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15 / 04 / 2011 | 28 vues
Denis Garnier / Membre
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200 cadres du CHU de Nantes en grève depuis 2 mois

Nous sommes en 2000. Elle s’appelle Juliette Aiffaux. Elle compte trente-cinq printemps.

Elle est cadre de santé au CHU de Nantes. Sa formation ? Après cinq-ans d’exercice professionnel comme infirmière, elle entre à l’école des cadres. Elle réalise un stage en entreprise pour se confronter aux méthodes modernes du management. Elle apprend des procédures. Elle connait les référentiels. Les méthodes de conduite de projet Un an plus tard, elle obtient le certificat qui lui donne la capacité soit d’encadrer une équipe soignante, soit d’enseigner. Elle sera nommée dans un service de soins. Elle est encouragée par une direction qui la convainc de s’engager dans la voie du changement. Elle devient une actrice importante et participe à la mise en place de la démarche qualité, de groupes de projets. Elle est tout à fait intégrée dans la dynamique du changement.

  • Nous sommes en 2011. Elle s’appelle toujours Juliette Aiffaux. Elle est toujours cadre au CHU de Nantes. Mais, depuis deux mois, elle est gréviste et cosignataire d’une lettre adressée à la direction générale.

Elle débute ainsi : « La décision de réorganiser la permanence des cadres soignants et médico-techniques a été le déclencheur de l'expression d'un profond malaise de l'encadrement (le rapport de Singly en a fait le constat depuis 2008). La méthode et les  moyens pour la mettre en œuvre attestent  non seulement d'une erreur stratégique,  mais  procèdent d'une logique financière de l'hôpital qui nie la réalité vécue au quotidien dans les services.

On retrouve cette posture technocratique dans l'ensemble des réponses que nous avons reçues depuis le début du mouvement de grève de cadres du CHU de Nantes. Aussi, nous souhaitons ici préciser notre position et le sens de notre action.

Nous avons bien compris les enjeux qui sous-tendent le retour à l'équilibre et le projet d'un nouvel hôpital regroupant les deux principaux sites. Nous ne souhaitons ni mettre en  difficulté ces  projets, ni affaiblir l'institution. Mais nous défendons la qualité d'un service public aujourd'hui menacé et la reconnaissance du travail de ceux qui y contribuent. »

Depuis une vingtaine d’année, de réforme en réforme, le directeur n’est plus un serviteur du service public. Il est un gestionnaire de finances publiques. Il a su métamorphoser le surveillant, garant de « l’unité de soins » en manager, acteur de la dynamique des pôles d’activité.

« Syndicat des managers hospitaliers »

Tout est dit pour flatter le cadre dans l’institution. Il n’est plus soignant, mais manager, proche des directeurs. Ils savent les comprendre et les défendre. Il y a même un directeur de soins pour servir d’interface. Le cadre est désormais du même bord.

Les raisonnements des syndicats sont spécieux. Les hospitaliers qui revendiquent la qualité des soins ne peuvent comprendre le véritable sens du changement qui consacrera l’avènement de l’hôpital de demain. Même le syndicat national des cadres Hospitaliers, ex-SNCH, accompagne ce mouvement et change de raison sociale pour adopter celle, plus claire, de « syndicat des managers hospitaliers ».

Les plans « hôpital 2007 » et « hôpital 2012 », sont des instruments de conquête d’une compétition pour motiver les équipes dans les indispensables efforts servant le défi de la concurrence.

À Nantes, les cadres s’éveillent !

Mais patatra ! À Nantes, les cadres s’éveillent. Ils revendiquent. Ils défendent la qualité d'un service public aujourd'hui menacé et la reconnaissance  du travail de ceux qui y contribuent.

Leurs mots sont précis : « L’effectif des personnels dans les services ne permet plus de réaliser des plannings  réglementaires, […] Notre temps est presque exclusivement employé à « bricoler » les roulements, gérer les arrêts maladie et rappeler les soignants pour assurer la permanence des soins.

