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09 / 06 / 2011 | 193 vues
Roman Bernier / Membre
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La difficile réalité du métier de pilote chez Ryanair

Plus encore que les navigants, les pilotes de ligne ont longtemps bénéficié d’une notoriété et d’une certaine aura attribuables au moins autant à un métier de voyage qu’aux contraintes techniques que représente le fait de faire voler un avion. Toutefois, comme pour beaucoup d’autres aspects du transport aérien, l’industrie low-cost a apporté des changements au métier de pilote qui viennent directement saper l’attrait qu’il peut y avoir à l’exercer.

À la différence d’avec les navigants, Ryanair est beaucoup plus limitée dans les libertés qu’elle peut prendre avec ses pilotes. En effet, la loi encadre sévèrement le statut de pilote et faire voler un avion de ligne requiert un haut niveau de qualification. Ceci a pour conséquence de faire des pilotes de ligne une ressource relativement limitée.

  • À l’avantage de Ryanair, le ralentissement de la croissance des compagnies aériennes traditionnelles depuis les années 1990 a provoqué une diminution des débouchés et une inflation du nombre de pilotes disponibles sur le marché de l’emploi.

La compagnie a su mettre à profit ce léger avantage, faisant du métier de pilote chez Ryanair un exercice bien loin de la vision romantique que l’on peut en avoir.

De la formation à l’embauche, tout a un prix chez Ryanair

Pour travailler pour Ryanair, pas question que la compagnie débourse un seul centime. Un aspirant pilote n’ayant qu’une licence de vol sera redirigé vers des compagnies externes, CAE ou Oxford Aviation Academy, fournissant les formations pour des sommes variant entre 28 000 € et 29 000 € (hors frais de déplacement et coût de la vie sur place). Autrement, seuls les pilotes ayant déjà beaucoup d’expérience seront recrutés par Ryanair.

Et encore, la formation et les qualifications ne garantissent que peu de choses. Une énorme partie des pilotes travaillant pour Ryanair se voient offrir un statut de contractuels. Ceci permet à la compagnie une plus grande fléxibilité face aux fluctuations du marché du transport aérien, mais contribue directement à précariser le métier de pilote.

D’autant que si le métier de pilote paye mieux que celui de navigant, même chez Ryanair, les seules heures de travail payées sont les heures de vol. Et bien que les pilotes de la low-cost irlandaise accumulent très vite un grand nombre d’heures de vol, si l’on factorise le fait que ceux-ci ne cotisent à aucune caisse de retraite et qu’ils doivent payer pour leurs uniformes et leurs frais annexes, le salaire final est loin d’être si attrayant.

Des conditions de travail incompatibles avec les précautions de sécurité élémentaires ?

Ryanair a également su exploiter à son avantage les différents statuts sous lesquels travaillent ses pilotes. Les contractuels ont un statut trop fragile pour se syndiquer et, par extension, les pilotes travaillant directement pour Ryanair, en butte à une nuée de contractuels pouvant les remplacer à tout moment, sont découragés de se syndiquer. La compagnie n’a jamais caché son dégoût des syndicats et fait régulièrement comprendre à ses pilotes que les velléités syndicales sont très mal vues.

  • Il ne faut d’ailleurs pas s’étonner si un ancien pilote a récemment gagné un procès pour licenciement abusif après avoir distribué des tracts syndicaux au personnel de bord durant un vol.

De la même manière, le syndiquat britannique des pilotes de ligne (BALPA) mène une campagne depuis plusieurs année pour que la compagnie reconnaisse à ses pilotes le droit d’adhérer au syndicat. Un forum (privé) a même été mis en place pour permettre aux pilotes d’échanger discrétement sur leurs conditions de travail.

Et il y aurait beaucoup à dire. En effet, les contraintes de rentabilité de la compagnie poussent à l’exploitation des pilotes jusqu’à la limite légale. Même si la compagnie opère des vols relativement courts, la multiplication du nombre de trajets par jour fait que les pilotes épuisent généralement leur quota de 900 heures de vol par an en onze mois ou moins.

Ce dernier mois de vacances « forcées » (et non payées, ils ne volent pas) n’est pas de trop tant le rythme de travail effréné use les pilotes. Cumuler aussi rapidement 900 heures de vol sur de courts trajets signifie multiplier le nombre de vols par jour. Or, pour maximiser le nombre de vols par jour et diminuer les coûts, Ryanair impose un objectif : 25 minutes ou moins, pour une rotation. Les pilotes sont tenus responsables de ce temps de rotation et savent qu’ils jouent leur carrière autant en vol qu’au sol.

Conséquence directe, les pilotes sont à la fois stressés et fatigués.  Si les cas d’épuisement en poste peuvent paraître anecdotiques pour les PNC, quand il s’agit de pilotes aux commandes d’un avion, les risques encourus sont autrement plus graves. Si Ryanair n’a, pour l’instant, à déplorer aucun incident majeur, la compagnie s’expose clairement à des risques importants.

D’autant que les incidents mineurs se sont multipliés. Avec la hausse des prix du pétrole, la compagnie a fait circuler un mémo dès 2008 interdisant strictement aux pilotes d’emporter plus que le minimum légal de carburant supplémentaire. Résultat, les avions de Ryanair ne disposent à tout moment que d’une capacité supplémentaire correspondant à trente minutes de vol et les pilotes sont tenus responsables des excès de consommation de carburant. Depuis, les approches à haute vitesse (entraînant des atterrissages brutaux et dangereux) sont devenues chose commune et les pilotes sont de plus en plus souvent obligés de se déclarer en état « d’urgence carburant » pour atterrir avant que leurs réservoirs ne soient vides.

De manière générale, la situation des pilotes chez Ryanair n’est pas brillante. Pour atteindre le statut de pilotes, ces derniers s’endettent dangereusement, alors même qu’une fois atteint ce statut, ils ne possédent aucun moyen d’assurer la sécurité de leur emploi. Au contraire, la logique de « diminution des coûts, accroissement de la rentabilité » de la compagnie fait reposer un lourd fardeau de stress et de fatigue sur les épaules des pilotes. Et c’est peut-être ça le plus alarmant, car chaque fois qu’ils vont au travail, ces employés ont la vie de passagers entre leurs mains, des vies qu’ils préservent plutôt en dépit de la compagnie qui les emploie.

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