temps de travail hebdomadaire (37,5 h en France pour une moyenne européenne de 37,2), annuel (1 478 heures travaillées par actif en 2013, contre 1 387 en Allemagne), travail dans la vie. Mais les chiffres de l'OCDE montrent que la France a l'une des productivités les plus élevées d'Europe.

Pierre Gattaz réclame l’ouverture des magasins le dimanche parce que « les touristes vont à Londres faire leurs courses le dimanche ». Au-delà de la caricature (aucune estimation réelle là non plus), notons que ce débat n’a pas lieu en Allemagne, où la fermeture dominicale n’est pas remise en cause. Ouvrir le dimanche, c’est créer un précédent : il faudra ensuite permettre l’approvisionnement des magasins, puis assurer des services. Petit à petit, le dimanche deviendrait un jour ouvré et le patronat revendiquerait la fin des compensations.

Pierre Gattaz affirme ne pas vouloir toucher au SMIC mais propose que des chômeurs puissent « toucher à la fois le revenu de solidarité active (RSA) et un salaire, de manière à ce que le total soit équivalent au SMIC ». C’est donc l’État qui se substituerait partiellement aux employeurs. Avec quel argent ? Dans l’esprit du patronat, ce serait évidemment les impôts payés par les salariés, pas ceux des entreprises.

Des prétextes

Enfin, aux 40 milliards d'euros d'allégements de charges, Pierre Gattaz oppose que « les baisses de charges ne sont pas encore effectives » alors que les entreprises ont déjà touché le CICE. Pierre Gattaz reporte toujours ses engagements concrets, trouve toujours des prétextes : quand on lui demande, dans des négociations de branche, de signer des engagements sur l'emploi dans le cadre du pacte de responsabilité, il ne veut pas le faire, relève Véronique Descacq, secrétaire générale adjointe de la CFDT.

Pierre Gattaz a une fâcheuse tendance à considérer les salariés comme des outils dont on pourrait disposer avec un maximum de « flexibilité », c’est-à-dire un minimum de règles ; mais les entreprises sont une société humaine et toute société humaine a besoin de règles pour fonctionner. Ces règles sont d’autant mieux respectées si elles sont partagées par tous. Pour les partager, rien ne vaut leur définition en commun. C’est bien le sens des négociations. On négocie pour obtenir un accord, un contrat, des engagements réciproques des parties signataires. Pas pour entériner des diktats.

L’expérience a montré que c'est dans les entreprises qu'a lieu un dialogue social qui se concrétise, que les jeunes embauchés plébiscitent. Le groupe Thales en est l’illustration : des accords unanimes sur l’emploi (GAE et GPEC), la prévoyance et l’insertion des handicapés ont été signés ; cela n’a pas empêché la société Thales SA d’augmenter les dividendes de 27 % sur un an du dividende mais aussi de 124 % en 4 ans.

L’offensive contre les « corps intermédiaires » a échoué en 2012. Pierre Gattaz la relance en espérant voir tout ou une partie de ses idées reprises par un gouvernement : si ce n’est celui-ci, ce sera le prochain. Mais qu’il prenne garde : si son projet se concrétisait, il bouleverserait l’équilibre social des sociétés ; il n’est pas certain que ces bouleversements se fassent sans réaction des salariés, à un moment ou un autre et la réaction pourrait même être violente, faute de régulation.

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