Les agents ne répondent plus aux sollicitations téléphoniques que seule la réglementation réservée au plan blanc leur réclame. La seule marge de manœuvre est aujourd'hui  d’imposer au personnel des heures supplémentaires qui, non seulement engendrent une  fatigue importante, mais représentent une véritable « bombe à retardement ». C'est bien souvent au moment d'un départ en retraite que nous sommes contraints de les solder sans compensation. […]

Madame la directrice, vous l'avez bien compris, ce ne sont pas les outils de communication « com'cadre », le déplacement de la direction dans les pôles et les réunions avec un  psychosociologue qui répondront à ces réalités. Quand les cadres demandent de la reconnaissance, il s’agit avant tout d’obtenir les moyens nécessaires pour satisfaire aux exigences de leur mission.  […]

Nous constatons une véritable implosion face à la pression au quotidien : les  personnels se démotivent, des hommes et des femmes « craquent » psychologiquement. Nous  sommes bien loin de l'épanouissement au travail et nous n'acceptons plus ce gâchis.

À chaque fois que l'encadrement a voulu exprimer ces difficultés à la direction, il s'est vu  répondre un discours convenu qui ne laisse aucune place au dialogue, à l’écoute, à la compréhension. 

Il a même été victime de pressions, de brimades, de représailles qui ont petit à petit usé la confiance et rompu le dialogue.

C'est pourquoi, l'encadrement, fragilisé par les difficultés du travail au quotidien ne veut pas  s'exposer davantage et confie sa représentation aux organisations syndicales qui ont bien voulu porter fidèlement leurs revendications ».

L’heure est grave. La situation est préoccupante. Si les cadres n’accompagnent plus les restructurations, ne veulent plus jouer le rôle de tampon entre les exigences de qualité et les contraintes de gestion, alors l’hôpital risque d’exploser. Le directeur général ne s’y trompe pas. Il leur adresse un courrier : « Il nous faut renouer un dialogue direct. Nul ne méconnaît les difficultés, tensions, pressions auxquelles vous avez été et êtes encore exposés. Elles sont à la mesure de la complexité du contexte dans lequel évolue l’hôpital public et doivent nous pousser à plus de cohésion ».

Il convoque une réunion spéciale pour présenter la stratégie de l’établissement, ses grands projets et la place de l’encadrement. Il veut renouer le dialogue mais les cadres ne sont pas venus, les organisations syndicales ont maintenues leurs revendications.

Dans une nouvelle lettre datée du 12 avril, il « considère que la reprise du dialogue avec l’encadrement est une priorité », se proposant de présenter lui-même le projet stratégique.

Les cadres restent en grève !


« Nous vous informons, par la présente, que les cadres ont décidé de poursuivre leur  mouvement de protestation. Leur charge de travail ne leur permet plus de répondre à toutes les sollicitations et leurs priorités vont se concentrer sur l'organisation des soins directs, en conséquence :

  • ils ne pourront pas s'engager à participer aux réunions institutionnelles (cellule qualité, réunions de pôle, Île de Nantes…) et vous voudrez bien, dans ce cas, excuser leur absence ;
  • tant que les tuteurs de stages ne seront pas formés et que le temps nécessaire à leur activité pédagogique reconnu, ils ne seront plus en mesure d’organiser l'encadrement des étudiants en stage ;
  • la base de données GESFORM ne sera plus alimentée ;
  • la grève des gardes, des astreintes et des permanences imposera l’assignation des cadres. »
Nantes, et combien d’autres sont dans les mêmes conditions ?

La corde s’est-elle trop tendue ? Les directions d’hôpital sont-elles parvenues au point de rupture ? La chape de confinement qui protège l’hôpital d’émanations dangereuses pour la population sera-t-elle suffisamment résistante pour éviter la surchauffe des « réacteurs » internes ?
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